Mon kontan sesel (j'aime les Seychelles)

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" En sak vid pa kapab rete dibou : Un sac vide ne peut rester debout (impossible de travailler le ventre vide)" (Proverbe créole Seychellois).

Bonjour,

Nous atterrissons à Mahé. L'île est souvent délaissée par les visiteurs. Elle concentre, il est vrai, la majorité de la population et accueille 90% des Seychellois soit 80 000 personnes pour 144km². Victoria rassemble plus d'un tiers des insulaires. Elle est la plus grande ville de l'archipel, mais la plus petite capitale de l'océan Indien. Une lilliputienne en face de ses voisines : Singapour, Kuala Lumpur, Dubaï, ou même de Port-Louis, sa rivale. Pas besoin de voiture pour en faire le tour, une balade à pied permet d'éviter les bouchons. Car malgré sa taille, elle souffre, elle aussi, de cette maladie endémique aux capitales : un excès de véhicules!

Pensez qu'il y a 280 ans, pas un "bipède" ne sévissait sur ces îles, elles étaient le royaume des tortues éléphantines depuis 200 millions d'années !

L'archipel hors des lignes maritimes sauvegarde longtemps sa richesse endémique. Vasco de Gama en 1502 est le premier à en faire mention, il leur donne le nom d'îles Amirantes. Elles retombent presque dans l'oubli, mais à partir de 1742 le pillage des ressources naturelles commence! Les tortues terrestres ont survécu aux dinosaures et aux bouleversements climatiques, mais pas à la voracité impulsive de ce bipède ex-singe qui débarque de grands navires construits au détriment des forêts de notre merveilleuse Planète! Les tortues sont victimes de leur passivité, faciles à attraper, elles fournissent une viande excellente. Il en est de même pour les lamantins et les crocodiles de mer (ces deux espèces sont éradiquées en moins de 100 ans d'exploitation). Dès 1770, les premiers colons accélèrent le processus : déforestation, disparition d'une partie de la faune et de la flore. Bref, les conséquences classiques de l'installation des "Nouveaux Explorateurs", incapables de protéger, obnubilés par le rendement d'une nouvelle colonie!

En 1786, Monsieur de Malavois débarque aux Seychelles avec pour mission d'arrêter la déprédation du biotope. Les décrets Malavois sont considérés, aujourd'hui par les autorités locales, comme le point de départ des politiques environnementales aux Seychelles. Malheureusement, la passation de pouvoir de la France à la Grande-Bretagne anéantit tous les efforts de préservation, jusqu'à l'arrivée, un siècle plus tard, du sauveur de bien des régions du monde : Charles Darwin.

Le naturaliste anglais pressent l'urgence de sauver ce qui peut l'être encore. Il compare les notes laissées par ses prédécesseurs à ses observations sur le terrain. Il constate que beaucoup d'espèces d'oiseaux, les lamantins, les crocodiles endémiques, les tortues géantes ainsi que nombre d'essences ont complètement disparu de la plupart des îles. Il décèle la richesse inviolée des atolls éloignés tels que Farquhar et Aldabra qui ont, miraculeusement, échappé au carnage. En 1874, Darwin suggère de réintroduire la tortue endémique d'Aldabra sur l'île de Curieuse, voisine de Praslin. Le but est de repeupler tout l'archipel. Mais l'installation de l'homme sur Mahé, Praslin et La Digue cantonne les pauvres reptiles à de longues années d'incarcération. Aldabra reste leur Eden inviolé. L'atoll est actuellement le seul biotope au monde dominé par une espèce reptilienne (plus de 100 000 individus). Il abrite aussi plus de 400 espèces et sous-espèces endémiques (vertébrés, invertébrés et plantes). Dans cette logique darwinienne, en 1980, les autorités seychelloises offrent Aldabra au Patrimoine mondial de l'humanité. L'accès à l'atoll est strictement contrôlé et n'accepte qu'un petit nombre de visiteurs. Son isolement (difficultés d'accès, absence d'eau douce) est une protection supplémentaire. Seule une quinzaine de personnes s'y relayent : des gardiens et des scientifiques.

