Quelle est donc l'origine de l'habitation Clément?

Le site est l'un des plus anciens de la Martinique, dès 1770 une habitation est bâtie sur la commune de Saint François. Le mot habitation est utilisé par les Créoles pour désigner l'ensemble d'un domaine ou d'une propriété. Le terme ne limite donc pas son acception à une simple maison. Ainsi, en cette fin de dix-huitième siècle, le Sieur Litré crée une sucrerie dans la région. La maison de maître apparaît bien plus tard et sa date de construction se situe entre 1820 et 1840. Les tuiles de Marseille utilisée pour la couverture du toit n'ont été inventées qu'en 1850 et importées en 1870. On suppose donc que le toit n'a pris son apparence actuelle qu'après la construction de l'édifice. Mais ne tergiversons pas sur cette période Pré-Clément, elle n'a laissé que peu de trace dans l'esprit des Martiniquais. En effet, seule la période à partir de laquelle Monsieur Clément prend possession de l'habitation semble intéresser les insulaires.

La famille Clément

Homère, Charles, Marie, Hidulphe Clément naît à la Trinité le 12 juillet 1852. Il est fils de tailleur. Il étudie sa médecine à Paris et revient à la suite de son cursus au François. Monsieur Clément a une âme de philanthrope nous dit-on dans les guides, ce qui le mènerait droit à une carrière politique... Il est rapidement propulsé dans les hautes sphères puisqu'il devient conseiller municipal en 1885, puis conseiller général en 1887 et président du conseil en 1901. Monsieur Clément est le premier homme de couleur à recevoir la Légion d'honneur.

En 1887, Monsieur Clément acquiert la distillerie du Domaine de l'Acajou, connue aujourd'hui sous le nom d'habitation Clément. Il mène de front les carrières politiques, de "bon docteur" et de propriétaire terrien. En 1906, il se retire de la politique et se consacre exclusivement au rhum Clément. Il meurt en 1923. Ce jour-là, il part en paix avec la certitude d'avoir hissé l'habitation au rang digne de ses espoirs.

Son fils Charles prend la succession. Il est homme d'exception diplômé de l'école centrale d'ingénieurs à Paris, mais aussi de l'institut Pasteur, section fermentation. Ses études l'aideront à toucher la perfection dans la fabrication du rhum Clément. C'est sous la direction de Charles que l'habitation Clément est le plus prospère. La famille tout entière se consacre à la mise en valeur de sa terre et à vla passion d'un rhum agricole de haute qualité. Lors de sa mort en 1973, ses fils ont bien du mal dans une conjoncture difficile à maintenir les rendements nécessaires à la poursuite de l'activité. En 1986, le groupe Bernard Hayot rachète l'habitation.

L'habitation - le parc

Lorsqu'on s'engage dans l'allée qui mène à l'habitation Clément, l'environnement paraît modeste. Un parking hautement "cabossable" accueille les voitures. Les plus chanceux trouveront une place à l'ombre sous les flamboyants dépouillés de leurs fleurs. Les alamandas aux fleurs en trompette dorées, les ixoras rouges guident les nouveaux venus. Le regard cherche en vain la maison de maître. La vue est barricadée par de grands arbres et le bâtiment qui abrite les bureaux d'accueils.

Au-delà de ce passage obligé, on se retrouve face à des bâtiments plutôt communs, des chais sans grand intérêt vus de l'extérieur. Un peu déçus sur le coup... Mais très vite, des panneaux nous guident et en quelques pas, le domaine se révèle grandeur nature et nous accueille dans un jardin somptueux. Que dis-je un jardin? Un parc! Je pense que celui qui décide de s'intéresser à chaque espèce arbustive, à chaque bosquet de fleurs et à comprendre comment chaque plant pousse, peut y passer la journée entière.

Un conseil, si vous décidez de visiter l'habitation Clément, ne vous limitez pas au musée, prenez le temps de découvrir le parc et apprenez à y déguster les saveurs de la nature tropicale. Seize hectares, de parc arboré et paysagé sont consacrés à plus de 300 espèces végétales.

Malgré les affres de la météorologie tropicale, le parc se maintient. Les cyclones passent de temps à autre et détruisent une grande partie du travail de ces jardiniers minutieux et acharnés.

