Les Philippines, pays bonheur

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" Voyagez léger, le bonheur a tendance à se perdre dans les bagages. " Odile Dormeuil.

Bonjour,

Pour ceux qui nous suivent depuis le début, ils remarqueront que nos lettres d'escale se sont quelque peu espacées. Non que l'envie de partager se soit émoussée, je continue à tenir le blog régulièrement. Non plus que le voyage soit devenu un mode mineur dans nos vies. Sans doute, est-ce du fait de l'évolution des moyens de communication. Au début de ce voyage, en 2003, le mail était la seule manière de donner des nouvelles, aujourd'hui avec Facebook, chaque jour je donne un petit bout de notre parcours, une impression d'ailleurs. La lettre d'escale résumera désormais plusieurs mois de déambulation sur le planisphère.

Depuis que nous avons quitté le Pacifique, nous sommes basés dans l'océan Indien au coeur des Mascareignes, c'est le port d'attache provisoire de cette zone du monde. Ce qui ne nous empêche pas de flirter avec d'autres régions, il est si facile de s'assoir dans un fauteuil, de décoller et d'atterrir quelques heures plus tard ailleurs! Nous avons consacré ce début d'année à un pays que les guides qualifient du "moins asiatique des pays d'Asie du Sud Est" soit les Philippines. Cet archipel nous attirait comme un aimant. L'idée de départ était de nous y installer, mais nous ne sommes pas encore prêts à prendre racine. Ainsi, d'un projet d'investigation nous passons tout simplement à un voyage de découverte. Que rêver de mieux qu'un archipel de 7107 îles?

Départ de l'île Maurice qui se débat avec la saison cyclonique et ses inondations, pour nous envoler, vers une première escale : Hong Kong. Cette ville est complètement dingue! Elle détient le record du plus grand nombre de gratte-ciel au monde réunis dans une même agglomération, juste devant New York et Shanghai. Autant dire qu'on s'y fait rapidement un torticolis ! Le plus haut d'entre eux atteint 484 mètres, c'est "l'international Commerce Center" terminé en 2010. Ce qui le situe au top de Hong Kong, mais pas du monde, où il n'est qu'en huitième position. Le plus grand édifice du monde se trouve à Dubaï avec 828 mètres, le second titre 632 mètres à Shanghai, et le troisième est à La Mecque avec 601 mètres, puis New York avec le 1WTC et ses 541.3 mètres, puis jusqu'à la huitième place ce ne sont que des lauréats chinois... Notre tour de Hong Kong nous paraît déjà bien haute, surtout lorsque ses 20 derniers étages gravitent dans les nuages, et que son 108e et dernier étage passe au-dessus pour tutoyer le soleil!

Vous l'aurez compris, une épaisse masse nuageuse ou de pollution, il vaut mieux ne pas le savoir (!) voile les derniers étages des immeubles. Qu'ils soient commerciaux ou d'habitation, cette démesure est effrayante. Les appartements minuscules dévoilent des petites lucarnes qui donnent sur les fenêtres toutes proches des immeubles voisins. J'ai la sensation en levant la tête de voir basculer ces immenses masses de béton. Je m'imagine mal partager à long terme le quotidien de la péninsule de Kowloon où nous logeons. Nous n'ajoutons pourtant avec notre venue, qu'une infinitésimale densité à celle existante. En effet, cette région concentre plus de 30.000 habitants au kilomètre carré. Le quartier voisin de Mong Kok est le plus dense au monde affichant entre 150.000 et 200.000 habitants au km².

Outre l'impression d'étouffement par la "masse humaine", nous nous sentons quelque peu exogènes au coeur de l'industrie du luxe. Nous ne comptons plus les boutiques Rolex, Cartier, Channel, Dior, Piaget... Causeway Bay est l'endroit où se regroupent les plus prestigieuses marques du monde, c'est aussi la deuxième place la plus chère au monde, puisqu'il faut pas moins de 23.000 euros par mètre carré pour y louer un emplacement. On nous murmure à l'oreille qu'il faut débourser 200.000 dollars pour acheter un petit mètre carré dans les quartiers d'habitation les plus chics de l'ex-colonie britannique.

