Tartane

Au centre de la presqu'île de la Caravelle, Tartane est un hameau de pêcheurs lové au fond de sa baie. Elle est protégée par une barrière de corail et l'îlet de la Tartane. Longtemps, le village pratiqua impunément la contrebande. Voici encore un site de la Martinique ou Histoire et légendes se mêlent étroitement. Une fois de plus, l'écheveau fantastique tisse vérités et fables à sa guise et donne du relief aux conversations qui se murmurent à la tombée du soir. On dit que le village a longtemps bénéficié d'une protection suscitée par la mauvaise réputation de la Caravelle. Les habitants de Tartane ne craignaient (paraît-il) aucunement la répression du gouvernement de Fort-Royal qui n'osait pénétrer dans cette région au relief et à la végétation hostiles. Aujourd'hui, les choses ont bien changé, les touristes aiment se perdre aux confins de la Caravelle. Y cherchent-ils l'ombre d'un boucanier, le fantôme d'un pirate ?

Aujourd'hui, ils trouveront à Tartane, une longue plage de sable fin bordée de résiniers. Elle s'allonge toute dorée entre la mer et la route peu fréquentée du village. L'atmosphère demeure paisible dans ce petit bourg où s'étagent les maisons sur la colline qui monte à pic. L'étape est également culinaire, la notoriété des restaurants de poissons de la ville s'étend à toute la Martinique. Les gourmets seront avertis !

En sortant de Tartane, nous trouvons les ruines de ce qui fut autrefois la plus jolie distillerie de l'île, la rhumerie Hardy. Puis, nous empruntons une route qui serpente et escalade les crêtes. Autour de nous, des champs de cannes. Nous sommes à l'heure de la récolte. Les hérons garde-boeufs ont quitté leurs compagnons de prairie et suivent les tracteurs qui débusquent les insectes en labourant la terre. Au-delà des champs de canne, la savane s'installe avec son cortège d'épineux, de graminées et de légumineuses. Par endroits, la végétation se dégarnit et la route s'ouvre sur l'horizon. Le spectacle de ce littoral aux formes particulières est somptueux. Au sud, plusieurs baies profondes creusent le littoral. Au ras de l'eau, la mangrove taille des aires de repos pour une nature paisible et lumineuse. Des forêts de mancenilliers et des haies infranchissables de palétuviers édifient des mangroves. Les campêches, ensemble dense et homogène d'arbustes épineux, s'éparpillent sur tous les mornes. Les grappes jaune or des fleurs de campêche dégagent une odeur suave qui attire les abeilles. Toute cette infrastructure végétale constitue encore aujourd'hui une barrière infranchissable qui entretient les rumeurs de trésors enfouis ou de trafics illicites.

Le site historique

La route s'arrête. Un chemin non carrossable mène au château Dubuc. En quelques années, nous avons vu les efforts consentis par les associations de défense du patrimoine. Si de nous jours, il est impensable de reconstruire à l'identique la plantation Dubuc, la Martinique a pris garde de défendre le site contre l'appétit vorace des figuiers maudits. Une partie de l'habitation principale a été remise sur pied. D'importants travaux de remise en valeur du site ont été exécutés en quelques années.

Je vous recommande tout particulièrement une visite en fin de journée. Au moment où le soleil décline. Mais bien avant que les moustiques n'attaquent. Vous aurez peut-être la chance d'être le dernier visiteur de la journée. Il ne tiendra qu'à vous de déambuler au coeur des ruines chargées d'Histoire et... De petites histoires! Asseyez-vous sur la terrasse. La vue sur l'océan est incomparable. L'endroit est propice à l'imagination, elle sera aidée par le regard qui parcourra les restes de la plantation. L'atmosphère ambiante vous susurrera les péripéties "d'antan lontan".