Quant au reste de l'archipel, les autorités ont fait le choix de ne pas le jeter en pâture au tourisme de masse. Un tourisme incontrôlé défigure inévitablement le paysage par les structures d'accueil. De plus, il engendre une pollution difficile à résorber : déchets, eaux usées, consommation électrique, consommation d'eau potable... Les Seychelles affichent, en comparaison aux destinations similaires (Bahamas, Caraïbe, Maurice...), un taux médiocre du rapport qualité/prix. Ce mauvais rapport endémique est un choix politique et constitue un obstacle "naturel" contre un flux de touristes que l’archipel ne saurait absorber. En signant la convention de l'UNESCO, les Seychelles se sont engagées, de fait, pour le long terme, à respecter un nombre maximal de visiteurs (270 000 en 2016 contre 1.3 million à Maurice la même année).

Trois exceptions infirment la politique de protection de l'environnement : l'aéroport international, "la verrue-palace" du Sheikh Khalifa Ben Zayed Ben Sultan Al Nahyan, et Eden Island! Trois contre-exemples, qui ne remettent pas en cause la volonté globale et farouche de défendre le patrimoine naturel. L'aéroport a détruit une parcelle de lagon, il a fallu attaquer le corail et le granit, un mal nécessaire pour attirer les touristes. Les Seychelles doivent leur viabilité économique, leur stabilité politique et leur développement social au tourisme. Elles maintiennent un équilibre paradoxal, incarné par un développement inéluctable d'une activité polluante et la protection de son environnement. En 1983, la République se dotait de sa propre compagnie aérienne. Les Seychelles sont, avec les Tonga, le plus petit pays à posséder sa propre flotte. Tourisme et écologie faisaient encore bon ménage. Puis, la crise est arrivée, elle s'est installée, et le flux touristique sans se tarir a faibli. Heureusement, un Sheikh est passé par là. Il a injecté dans l'économie de la petite république plus de 150 millions de dollars qui contribuent au bien-être social et à la protection militaire du pays (incluant des patrouilles anti-pirates-Somaliens afin de relancer la pêche artisanale). En contrepartie, il s'établit au coeur du parc national et défigure le morne qui domine la capitale. Enfin, Eden Island financé par des Sud-Africains a vu un simple pâté de corail se transformer en ghetto vénitien de l'océan indien: une marina pour milliardaires. À savoir si ce projet est bénéfique pour les Seychellois?

Ils dénoncent la faiblesse des Politiques face aux mannes étrangères par trop appétissantes! Ils se demandent où passe l'argent. Bref, ils ont les mêmes préoccupations que tous les citoyens du Monde, quant à leurs élus locaux. Laissons les Seychellois régler leurs différends. Espérons que cette évolution se cantonne à Victoria, sacrifiée aux brouilles financières et questions d'éthiques, tandis que le reste de l'archipel, soit 114 îles et îlots gardent leur intégrité et limitent l'impact humain au maximum.

Partons à la découverte de tout ce qui reste de magnifique et merveilleux.

Malgré tout, l'île-capitale mérite qu'on lui consacre du temps. Mahé est sertie d'anses (mot utilisé localement pour "plage"), de baies et de lagons où les blocs de granit participent à sa silhouette inimitable. C'est unique au monde! Notre Planète recèle d'autres sites granitiques, mais nulle part le granit joue la star comme ici. Seules les Seychelles sont assises sur un véritable socle de granit. Ces blocs aux formes infinies réveillent une fascination qui ne s'éteint pas. Par beau temps, par ciel gris, ou sous la pluie, ils nous envoûtent, nous interpellent. Comment une roche aussi dure se laisse-t-elle modeler par l'eau? Par quel miracle les pluies, l'océan, ces myriades de gouttelettes ont-ils façonné ces immenses blocs ? Nous les retrouvons partout : jaillissant de la végétation luxuriante, lascivement ensablés sur d'immenses plages désertes, dressés au sommet des îles, découpés, scindés en blocs équilibristes sur les sommets.