Je cultive cette image de Paris, où l'on ne voit jamais personne dans les boutiques de la place Vendôme ou de la rue de la Paix. Ici, à Hong Kong ça grouille dans chaque boutique, les Chinois et riches consommateurs des pays voisins se lâchent littéralement. Nous les croisons entre deux boutiques. Ils y remplissent des valises à roulettes. Nous nous baladons au coeur de cette ville, comme des Indiens, il ne manquerait plus qu'un arc et des flèches dans le dos!

Cet accoutrement nous serait plus utile dans les 80% de territoire inaccessible de Hong Kong. Car je vous rassure, cette démesure démographique, de béton et de luxe ne se dispute que 20% du territoire utilisable soit 1100 km². Les guides touristiques nous parlent de plages désertes et sauvages. Sur celles qui sont accessibles, nous voyons une mer rose fluo à l'écume suspecte qui roule sur le sable. (Passez-moi un planisphère... Ce n’est pas ici la mer rouge?) Cette mer est sillonnée de cargos, paquebots, ferries et toute embarcation typique ou touristique, je n'oserais y tremper un orteil, et je me demande comment les poissons, que quelques vieillards s'obstinent à pêcher, y survivent.

C'est avec un mélange de soulagement et d'inquiétude que nous nous envolons pour les Philippines. Cet archipel, nous l'espérons tant. Sera-t-il à la hauteur de nos rêves?

Les premières heures sont laborieuses, nous nous débattons à trouver les administrations d'immigrations qui nous permettront d'obtenir un visa de séjour. En effet, il est nécessaire pour une durée dépassant 30 jours. Nous avons voulu éviter Manille, trop grande et peu recommandable, ainsi nous arrivons sur Cébu la capitale des Visayas, sous-archipel du centre des Philippines. Malgré la bonne volonté des Philippins auxquels nous nous adressons, et qui se mettent en quatre pour nous indiquer la localisation du bureau convoité, nous finissons par le trouver par hasard. Nous obtenons nos visas en moins d'une heure.

Cette première approche ne peut et ne doit pas rester dans nos esprits comme ce qu'il y a de plus représentatif aux Philippines. En effet, les taxis sont de vrais filous et ils appliquent la "skin taxe" (impôt de peau ou prix qui change à la vue d'un étranger). La ville a attiré du monde venu des campagnes pour trouver l'Eldorado. Au bout du chemin, ils ont perdu leur terre nourricière, pour ne trouver qu'une vie misérable à squatter des containers aux abords des ports de commerce. J'y ai vu des femmes faire la lessive à l'eau de poussière dans les caniveaux. Des conditions de vie insupportables qui entraînent inévitablement la délinquance et la prostitution. Dans l'hôtel que nous avons choisi le plus excentré possible, et pourtant "de bonne réputation", le "commerce des filles" me rebute. En Thaïalande cette forme de tourisme m'avait donné des hauts le coeur. Ici, pareil, des vieux, bedonnants, refusant leur andropause se payent de mignonnes jeunes filles, trop jeunes... J'ai failli casser ma valise sur la tête d'un "Américano-Australien" qui traitait une jeune personne comme on ne l'imagine pas...

Je vous rassure, par la suite, dans les campagnes, nous avons rencontré quelques couples mixtes, établis. L'étranger est chouchouté par la famille philippine dont il augmente le niveau de vie sensiblement. Des couples stables, unis par de vrais sentiments, et des enfants qui trouvent une vraie chance dans cette union. Cela existe aussi... Heureusement ! Nous avons ainsi discuté avec plusieurs d'entre eux, dont un Canadien qui avait trouvé l'âme soeur. Il n'était plus de première fraîcheur, sa compagne allait fêter ses 50 ans. Elle avait passé 20 ans de sa vie à travailler à Dubaï, tous ses salaires avaient permis à sa famille de vivre, à sa fille d'être éduquée par ses grands-parents. Un sacrifice pour la maman de se couper de sa fille qui n'avait que deux ans, et de son pays. Au retour, son sort est à peine meilleur, ayant envoyé tous ses salaires pour faire vivre sa famille (parents, frères, soeurs). Aujourd'hui, elle peut se payer un bout de terrain, mais n'a pas les moyens d'y construire sa maison. Son "homme" l'aide, elle trouve en lui un compagnon, une vie plus facile, et de vrais sentiments pour les unir. Ce cas n'est pas unique, il est le sort de millions de Philippins. Un chiffre éloquent : "la population philippine travaillant à l'étranger participe largement à l'économie nationale, puisqu'elle contribue à hauteur de 10 % environ à la formation du PIB." (Wikipédia)