Le château

Le domaine agrico-industriel des Dubuc couvrait 250 hectares. Cent hectares étaient dédiés à la canne à sucre. Les plantations de café s'étendaient sur vingt hectares. Vingt autres étaient consacrés à la culture vivrière. Le reste était laissé aux épineux de la savane. La maison de maître était construite sur deux étages dominant toute la plantation. C'était une imposante bâtisse faite de pierres volcaniques et de coraux. De larges ouvertures dégageaient la vue jusqu'au bout de l'horizon. Les encadrements de fenêtres sont en pierres de taille. La cuisine des maîtres était séparée de l'habitation principale. C'était une coutume d'alors qui évitait tout risque d'incendie. Autour de la maison s'étagent des installations industrielles de proportions étonnantes pour l'époque. La distillerie, la purgerie, l'étuve, le moulin à bêtes, la sucrerie avec ses huit cuves de cuisson, l'hôpital sont autant de bâtisses aux dimensions impressionnantes qui témoignent de l'ampleur des activités des Dubuc. La propriété comportait également de vastes entrepôts qui ne servaient pas uniquement à stocker la canne après sa récolte. La richesse de la famille reposait également sur le commerce du tafia, du café, du coton voire de l'indigo. Il semble pourtant que la prospérité de la famille ne reposait pas uniquement sur de simples transactions commerciales. Les rumeurs laissent supposer que les entrepôts accueillaient aussi des marchandises diverses négociées aux flibustiers contre des denrées tropicales. Le "bois d'ébène" quant à lui, séjournait dans une bâtisse allongée, elle fut divisée en quatre cachots où s'entassaient les esclaves en transit vers les îles anglaises.

La baie du Trésor située au seuil de la propriété n'était accessible que par la mer. De plus l'isolement de l'endroit et les fables attachées au site inspiraient la crainte à toute personne étrangère à la famille ainsi qu'aux forces de l'ordre. Point n'est besoin d'insister, les Dubuc disposaient d'une liberté totale, ils étaient les maîtres absolus sur la Caravelle. Le bruit court que la famille allumait des lumières sur les mornes de la pointe du Diable et de la pointe Caracoli. Ces lueurs confondaient les navires qui s'échouaient sur les récifs et livraient aux malicieux Dubuc leurs trésors. La Baie du Trésor enfouie dans le Cul de Sac de Tartane fut peut-être le théâtre de nuits mémorables...

D'où viennent les Dubuc?

L’habitation de la famille Dubuc de Rivery fut promue « Château », lorsqu’elle ne fut plus que ruines rassemblant les vestiges de la flibuste et de la contrebande. Si la famille affiche à titre posthume des titres de noblesse, ceux-ci furent acquis et non transmis par héritage.

Le premier Dubuc dont nous avons connaissance est Pierre. Il arriva de sa Normandie natale à l'île de Saint-Chritophe en 1657. Engagé pour trois ans par un maître très exigeant, il se rebella. La légende raconte qu'il attendit son maître au détour d'un chemin, une écritoire dans une main, un pistolet dans l'autre. C'est ainsi qu'il contraignit son "employeur" à signer son acte de libération. On le retrouve en Martinique en 1664. Il débarque en tant que simple soldat.

En débarquant, Pierre Dubuc ne découvrit pas un paradis paisible. En fait, il dut batailler ferme contre les Indiens qui défendaient hardiment, et sans doute de plein droit, les territoires brigués par les colons. Au Marigot, sur le territoire pris aux Caraïbes, il obtient une première concession mitoyenne des moines jacobins du Fond Saint-Jacques. Il se lance dans la culture du cacao. Puis, il épouse la riche veuve Renée Blondeau.

Peu avant 1671, il acquiert une sucrerie au sud de la baie de Trinité. Dans le même temps, il part en "expéditions" vers les îles voisines. Les bénéfices de son sucre et de ses "voyages" lui permirent d'acheter tous les domaines qui bordent la baie du Gallion. Peu avant sa mort, en 1708, il offre à son fils, Balthazard dit de Bellefonds l'habitation du sieur Spourtourne.

