FONDS SAINT-JACQUES

Est Martinique

MADININA : Fonds Saint-Jacques

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Au Nord de la Presqu'île de la Caravelle, la route se faufile le long du littoral, elle dépasse la ville de Sainte Marie, en direction de Marigot. Puis, à hauteur de la pointe Tenos, en retrait de la route de bord de mer, vous découvrirez le centre culturel voué à la mémoire du chroniqueur le plus célèbre de la Caraïbe : le Père Labat.

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Le site se situe sur les premiers contreforts de la Montagne Pelée. Il est serti d'une forêt agréable lovée dans un creux de vallon de la côte atlantique. Il règne en ces lieux une atmosphère monacale. Pourtant, les moines dominicains ont depuis bien longtemps cédé leur domaine à l'État.

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Les débuts du domaine

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Tout commence le jour où, en 1659, la veuve du gouverneur Jacques Du Parquet fait don aux Pères dominicains des terres de Fonds-Saint-Jacques. Nom qui rappelle le Saint Patron de son mari. Le Père Boulogne se voit confier la tâche de bâtir un couvent, une église et une sucrerie. Il a, à son service, une vingtaine d'esclaves. Dès 1671, Fonds-Saint-Jacques est l'une des plus grosses sucreries de l'île.

Puis, en 1689, le successeur du Père Boulogne, le Père Temple, remplace les édifices de bois par des édifices en maçonnerie. Il "engage" 40 esclaves de plus et il initie la production du tafia (l'ancêtre du rhum).

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Ne soyez pas surpris qu'un homme d'Église utilise des esclaves au même titre que les propriétaires terriens. Les buts d'évangélisation et de charité humaine étaient en ces temps coloniaux systématiquement supplantés par l'esprit de lucre. Des rapports historiques mentionnent d'ailleurs l'intransigeance des Pères vis-à-vis des esclaves. Ils n'étaient pas réputés les plus tendres en matière de châtiment...

En 1696, le Père Jean-Baptiste Labat est nommé "Procureur Syndic" de la mission de Fonds-Saint-Jacques. Est-ce présomptueux de dire que cette nomination déclenchera la genèse de l'industrie du rhum? À vous d'en juger par ce qui suit.

La Tisane du Père Labat

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Certains petits événements du quotidien sont parfois à l'origine de grandes inventions. C'est ce qui s'est passé, le jour où le Père Labat fut sauvé de ce qu'on appelait alors la "fièvre de Malte". Le breuvage qui l'avait guéri, n'était qu'une simple infusion de tabac vert et de guildive. La guildive est un mot anglais francisé, il trouve son origine dans l'expression " kill devil", traduit littéralement par, "tue-diable ". C'était en réalité la seule eau-de-vie au monde tirée de la tige d'une plante. On en conclura donc que la sève de canne à sucre distillée est l'alcool plus naturel de cette planète!

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Ironie du sort que le Père Labat réchappe d'une mort prématurée, par un "tue-diable ". Il en oubliera certainement de remercier le ciel et il se vouera à l'amélioration du breuvage qui l'a sauvé. A l'époque ou le père dominicain fait ses explorations "gustatives", les gens d'Armagnac et de Cognac distillent le vin. L'alambic est en France l'instrument privilégié de ces gens de métier. Le père Labat toujours au courant des nouveautés se procure un alambic. Il sera le premier à en importer sur l'île et à l'utiliser.

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C'est donc bien à l'initiative du Père Labat que démarre la saga du rhum. L'industrie prolifère. Sous la férule du Père Labat, Fonds-Saint-Jacques est devenue l'industrie la plus prospère de la côte atlantique. Sous ses ordres, 90 esclaves produisent cinq tonnes de sucre blanc, sept tonnes de sucre brut. La distillerie qui possède deux alambics produit 7200 litres de rhum par an. En outre, le Père Labat rénove les techniques de broyage. Sa popularité est si étendue dans l'île que des centaines de moulins à sucre furent rebaptisés "les tours du Pères Labat". Avec l'agrandissement de la sucrerie et l'impulsion du Père Labat, le domaine continue à bénéficier de bons rendements, plusieurs années après son départ du 9 août 1705.

A partir dix-huitième siècle et grâce au Père dominicain, le rhum tombe en cataractes dans les gosiers et on recense que la consommation en rhum des colonies est égale à 18 litres par personne et par an. Si les terres des Antilles sont aujourd'hui des terres de Rhum, elles le doivent au père Labat. Pourtant, celui-ci n'a pas laissé un excellent souvenir dans les mémoires antillaises. Sa réputation de sorcier et son caractère en acier trempé ont marqué les esprits pour des siècles. Aujourd'hui encore, ne dit-on pas aux enfants indisciplinés :

"Père Labat vini prend'ou"
"Attention, si tu n'es pas sage, nous irons chercher le père Labat!"

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Les portraits du père dominicain n'arrangent rien. Il y a dans son regard une expression déterminée. Un sourcil arqué qui n'inspire aucune sympathie. Il était certainement plus prompt aux coups de fouet qu'aux actions charitables. S'il revenait aujourd'hui, il vous dirait sans doute : "C'est qu'il fallait en donner des coups de bâton pour faire marcher tout ce monde à la baguette!"

L'envergure du personnage ne tient pas seulement dans sa poigne et son esprit inventif. Si le père Labat ajoute sa "farine" au moulin de l'industrie sucrière, en la développant et en la modernisant, il n'a pas fait que cela lors de son passage en Martinique. L'homme d'Église est également mathématicien, bâtisseur, baroudeur et écrivain. Il écrit une des chroniques les plus célèbres des îles "Nouveau Voyage aux îles d'Amérique". Il commande des navires, il manie le sabre mieux qu'un goupillon, il chasse les bâtiments anglais inopportuns et il n'est pas rare de le voir rôder dans la montagne, pour une ultime ronde de nuit. En somme, il consacre peu de temps au "ministère des âmes", car sa curiosité le fait s'intéresser aussi bien aux hommes, aux techniques, qu'aux plantes. À ses nombreux titres, nous ajouterons également celui de quimboiseur. En effet, le père Labat avait le don de faire passer "les petites fièvres".

Petite anecdote d'un rhum "marinisé" par "l'oncle Old Grog"

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Le rhum trouve immédiatement des adeptes parmi les navigateurs, les marins et les mousses de poils. Au dix-huitième siècle, le succès du rhum est tel que les commandants de vaisseaux se voient dans l'incapacité d'interdire à leurs équipages d'embarquer le puissant breuvage. Impossible de bannir ce qui était réputé protéger les marins contre le scorbut! Voyons, c'était impensable!

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Cependant, si la boisson à base de jus de canne vaccinait les hommes contre certaines maladies, la boisson chérie des matelots ne prémunissait pas les bougres de l'alcoolisme. Le problème devenant de plus en plus présent dans les flottes de l'époque, un amiral britannique Edward Vermon résolut le problème. Il obligea ses équipages d'étendre d'eau chaude l'eau-de-vie de canne. Cet homme habile portait des vêtements d'une étoffe rude, le grogram. Ses hommes le surnommèrent Old Grog. Le nom resta à sa "tisane", qui devint en fait la panacée d'Old Grog... Le grog devint aussi la boisson de l'armée française et des condamnés à mort. Comme si s'engager s'était se pendre ou vis versa.