Nous nous évadons de cette grosse agglomération pour le sud de Négros Oriental. Nous nous languissons de trouver l'authenticité.

Comme première escale nous avons choisi une région oubliée du tourisme : Siaton, dans le sud de Negros. Nous vivons dans des maisons de bambou au bord de l'océan. Personne n'a pu me dire si c'était déjà l'Indien ou encore le Pacifique, nous sommes entre les deux, mais aussi entre deux mers, celles de Sulu et de Bohol. Nous vivons au coeur de la campagne philippine, entre rizières et villages de pêcheurs. Nos hôtes, des Anglais, ex-soixante-huitards, vivent ici de longue date. Leur pension à flanc de falaise fait vivre plusieurs familles environnantes. Les pêcheurs, du village voisin, partent sur leur bangka au coeur de la nuit, leurs moteurs à ciel ouvert et à échappement libre nous réveillent un peu au début, puis nous nous habituons.

On nous avait prévenu : "Ici, c'est le pays du bruit".

Un peu comme toute l'Asie. Le bruit rassure la population. Et ils ont de quoi se rassurer! Le maître des routes est le véhicule à deux roues si bien rentabilisé qu'on y a compté plus de 6 personnes, version 2 roues et 16 personnes en version 3 roues, mais il est capable aussi de transporter du matériel tout comme une camionnette. Nommé habal habal, il concurrence le niveau sonore de la bangka (pirogue à double balancier). Si l'un et l'autre se taisent comme par miracle, le vidéoké prend inévitablement le relais!

Ha! Le vidéoké! Une institution! Interdiction de rire! Et si vous vous trouvez par hasard dans un village qui organise un concours de vidéoké... demandez votre extradition, car aucune boule Quiez, des plus puissantes au monde n'en viendra à bout!

Cela dit, les Philippines comptent 7107 îles, et de quoi se trouver des nids douillets à l'écart des plus déchaînées des concours, ou des routes. Quant aux villages de pêcheurs, nous n'avons eu aucune envie de les éviter, c'est là au coeur de la population philippine que nous trouvons le plus d'authenticité. Nous nous y baignons aussi, dans les marchés, comme celui de Malatapay. Quelle expérience! Nos narines se familiarisent à l'odeur persistante des poissons séchés, nous profitons des étals de fruits, nous sommes adoptés par les éleveurs qui vendent ou achètent les bêtes sur pied. Pas loin de cette foire et du bureau de pesée, nous découvrons le "produit fini" découpé avec précision par le boucher du coin. Ne cherchez pas les normes d'hygiène ou à suivre la chaîne du froid, vous vous perdriez en route! Tout y est des plus spontané et vrai! Y compris le sourire de tous.

À la fin de la journée, mes zygomatiques sont en feu!

Je me suis fait un point d'honneur de répondre aux bonjours joviaux, aux sourires adorables, aux intentions si touchantes de toute la population. Avec un couple d'amis, nous sommes les quatre seules personnes venues de l'extérieur, et croyez-moi, ici nous ne serons jamais soumis à la "skin taxe"! Les familles sont intéressées, mais pas pour monnayer leur production, ils nous demandent si les Philippines nous plaisent, si nous reviendrons. Ce peuple est terriblement attachant. Je pense qu'il peut être qualifié du plus gentil de la Planète. C'est fou! Cette gentillesse qui déborde de partout. Nous ne comptons plus les moments, où ils nous demandent s'ils peuvent nous aider. Nous voyons parfois des familles pauvrement vêtues, vivant dans des maisons de bambous, malmenées par les affres climatiques. Ils subissent annuellement le passage d'au moins 20 typhons, régulièrement la terre tremble, les volcans se réveillent, ils ne sont pas à l'abri des tsunamis. Mais tout cela, ne les affecte pas à long terme. Ils vivent au jour le jour, sans penser à demain, en oubliant hier qui parfois les a malmenés, et tout ce qu'ils demandent c'est : "peut-on vous aider?"