Mais à chaque fois le parc renaît et se reconstitue. Je ne peux citer ici toutes les espèces vues, mais quelques-unes m'ont plus particulièrement marquée. J'ai adoré les bouquets de palmiers à l'entrée. Puis, des palmiers royaux sont plantés de chaque côté d'une allée qui semble mener jusqu'au ciel. Le palmier Elata m'a fascinée, par son tronc imposant portant une foison de lourdes palmes. Cet arbre consacre plusieurs décennies à sa croissance puis, il produit une unique fleur avant de mourir. Celui qui est représenté dans le parc a plus de 50 ans en 2007. Les figuiers maudits sont plusieurs fois centenaires. Ils sont ainsi nommés, car lorsqu'ils poussent à la base des murs, les racines en démontent les soubassements. Bon nombre d'habitations ont été complètement détruites sous l'effet dévastateur de cet arbre.

L'exploration du Parc se poursuit. N'imaginez pas un plan linéaire où les espèces végétales sont présentées telle une suite insipide ! Le parc s'arcboute sur des collines et dégringole dans le fond de vallons. Il s'adapte au relief fantaisiste. Au cours de notre balade, nous arrivons en surplomb d'un étang. De superbes cygnes y paraissent. Tout autour, un verger de fruits tropicaux recueille les soins attentifs des jardiniers de l'habitation. Le parc véhicule tout au long de ses chemins une atmosphère paisible empreinte de noblesse.

Les bassins offrent une aire de repos aux oiseaux. L'eau circule en petits rus dans l'ombre des palmes des cocotiers qui couvent jalousement une fraîcheur salutaire. Le regard se pose sur des aménagements parfaits, il court jusqu'aux confins du parc, limité par des champs de cannes à sucre. Ci et là, des cylindres, des roues crantées, un moulin à bêtes, une locomotive et ses wagons agrémentent le parc et nous rappellent que l'habitation fut autrefois une usine où la fabrication du rhum utilisait bon nombre d'ouvriers ainsi que les technologies de pointes de l'époque.

Les bâtiments d'usine.

Récemment un nouveau bâtiment de l'habitation a été ouvert au public. C'était le coeur de l'usine.

Aujourd'hui, les broyeurs et roues des diverses machines tournent encore. Ils servent de décor explicatif au musée de la canne. D'un bout à l'autre de la production, toutes les étapes nous sont expliquées. Si aujourd'hui, le rhum Clément n'est plus produit dans cette usine, nous sommes néanmoins à l'école du rhum. Et la production à quelques variantes technologiques près se passe toujours ainsi.

La canne à sucre est récoltée de février à juin. Elle provient des 160 hectares de terre appartenant à l'habitation Clément et de petits producteurs. À l'époque du Sieur Clément, la canne était livrée par cabrouets, chars tirés par deux boeufs. Aujourd'hui des tracteurs ont remplacé les chars à boeufs. La canne lorsqu'elle arrive à l'usine est traitée directement. En effet, dès qu'elle est coupée elle perd rapidement sa teneur en sucre. Elle est donc disposée sur de longs tapis mécaniques qui acheminent la canne vers une succession de broyeurs. À la sortie des broyeurs on retrouve le résidu sec et fibreux de la canne ou bagasse qui est acheminé vers la chaudière. La bagasse sert alors de combustible. On peut dire qu'une distillerie est une usine écologique, puisqu'elle produit l'énergie dont elle a besoin pour fonctionner. La bagasse, combustible naturel alimente les foyers des générateurs où l'eau est transformée en vapeur.

Mais les broyeurs ne produisent pas que la bagasse, ils extraient aussi le jus de canne (ou vesou) qui sera utilisé pour la fabrication du rhum agricole. Tout au long de sa transformation, le jus tiré de la canne portera des noms différents. En premier donc, le vesou passe dans les cuves de fermentation. C'est l'opération pendant laquelle le sucre se transforme en alcool. Lors de cette première étape, les qualités aromatiques du rhum agricole s'élaborent. Afin que cette opération réussisse, deux micro-organismes sont appelés à la rescousse : les bactéries et les levures. Celles-ci mettent 24 à 36 heures pour transformer le vesou en vin de canne. Le vin de canne (nommé autrefois grappe) titre entre 4 et 5% de volume d'alcool.