Nous les cherchons partout, dénichant au large d'anses lumineuses des îlots chapeautés d'une végétation improbable. Si l'eau parvient à sculpter le granit, les arbres trouvent dans ses veines la substance vitale pour pousser là où on ne les attend pas : au coeur de la roche posée sur l'océan. Ces petits îlots animent nos rêves depuis si longtemps. Nous sommes entrés dans LA carte postale! Nous égrenons tous les paysages du sud au Nord, en passant par le centre et ses magnifiques randonnées. Nous nous évadons vers les sites solitaires, nantis de liberté. Nous nous régalons de rivages si peu fréquentés que nous en savourons la pleine contemplation. Nous randonnons dans l'immense parc national du Morne, côté rivage pour atteindre la sublime Anse Majour, ou côté forêt pour déboucher sur de majestueux panoramas. Une semaine passe vite à Mahé !

Il est déjà l'heure d'embarquer pour Praslin, deuxième île de l'archipel par sa taille et sa densité de population. Beaucoup plus calme que sa grande soeur, elle est réputée pour sa Côte d'Or, et l'anse Lazio, où tous les visiteurs se précipitent. Nous leur préférons l'anse Georgette qui se gagne au prix d'une belle randonnée sous un soleil de plomb, et l'anse la Blague où le lagon et les îlots de granit ne semblent là que pour nous. Et puis, la célèbre vallée de mai, qui abrite la forêt de cocos de mer endémiques est elle aussi classée au patrimoine mondial. L'arbre fournit les plus grosses noix de coco au monde pouvant atteindre 18kg pièce, chargeant l'arbre de 250 kg de noix aux formes évocatrices, les bien nommées « coco fesses ».

À Praslin, nous avons la chance d'embarquer à bord de " Ventura" piloté par Martin. Une journée féerique! Martin nous emmène à l'îlot Saint Pierre, où en palmes-masque-tuba (PMT), nous découvrons les immenses platax des poissons plats escortés par de menus poissons jaunes fluo. Ils sont tranquilles se laissent filmer, tandis qu'au-dessus de nos têtes tournoient des Gysi, les sternes blanches les plus élégantes qui soient.

Après cette baignade, nous partons sur l'île de Curieuse. L'île des bonheurs intenses!

Grâce à Darwin, l'île entière est consacrée aux tortues éléphantines, endémiques d'Aldabra (Aldabrachelys gigantea). Les Humains, quant à eux, sont parqués dans une aire de pique-nique et des chemins balisés. Libre aux tortues de s'isoler ou de venir vers les visiteurs d'un jour. Au dernier recensement, elles étaient cinq cents. Dès qu'elles repèrent que nous avons des bananes dans les mains, elles viennent à nous, et commencent une longue opération de séduction. Elles sont insatiables en nourriture, mais également en câlins! Comment ne pas craquer devant la gourmandise et la sympathie de ces êtres pacifiques, curieux et drôles? Il se dégage de leur mendicité affectueuse, une émotion, une humanité capable d'attendrir la plus dure des carapaces. Nous passons la journée avec elles, nous nourrissons le sentiment serein qu'elles sont en sécurité. Aucun humain mis à part les gardiens et scientifiques qui se relayent n'a le droit d'y vivre en permanence. Les cyclones passent loin au sud. Le dernier en date (avril 2016) a failli décimer la population d'Éléphantine de Farquhar. Fantala est le cyclone le plus puissant jamais observé dans l'océan indien. Il a traversé l’île Farquhar, aux Seychelles, par deux fois en une semaine. Les vents enregistrés d'une puissance démoniaque ont atteint 350 km/h. Cet événement donne raison, aux préconisations de Darwin, il est plus que jamais primordial de consacrer des îles hors zone cyclonique aux dernières représentantes éléphantines de l'océan indien !

J'ai du mal à partir de Curieuse...

Après Praslin, nous poursuivons le circuit classique des Seychelles et débarquons à La Digue. C'est l'île préférée des touristes. Certains visiteurs ne prennent pas la peine d'explorer les deux grandes soeurs et se cantonnent à La Digue. L'ambiance y perd en authenticité. Huit cents personnes sur les deux mille habitants vivent du tourisme, sept personnes sur dix sont des touristes, une maison sur trois est une pension de famille. La Digue est réputée pour sa circulation "écologique", le vélo y étant roi! Pourtant, on y voit quelques 4*4 et les voitures électriques y acquièrent un succès grandissant face au déclin du char à bœufs. L'un d'eux fait de la résistance, et balade les jeunes mariés.