J'ai rencontré plusieurs expatriés installés sur place, à chaque fois, ils nous disent : "voilà un peuple en lequel j'ai confiance".

Vous ne trouvez pas ça formidable? Moi, j'ai été complètement bluffée par les Philippins!

Depuis Negros, nous partons pour le Sud de l'île de Cébu, là nous avons rendez-vous avec un vieux rêve : rencontrer des requins-baleines, ces poissons, les plus grands au monde, m'attirent depuis toujours. À Cébu, une dizaine de ces gros animaux placides vont et viennent. Ils sont protégés par les autorités. Si avant les pêcheurs les tuaient pour leur viande, aujourd'hui, ils ont été sensibilisés et les protègent. Les pêcheurs se sont reconvertis en hôtes pour les touristes locaux, et étrangers afin de faire découvrir ce patrimoine unique. Les requins-baleines vivent en toute liberté. Nous les rejoignons en bangka à rame, pour une baignade inoubliable d'une bonne heure en leur compagnie. Quelle émotion lorsque l'un d'eux s'approche de moi, gueule béante, à la recherche de microparticules dont il se nourrit!

Sur l'île voisine d'Apo, nous rejoignons les tortues qui ont décidé de vivre en lisière d'un village de pêcheurs. Ceux-ci au lieu de "massacrer" ces pauvres bêtes ont décidé de les préserver. Personne ne s'explique la sédentarité de cette communauté de tortues. Elles viennent brouter l'herbier local dans un à deux mètres d'eau tout au bord du village. Elles sont arrivées peu après un important cyclone qui avait détruit le récif corallien et du coup le garde-manger de la petite île. Par leur fidélité, elles offrent, et pour longtemps, aux pêcheurs une autre source de revenus, celle des visiteurs qui se régalent comme nous à nager avec ces belles princesses gracieuses.

Repus du sud de Negros, nous montons vers le Nord et rejoignons, dans la province de Negros Occidental, la région de Sipalay. Nous logeons, là aussi, dans une maison de bambous qui surplombe une plage. Dans cette région, je craque littéralement pour la "baie des mamelons" je la surnomme ainsi, car personne sur les cartes ou sur les rares panneaux de signalisation n'a pensé à lui donner un nom. Cette petite baie enclavée au coeur de collines en forme de mamelons est une pure merveille. Des pêcheurs ont agrippé leur cabane dans la roche acérée. Nous sillonnons la région à pied, mais également en bangka. Pur bonheur que cette barrière naturelle, soyeuse, et gracieuse contre l'océan. À l'intérieur de la baie, un petit "lac" aux eaux émeraude ou jade ravissent le regard qui voudrait s'y perdre à jamais.

À Sipalay, nous nous perdons volontairement dans un village de pêcheurs. Nous laissons la voiture au coeur du hameau. Un instant, un vieux réflexe né en Amérique latine me fait craindre le pire, j'y ai laissé mon sac... En réalité, personne ne s'occupe de la voiture, les enfants sont si contents de nous voir, qu'ils nous montrent leur pêche qu'ils font sécher au soleil. Défense absolue à mes narines sensibles de faire un quelconque commentaire ! Et d'autres groupes d'enfants s'amusent à construire et à faire décoller des cerfs-volants. Ils nous appellent, et tiennent à ce que Dom les filme, et que je fasse un maximum de photos! Les Philippins sont les meilleurs modèles qui soient! Ils adorent poser! C'est une requête permanente. Là encore, je repars les zygomatiques en feu tant j'ai répondu aux sourires et rires de chacun.