Le vin de canne sera distillé. La distillation consiste à extraire l'alcool et les éléments non alcoolisés contenus dans le vin. Cela se passe dans une colonne composée de plusieurs plateaux superposés. Le vin après réchauffage à 75 degrés dans le chauffe vin entre dans la colonne à distiller par le haut et descend par gravité de plateau en plateau. À la sortie de la colonne à distiller, le rhum titre 70 degrés d'alcool pur. Le rhum à ce stade se nomme "grappe blanche". Il est beaucoup trop "vert" pour être consommé en l'état !

A partir de là, donc, le rhum va bénéficier des soins attentifs effectués par les chimistes de la distillerie. À partir de là, le rhum n'est plus confié aux machines, mais il devient une affaire d'hommes passionnés qui lui donneront ses lettres de noblesse. Il séjournera d'abord 6 mois dans des cuves en inox afin qu'il se repose et élimine ses substances volatiles. À la fin de ce repos, les chimistes ajouteront de l'eau déminéralisée afin que sa teneur alcoolique ne titre plus que 62, 55 ou 50 degrés.

Le rhum vieux n'en reste pas là. Il doit être réduit à 64 degrés d'alcool, puis il séjournera dans des fûts de chêne d'une contenance unitaire de 200 litres pendant un minimum de 3 ans. Les conditions climatiques des Antilles accélèrent le vieillissement qui y est trois fois plus rapide qu'en Métropole. Ces conditions favorisent l'évaporation ou ce que l'on appelle "la part des anges". Cette part-là, nous la respirons à plein poumon lorsque nous visitons les chais ! L'habitation Clément mise particulièrement sur la fabrication de rhum vieux, elle est le premier producteur de rhum vieux de la Martinique et conserve dans ses chais plus de 1 500 000 litres de rhum en cours de vieillissement. Ceci explique l'humeur vaporeuse des hôtes en sortie de visite...

La case des présidents

À cette étape de la visite, vous me direz que vous avez tout vu, tout compris et qu'il ne vous reste plus qu'à retourner vers cette belle case en bois où vous avez lu sur le panneau d'entrée : "dégustation". Hé bien, non! Pas encore! Le domaine de l'acajou est devenu sous l'impulsion de Charles Clément le lieu de passage obligé de tous les hôtes de marque qu'a reçus la Martinique et ce même après la cession du domaine au groupe de Bernard Hayot. En 1991, l'habitation fut témoin de la rencontre au sommet entre Bush et Mitterrand. Cette rencontre était organisée à l'issue de la première guerre du Golfe. Atmosphère détendue pour un sujet qui remettait en cause l'ordre économique et politique du Proche Orient.

La maison de maître

Ou une manière bien agréable de rentrer chez les gens sans se sentir coupable de voyeurisme.

Avant une dernière escale savoureuse, prenez le temps de visiter la maison de maître. Une demeure bâtie dans la tradition créole. Tout en bois, elle repose sur un soubassement de bombes volcaniques éclatées. L'habitation a résisté aux affres climatiques et présente aujourd'hui la même physionomie que lorsqu'elle fut achetée en 1887 par Homère Clément. Je vous épargnerai la description détaillée des façades et de l'intérieur. Pourtant, elle mériterait d'être auscultée de près. Entre deux tamariniers géants et centenaires, un perron donne accès aux portes grandes ouvertes, le visiteur est accueilli par un immense bouquet de fleurs des tropiques : roses de porcelaine et balisiers égayent l'entrée. À l'intérieur, un mobilier complet style compagnie des Indes Orientales et Occidentales des dix-huitième et dix-neuvième siècles habille toute la maison. Tout est là, on imagine aisément que si Charles Clément revenait, il lui suffirait de fermer les portes, de laisser les jalousies ouvertes et de reprendre sa vie dans l'ombre fraîche de cette maison qui garde en elle toute l'ambiance d'une époque aujourd'hui révolue.

À présent dirigez vous vers les chais, vous y trouverez l'histoire des Antilles racontée en image, les monceaux de tonneaux et une foule d'objets étranges qui servaient autrefois aux ouvriers du rhum. Puis à l'issue de cette ultime visite, vous pourrez enfin déguster ce qu'aujourd'hui l'habitation Clément vous offre.

L'Habitation Clément en images