La célèbre Anse Source d'Argent récolte la palme de la beauté en tant que site granitique et lagon. C'est splendide, magique, magnifique, et je peux continuer à égrener les superlatifs sans mentir. Le petit bémol de ce site est l'entrée payante qui limite l'accès, et son succès! Forcément! Tout le monde vient à La Digue pour l'Anse Source d'Argent, c'est un MUST ! Néanmoins, en se faufilant aux premières heures, il est possible de dénicher des angles photogéniques vierges de tout chapeau, bourrelet disgracieux et selfie aux poses scabreuses. Pourtant, c'est à la mi-journée que le lagon révèle ses plus belles couleurs. Le dilemme est simple, soit on est tout seul avec des couleurs pâles, soit on se retrouve avec le gros de la troupe et de magnifiques couleurs. Une solution pour allier les couleurs et la solitude : s'aventurer sur les rochers, les escalader par un chemin non balisé, et le tour est joué! À nous la contemplation sereine ! À nous, les clichés de choix !

Le reste de l'île est très agréable, seul un tiers est construit et habité, le reste est sauvage, voire inaccessible, sauf à faire appel à un gars du coin qui ouvre les chemins les plus improbables!

Durant notre séjour nous faisons connaissance avec Kevin, capitaine d'un bateau à moteur. Il nous emmène sur les satellites de La Digue! Une nouvelle journée de bonheur où nous atteignons l'extase en nous baignant avec une tortue particulièrement amicale. Depuis 2003, les plus fidèles d'entre vous savent que ce n'est pas une première pour nous. Nous avons eu mainte fois l'occasion de nous baigner avec les tortues marines. Pourtant, nous découvrons que ces princesses océanes sont elles aussi capables de gentillesse, tout comme leurs cousines terrestres de Curieuse. Incroyable rencontre avec cette tortue, qui semble apprécier notre compagnie. Elle nage tranquillement avec nous. Elle s'approche avide et espiègle et je me retrouve souvent nez à nez (masque à bec!) avec elle. Plus rare encore, nous renouvelons l'expérience deux fois dans la même journée, pour de longues baignades si bien accompagnées.

Cette fois, j'ai du mal à sortir la tête de l'eau !

Les Seychelles sont une valeur sûre en tant qu'îles-cocotiers-qui-font-rêver. Globalement, la population est favorable au tourisme, car elle en vit. Ce qui implique un accueil relativement aimable, et surtout aucun racisme vis-à-vis de l'étranger de passage. Les Seychelles ont su, sous l'impulsion de grands hommes visionnaires, préserver leur patrimoine naturel. Leur politique tente de s'adapter aux contraintes économiques liées à une démographie croissante, tout en préservant ce trésor irremplaçable! Cette option est inamovible et passe par une cherté des séjours sur place. Il faut l'accepter. Toute personne qui désire visiter les Seychelles y mettra le prix, sans bénéficier d'un service correspondant au débours, mais elle y trouvera des valeurs environnementales rassurantes, et visibles sur une majorité des îles de l'archipel.

Si c'était à refaire, je consacrerais une semaine de plus à ce voyage, ajoutant l'île de Silhouette, au caractère volcanique et ombrageux, qui aurait apporté une note de réelle authenticité à cette découverte. Et si je revenais dans l'océan Indien pour une longue période, je ne choisirais plus Maurice l'hindoue comme port d'attache, mais Seychelles la créole. Cet avis est très partial et exclu l'aspect financier. Mais la myriade d'îles offre tant de possibilités que je quitte l'archipel avec l'envie d'y revenir pour voir le reste, ces îles différentes, non courues par le tourisme, où les Seychellois vivent à leur rythme.

À plus, sur les chemins du Monde
Nat et Dom


La photo du jour

Nous rentrons dans la carte postale Seychelloise : sable blanc, cocotiers, immenses blocs granitiques.

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