Au Nord de Sipalay, les routes de bord de mer ne sont pas encore construites. Nous remontons au plus haut que le chemin nous le permet, puis sur le sable, nous arrêtons la voiture, nous sommes au bord de l'embouchure d'une rivière. Immédiatement, une famille vient à nous, nous demande si elle peut nous aider. Je leur dis, sans trop y croire, que j'aimerais poursuivre plus vers le nord, voire de l'autre côté de la rive, et atteindre cette zone sans route. Qu'à cela ne tienne ! Une bangka attend là, sur le rivage. Un jeune homme prénommé Macmac et son jeune frère Keken la mettent à l'eau. Nous embarquons sans plus de formalité.

Macmac nous fait découvrir ce rivage qui nous aurait été interdit, sans cette balade en bangka. Des falaises polychromes, des plages désertes, des petites anses dans lesquelles nous nous arrêtons pour nous baigner. Quand je lui demande comment s'appelle l'endroit, il me dit : "il ne porte pas de nom, mais si vous voulez on l'appellera Bulisan." Va pour Bulisan! Chaque jour aux Philippines nous avons trouvé sur notre route de bonnes âmes, qui n'attendaient rien, et qui ont arrêté le cours de leur quotidien pour nous permettre de découvrir leur environnement. Comme ça, parce que le hasard nous a conduits là. Pratiquement chaque jour, nous avons trouvé à nous embarquer à bord de bangkas. Parfois, n'ayant sous nos fesses que deux petits rondins de bambous, mais toujours émerveillés de la disponibilité d'un peuple, non préparé à voir débarquer deux voyageurs curieux!

Le prix de la liberté !

Néanmoins, je dois être sincère, et si nous sommes sous le charme des découvertes de ce voyage, celui-ci se paye par des heures laborieuses de voiture. Nous avons décidé d'être libres; ce qui ne va pas de soi aux Philippines. Trouver une voiture de location, sans chauffeur, n'est pas encore tout à fait inscrit dans les moeurs. Et nous comprenons pourquoi, lorsque nous nous frottons à l'état des routes. Aux abords des grandes villes, elles sont bitumées et presque planes. Plus nous nous éloignons des agglomérations plus l'état en devient aléatoire. Les voitures sont encore rares dans les contrées que nous avons choisies. Les tricycles motorisés font la loi dans les villes importantes, ils sont remplacés par des tricycles à vélo dans les villes de province. Sur les routes, nous croisons plus de deux roues que de voitures, et plus de buffles que de tracteurs. Sur tout le séjour, nous n'avons vu qu'un seul engin agricole. Par contre, les Jeepney (anciennes jeeps reconditionnées en minibus publics) sont légion. Tout comme les "deux (trois)-roues, ils sont mis à contribution par les habitants pour se déplacer en grand nombre et avec beaucoup de matériel! Lorsque l'espace intérieur est plein, le toit est colonisé donnant à ces véhicules des allures gigantesques d'équilibristes.

Les panneaux de signalisation sont rares, ainsi le GPS est très utile pour ne pas se perdre. Quoique, parfois, notre GPS nous situait en pleine forêt, ne voyant pas la piste qui était sous nos roues. En général, on parle de durée nécessaire d'un point à un autre, et non de distances en kilomètres. Car cette dernière mesure n'a ici aucune valeur. Ainsi, pour rejoindre notre maison de bambou à Siaton,depuis la grand-route nous mettons 45 minutes pour parcourir 10 kilomètres. Tandis que nous empruntons la "high way" (autoroute de deux bandes à circulation inversées), nous mettons 6 heures pour parcourir 160 kilomètres, ce qui donne une moyenne de 26 km/h! Ce n'est évidemment pas en raison des bouchons! Certains trajets ont tant fait souffrir mon chauffeur préféré, que je lui disais dessert les dents! Ainsi monter au lac de Balanan nous a pris 2h30 pour 11 kilomètres. Arrivés à destination, un guide local nous a dit : "vous êtes montés avec ça?" "Ça" est une Toyota qui a résisté à tous nos caprices et dont on a usé lors du premier mois, les deux pneus arrière! (Rappelez-moi, le jour où nous choisirons un point fixe, d'acheter une Toyota!) Avant de changer d'île, nous laissons la voiture au loueur, qui fait mine d'ignorer la chose, et nous laisse partir le coeur léger. Pas si léger ! Nous déplorons le meurtre de deux poules suicidaires qui se sont jetées sous nos roues!