Balthazar a un fils, Louis. Celui-ci naît à Spourourne en 1693. Il quitte son village natal grâce à la dot de son épouse et il plante cannes à sucre et caféiers. Ils vivent chichement et travaillent d'arrache-pied. Ils auront deux fils Louis Dubuc du Galion et Pierre Dubuc de Bellefonds. Enrichi par le commerce du café, Louis fonde en 1740 l'habitation de la Caravelle. Il installe sa famille dans une belle demeure de pierre à deux étages.

Le "règne" des Dubucs s'achève à la fin du 18e siècle. Un terrible ouragan dévaste la plantation en 1766. Les Dubuc s'associent à l'usine du Galion. Cette nouvelle ouverture permet de reconstruire en partie le domaine. Mais les charges écrasent les profits et l'atmosphère de Révolution n'arrange rien. La guerre d'Amérique réduit les bénéfices commerciaux. L'abolition de l'esclavage est en voie d'être proclamée. Le neveu de Louis, L. François Dubuc de la Rivery souhaita endiguer les idées nouvelles qui nuiraient à l'économie du sucre. Il livra lui-même la Martinique aux Anglais. S'en suit une succession de péripéties financières et familiales. Louis Dubuc du Gallion meurt en son "château" en 1771. La famille déserte le domaine et retourne à Spoutourne. Dès 1825, les cultures sont abandonnées et les bâtiments tombent en ruine.

En marge de l'Histoire

Nous vous rappelons ici que les quatre reines de la Martinique furent :

• Françoise d'Aubigné, la future marquise de Maintenon et future épouse du Roi-Soleil.(voir l'article sur Saint-Pierre)
• L'impératrice Joséphine, grand-mère des têtes couronnées d'Europe. (voir l'article sur la Pagerie)
• Hortence de Beauharnais, fille de Joséphine et mère de Napoléon III. (voir l'article sur la Pagerie)
• Aimée Dubuc de Rivery devenue "sultane Validé".

L'histoire fabuleuse et rocambolesque de la quatrième reine nous est contée par Sidney Daney, visiblement charmé par le personnage né presque un siècle plus tôt que le récit qu'il en fit.

Aimée Dubuc de Rivery est née au Robert en 1766. Plus tard, elle fut envoyée en France pour y recevoir une éducation élégante et soignée. À dix-huit ans, elle fut rappelée par sa famille et embarqua pour la Martinique en 1784. En ces temps de Révolution la belle ne retrouva jamais son île. La disparition de l'héritière engendra de nombreuses légendes. Sidney Daney, nous dit que le navire sur lequel Aimée avait embarqué subit une voie d'eau. Heureusement, un bâtiment espagnol croisait dans les parages et il recueillit l'équipage et les passagers du navire endommagé. Au moment d'atteindre sa destination, l'Espagnol fut attaqué par un corsaire algérien. Aimée, accompagnée d'une vieille gouvernante, fut conduite à Alger. Le dey de cette région fut frappé par sa beauté. Suivant les moeurs orientales il l'offrit en présent au Grand Turc, son maître, Selim III. Celui-ci ne fut pas insensible aux charmes de la captive. La jeune créole, subissant à regret, sans doute, son étrange destinée, devint sultane favorite du Grand Seigneur. Elle lui donna un fils en 1785. Celui-ci prit en 1806 les rênes de l'empire turc, sous le nom de Mahmoud II. Lors de cet avènement, notre héroïne fut promue "Sultane Validé."

Les historiens n'aiment pas cette version de la vie de la dernière héritière des Dubuc. Ils dressent un constat plat et sans appel : Aimée Dubuc a disparu en mer. Un point c'est tout! Dommage, moi je préfère la fable de Sidney Daney qui en fait la quatrième reine de Martinique. N'en déplaise aux grincheux!

Le Château DUBUC en images

Un site en constante rénovation (2007/2017)