HABITATION DEPAZ

Martinique Nord

SAINT PIERRE : Ville du Rhum

En arrière plan de la ville de Saint-Pierre, l'habitation Depaz dégage un charme inimitable. Elle témoigne de la détermination de certains hommes face aux aléas de la nature. Alliant l'harmonie et la majesté des lieux à l'envergure d'êtres d'exception, le domaine Depaz ne peut laisser indifférent.

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Dès 1635, Jacques Du Parquet jette son dévolu sur les terres les plus fertiles de l'arrière-pays pierrotin. Le gouverneur de l'île édifie le domaine de "la Montagne" en habitation-sucrerie renommée. Plus tard, la famille Pécoul en devient propriétaire. Le château Périnelle est bâti juste à côté de l'usine. L'habitation reste prospère jusqu'en 1902. Puis, le 8 mai, le volcan précipite le destin de 30 000 âmes dans le néant. Les seuls rescapés de cette tragédie doivent leur sauvegarde au fait qu'ils n'étaient pas sur les lieux ce jour-là. C'est le cas de Victor Depaz qui avait été envoyé à Bordeaux pour parfaire son éducation. Devenu orphelin par les caprices de la Montagne, il ne reviendra en Martinique qu'à l'âge de 18 ans, en 1904. Il découvrira un champ de ruines et ne reconnaîtra plus le château et les jardins qui avaient égayé son enfance. Le spectacle de désolation n'entachera pas sa détermination. Il se fera embaucher dans les usines du Vauclin où il apprendra les métiers de la canne. Puis, en 1917, Victor Depaz rachète aux héritiers Pécoul 521 hectares de terre en friche. Il se fait aider d'équipes venues du Vauclin et construit une nouvelle usine sous l'oeil endormi de la Pelée. Dès 1922, il obtient pour la qualité de son rhum une médaille à l'exposition de Marseille. À la même époque, il entreprend la construction d'une demeure qui devait ressembler au château Périnelle de son enfance. Aujourd'hui, elle porte le nom de "château" Depaz.

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En arrivant, nous sommes d'emblée conquis par l'entrée du domaine. Des palmiers royaux érigent une haie monumentale de chaque côté de l'allée principale. La perspective est parfaite ! Le regard s'envole vers les sommets de la Montagne Pelée. Dès cet instant, le voile se lève sur une intimité profonde ; une alliance consentie de deux destins. Des vies soumises aux caprices d'une montagne et qui l'acceptent. L'imagination va bon train. Au coeur du domaine, l'habitation principale trône tel un château. Une image forte jaillit immédiatement. Pour ceux qui ont lu l'auteure martiniquaise Marie Reine de Jaham, il est évident que le roman "La Grande Béké" a été inspiré par les lieux ! Nous nous hasardons dans le jardin. Nous devenons voyeurs à notre insu. Nous guettons les fenêtres du château. Nous devinons l'ombre de "la grande Béké" qui passe sur le bois verni des persiennes. Tout ici inspire le romanesque : le jardin, les jais d'eau qui envoient des palmes d'écume vers le ciel, la demeure en pierres de taille adossée au volcan, l'usine encerclée de champs, la canne qui offre ses hampes blanches à l'azur lumineux.

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À l'ombre d'un figuier maudit, je lorgne le château. Derrière lui, la montagne se joue des ombres et des lumières. Un spectacle de cache-cache, où le volcan ne veut pas se dévoiler, tout comme le château qui reste à l'abri d'un immense fromager. Je reste là, frustrée de ne voir qu'une infime partie de la demeure. Ma curiosité inassouvie m'entraîne plus loin sur le chemin. Que j'aimerais pénétrer dans l'antre des Békés ! Mais personne n'ose, le cheminement de l'excursion est balisé par une pancarte : "propriété privée".

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Je me ravise donc et porte mon regard à l'Est au-delà des champs de cannes, la mer des Caraïbes m'offre la plénitude de l'horizon bleu, à l'ouest l'usine tourne à plein régime, nous sommes au début de la récolte de la canne. Je m'intéresse donc à la partie "permise", je scrute l'aire de travail. Vers les chais, les hallucinations me reprennent, il me semble voir le "Maître Savane". Sous un chapeau de cuir perce un regard sombre. L'homme de stature élancée porte des bottes noires, un pantalon bleu de Nîmes et une chemise en jeans dont les manches retroussées dévoilent des bras musclés. Le pas déterminé, il entre dans l'usine vérifie le travail.

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Un camion entre dans le domaine. Il s'arrête à la pesée. La balance voit ainsi défiler 15 000 tonnes de cannes par an. Elle provient des 180 hectares de champs environnants. Dès que le poids de la canne est déterminé, celle-ci doit être traitée immédiatement sous peine de perdre rapidement sa teneur en sucre. L'homme veillera à ce que les opérations d'imbibition soient soigneusement menées. Pour cela, le volcan lui vient en aide et prodigue l'eau la plus pure de l'île, elle tombe en cataractes depuis la source "Goyave" qui alimente la distillerie. Partout l'eau est présente, dans les jardins d'agrément mais également à l'usine où l'eau arrive en jolies cascades vers la roue à aubes qui date de 1750. La canne est déjà acheminée vers les tapis de traitement, les engrenages grincent et grognent car ce sont encore aujourd'hui des machines à vapeur qui entraînent les moulins de l'usine.

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Que c'est beau une usine de "jus de canne"! Nous n'avons jamais vu espace de travail mieux arrangé que l'usine Depaz. Tout est arrangé avec goût. On en oublie le labeur pour ne plus profiter que de l'esthétique. À l'ombre d'un immense caoutchouc, la case à eau, présente l'ingéniosité d'antan pour filtrer l'eau. L'eau circule dans cinq cuvettes différentes avant d'être consommable. Plus loin dans l'ombre des grands arbres, les cases des travailleurs sont fraîchement repeintes. Les cases de bois, bâties dans le plus pur style créole, font honneur au reste du domaine.

Sous le soleil de plomb, une machine à vapeur impressionnante trône devant le petit musée du rhum. De nombreux objets d'autrefois sont exposés : chaudière de colonne, régulateurs de pression... bons de commande datant du début du vingtième siècle... La visite de l'usine est un réel chemin éducatif, qui se termine dans une charmante boutique où nous sommes invités à déguster les meilleurs "crus" Depaz. Une manière bien sympathique d'approfondir nos nouvelles connaissances!

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