Nous avons sillonné Negros Occidental et Oriental pendant plus d'un mois, cette île de plus de 12.000 kilomètres carrés n'a pas livré tous ses secrets, et laisse la porte ouverte à notre curiosité, pour un éventuel retour. Qui sait?

Nous partons sur Palawan la plus occidentale des îles des Philippines.

Une "enfant gâtée", par rapport à ses soeurs de l'est, car elle se situe en dehors du chemin emprunté par la majorité des typhons. Elle ne déplore, en moyenne, qu'un phénomène par an. Elle est moins soumise aux tremblements de terre ainsi qu'au réveil de volcans. Elle est donc l'une des îles les plus à l'écart des affres de cette nature philippine turbulente. Pourtant, elle est délaissée de la population, et présente une densité d'à peine 51 habitants au kilomètre carré, contre 340 dans l'archipel. Autant dire que Palawan fait figure de désert démographique au sein d'un pays qui est, en 2014, le 12e mondial à dépasser la barre des 100 millions d'habitants. L'île étendue sur 400 km de long et 40 km de large compte une "seule vraie" ville : Puerto Princesa. Il y a peu encore, elle ne possédait pas d'ATM (distributeur de billets). Si Puerto Princesa ne présente pas encore une urbanisation exacerbée, celle-ci se place lentement, et attire par son côté excentré les candidats à une retraite d'expatriés, amoureux de tranquillité.

Le Sud est le royaume des moustiques qui propagent volontiers la malaria. Une tribu ancestrale, les Tau’t Batu, complètement isolée depuis des milliers d'années, y a été découverte en 1978. Leur nom signifie « homme des rochers », car ils vivent encore pour la plupart dans des grottes. En tant que visiteur lambda, il nous est interdit de leur rendre visite, afin de les épargner de toute maladie. En revanche, des exploitations minières de Nickel et de Chrome sont permises (?). En outre, si l'étranger de passage n'est pas adepte d'un trekking dans la jungle, les deux mains attachées dans le dos, un bandeau sur la bouche, voire sur les yeux, avec comme aiguillon une mitraillette, il préfèrera certainement se balader au nord de Puerto Princesa et éviter la partie sud, qui préservera pour longtemps encore, grâce à un groupuscule musulman indépendantiste, son "aspect sauvage".

L'extrême nord de Palawan est l'une des zones les plus connues des itinéraires touristiques avec El Nido et son archipel des Bacuit. San Vicente à mi-chemin entre Puerto Princesa et El Nido aimerait à terme concurrencer ce chouchou des "back-packers". Pour l'heure, et vu l'état des routes, et du petit nombre de possibilités d'hébergement, nous sortons des sentiers battus et nous aimons ça. Comme d'habitude, la voiture n'aime pas trop nos escapades, à présent nous louons une petite Zuzuki, mais sa direction tremble dès qu'elle atteint 60 km/h. Nous ne sommes pas pressés et la plupart des routes ne permettent pas de dépasser le 20 à l'heure, tout va bien! À San Vicente, nous nous régalons d'embarquer à bord des bangkas et de sillonner l'archipel qui s'étale au large. Des îles sauvages, des plages désertes, des eaux cristallines ... tous les ingrédients du Paradis sont ici réunis. Nos hôtes, Steve et Sarah sont adorables. Nous sommes encerclés de deux villages de pêcheurs. L'un présente des ruelles et des maisons de parpaings, une supérette, de quoi s'approvisionner pour l'essentiel. L'autre n'est fait que de maisons de bambous. Un village qui manque de moyens selon les carcans du 21e siècle, mais qui nous attire comme un aimant. Les enfants y deviennent nos amis, et jouent avec nous sur la plage. Les grands-mères fières exigent des photos de familles. Partout, l'odeur du poisson séché s'infiltre jusque dans les mailles les plus serrées de nos vêtements. Mais quel bonheur d'être accueillis avec tant de générosité au coeur même de l'humilité! Nous nous fondons dans les travaux de rizières, où l'homme et le buffle solidaires travaillent pour engranger la nourriture de tout un village. Ils vivent de l'essentiel. Et nous offre une leçon de vie supplémentaire.

Plus tard, nous irons plus au Nord, rejoindre l'archipel des Bacuit. Le sentiment sera différent. Le paysage y est extraordinaire, des lagons, des roches acérées. Il est si facile de réveiller en nous l'âme de Robinson, sur telle ou telle île au large de Palawan. Pourtant, autour du centre touristique, nous déplorons les conditions de vie des habitants qui ont cru trouver ici une manne dans l'afflux touristique. Le rêve de paradis des uns devient l'enfer des autres qui ont quitté leur terre nourricière.

Palawan attire aussi les touristes locaux autour de ce que les Philippins n'hésitent pas de qualifier la 7e "nouvelle merveille du Monde", qu'est la rivière souterraine de Sabang. Une fierté légitime pour cette rivière de plus de huit kilomètres qui s'enfonce sous la roche, au coeur d'une forêt qui protège encore quelques variétés endémiques, inscrite au patrimoine de l'UNESCO. Gageons que l'afflux touristique ne gâche pas ce merveilleux patrimoine naturel? Et ici aussi, la population ne semble pas aussi heureuse que dans les campagnes.

Nous préférons nous enfoncer au coeur de la forêt, au bord de la rivière inconnue et donc délaissée de Maoyon. Les bangkas utilisent la rivière comme voie entre leur maison du centre de l'île et le rivage où ils vont pêcher. Personne n'a besoin de voiture. Des maisons de bambou abritent une population qui se suffit des ressources environnantes. Elle pêche, elle cultive, les enfants vont à l'école publique (à pied!), je ne décerne aucune once de tristesse, de regret, d'envie, dans les yeux de ces familles qualifiées de "pauvres". Et je me demande... "Pauvre" ça veut dire quoi? Est-ce ne pas avoir les moyens d'avoir une voiture, une maison de béton, des appareils sophistiqués? Cela signifie-t-il plutôt que nous ne sommes plus capables de vivre tout simplement au bord d'une rivière?

Nous quittons nos hôtes de Palawan, le coeur serré, avec l'envie furieuse d'y revenir ! Siquijor, l'île aux Sorcières nous tend les bras.

L'île a mauvaise réputation dans le coeur des Philippins. Ils se méfient de son ambiance, ils soupçonnent les "guérisseuses locales" de jeter des sorts. En réalité, les habitants, qui n'ont pas les moyens de passer d'une île à l'autre pour se faire soigner, ont développé un système médical autarcique des plus original. Certaines femmes, nourries d'un don, accueillent chez elles les "malades de tout type". Elles se munissent d'un verre rempli d'eau, d'une paille, et soufflent dans celle-ci au niveau du mal. D'où leur nom "Bolo Bolo" qui fait penser au bruit qu'elles font. Le liquide, au rythme où le syndrome quitte le patient, se métamorphoserait. Au bout de la séance, la guérisseuse a transféré l'infection du patient dans le verre! Le prix de la consultation est à la discrétion du visiteur.

Outre ces pratiques originales, l'île est un petit paradis de 300 km². Un microcosme encore à l'abri du grand développement qui sévit chez sa voisine, Bohol. Ici, tout comme à Negros et Palawan, nous avons franchi la porte du temps : il ne se compte plus au rythme atomique. Au coeur de l'île des cascades aux bassins de jade s'offrent à de délicieuses baignades, des grottes souterraines nous donnent l'occasion de nous prendre pour des spéléologues, des lagons nous invitent à nous aveugler de leur lumière, des villages de cases en bois suspendus à des ponts de bambous enjambent des mangroves. Siquijor réveille notre âme d'enfant. Nous y perdons la notion du monde extérieur, et finissons par penser, comme la population locale qui se suffit de ce petit territoire, que nous n'avons rien besoin d'autre! Chut! Nous y avons repéré une maison (du grand luxe! trois chambres, et tout le nécessaire prévu) pour un loyer de 450 euros par mois, à condition d'y résider 3 mois!

Tout à côté de Siquijor, à Bohol, nous avons failli mal finir !

Bohol reste à nos yeux, une île ébranlée par ce violent tremblement de terre de magnitude 7.2 qui l'a frappée en octobre 2013. Elle n'est pas complètement relevée de cette tragédie qui fut immédiatement suivie d'un des plus violents typhons, Haiyan, dont tout le monde se souvient par la destruction totale des îles voisines de Samar et Leite. Beaucoup d'habitants ont tout perdu. Le travail d'une vie, pour se construire une maison "en dur" balayé en quelques secondes. Les dégâts matériels sont colossaux. Cent cinquante personnes ont trouvé la mort. La "casse humaine" est limitée grâce à une majorité de constructions en bambou qui ont oscillé tels des roseaux, mais n'ont pas écrasé leurs habitants. Jo-Ann notre hôte nous parle souvent du traumatisme provoqué par cette succession de catastrophes.

Bohol s'est ouverte au tourisme en grandeur XXXL! L'île est grande, et il nous a fallu une bonne semaine d'adaptation avant de trouver les chemins de traverse. Si Panglao, la rivière Loboc, et les alentours de Tagbilaran (la ville principale) sont à éviter, pour la fréquentation touristique et leurs bouchons suffoquant, le reste de l'île est comme ailleurs délaissé par les voitures et les touristes. Le nord et l'est de l'île nous ont réservé d'excellentes surprises. Nous y avons retrouvé l'ambiance des rizières, des bords de rivière, le sourire des enfants... Dans l'est, Anda nous a subjugués par la couleur de la mer, mais également le site préhistorique de Lamanok qui témoigne d'une présence humaine depuis les temps les plus reculés. Combien de temps? Le flou explicatif de notre adorable guide Terry restera dans les anales. Car elle ne découpe pas l'Histoire de la manière conventionnelle, prenant Jésus Christ comme charnière, ce qui est étonnant pour un pays à 96% catholique! En réalité, l'Histoire commence avec sa propre naissance et tout ce qui est avant remonte à très très très longtemps ! C'est le "Philippine-style" que nous savourons depuis le début de notre séjour, et que nous n’échangerions pas contre l'exactitude d'explications hautement scientifiques.

Ainsi s'achève notre voyage aux Philippines.

Il a imprimé une page en or dans notre coeur, et remonte à la première place du palmarès de nos chouchous dans le monde. Sa population est d'une gentillesse à toute épreuve. Ses paysages sont variés, plaisants, je dirais à échelle "humaine". Voilà le qualificatif entre tous, pour définir cet archipel : "Humain avant tout!" Quant à la sécurité? Nos proches craignaient de nous voir partir dans ce pays qu'ils pensaient à tort "trop rebelle", "trop corrompu" et toute cette liste de "trop" qui s'allonge dans la peur irraisonnée. Nous nous sommes baladés partout sans l'ombre d'une suspicion ou d'inquiétude. Il faut, comme partout dans le monde, éviter les grandes villes qui rassemblent les plus démunis et la délinquance. À condition d'éviter les foyers connus indépendantistes, à aucun moment, nous n'avons été la proie de personnes mal intentionnées. En revanche, à peine avions-nous mis le pied à l'île Maurice, pour un retour en trait d'union avant le prochain voyage, que je me faisais voler dans la maison de location, alors que nous y étions, mon sac photo avec tout ce qu'il contenait de matériel, ainsi que mes disques durs de sauvegarde et mes notes de voyage. Une grosse déception ! Heureusement ! Mon mini-ordinateur qui contenait les 11.050 photos ainsi que de nombreuses heures de vidéos se trouvaient ailleurs, ainsi que le sac de Dom, nous permettant ainsi de partager avec vous, le meilleur de ce voyage!

À bientôt,
Nat et Dom, depuis l'océan Indien


La photo du jour

Un transport en commun optimisé !.

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