Rodrigues : Un grand coup de frein dans nos vies !

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" Le Paradis des uns est le Quotidien des autres ! " Nathalie Cathala.

Bonjour,

La grande force de Rodrigues, c'est son lagon! Éblouissant, d'une superficie double à celle de l'île, il est omniprésent dans la vie des pêcheurs qui en nourrissent leur famille. Les visiteurs ne le quittent jamais du regard, ils ne cessent de s'éblouir de ses nuances qui varient tout au long du jour. Rodrigues est consciente de sa richesse et la préserve. Le lagon est protégé par des lois qui empêchent les activités nautiques telles que le ski nautique, le jet ski et toute cette effervescence qui empoisonne l'environnement de bruits et de pollutions diverses. Quel régal que de perdre son regard, sur une vaste étendue si limpide sans autre mouvement que celui des pirogues à voile, et ... quelques kiteurs.

Le vent court librement levant un clapot sur l'eau émeraude, l'océan se cabre sur la barrière de corail. C'est un ravissement de chaque instant. Sur la côte sud, nous sommes installés dans le lit du vent. Il ne faiblit pas, son comparse le plus fidèle, l'océan, l'Indien, le suit dans ses coups d'éclat. De mémoire d'anciens, personne sur l'île n'a connu hiver aussi frais (je n'ose dire froid, sans voir sur vos lèvres se dessiner un sourire moqueur!). Aucun patriarche de l'île n'a connu aussi longue période tempétueuse. Pauvres pêcheurs! Aucun d'entre eux n'a pu sortir au-delà de la barrière de corail. Les plus courageux, chahutés par le clapot défilent à vive allure sur l'eau émeraude. Chaque aiguille d'écume leur transperce les os et remplit leur pirogue, qu'il faut écoper inlassablement... Un lagon transcendé dans ses couleurs par l'hiver!

Au sud de l'île, entre Mourouk et baie Coton, le rivage s'égraine entre falaises noires et plages de sable blanc ourlées d'une écume chahutée par le vent. Des aiguilles cristallines se dressent sur le lagon qui hésite à céder tantôt aux reflets de la turquoise, tantôt à l'éclat de l'émeraude. L'alizé nous fouette le visage et nous remplit les poumons de l'air du large. Je respire! Aucune terre n'est à moins de 5000 kilomètres. En face, qu'y a-t-il? L'Australie!

Impossible de ne pas se laisser envoûter par le paysage, le récif blanc de l'océan furieux, le lagon-miroir en trait d'union entre l'océan et la terre vallonnée qui porte les pâturages et les cultures. Les criques se succèdent, chaque falaise est l'occasion de s'offrir un splendide panorama. Comme c'est agréable! Le travail inlassable des chèvres et des vaches dessine des sentiers qui nous réservent de merveilleuses balades! Nous ne rencontrons que de rares randonneurs, des pêcheurs d'ourite (poulpe). Sans forcer l'imagination, nous avons tout bonnement l'impression que ces beautés ne sont "que pour nous!"

Cette sensation se prolonge partout sur l'île qui accueille peu de visiteurs étrangers. Je pense que la palme de la quiétude va à l'ouest de Rodrigues. Une terre si tranquille qu'il nous est arrivé d'arrêter la voiture sur la route pour décider un chevreau d'aller rejoindre sa maman. Il était si profondément endormi, que de taper dans les mains ne l'a pas fait bouger. Il m'a fallu le prendre dans mes bras (qu'il est doux!) et l'emmener vers maman pour qu'il réalise le danger de dormir à cet endroit.

Et puisque nous sommes dans l'ouest, je ne peux vous cacher la splendeur de la baie Topaze! Elle allie les reflets de la topaze aux teintes d'un jade laiteux qui ressemble à un tapis de marbre. Le lagon aux eaux opaques presque statiques oppose un calme apparent face au bouillonnant Indien qui gronde dans les bleus les plus profonds de l'océan. Tout autour, la terre est râpée par l'appétit des chèvres, les pâturages ondulent entre les collines que les habitants nomment ici Montagnes : Montagne Lascar (131m) Montagne Plate, Montagne Croupier (161m), Montagne Topase (128 m). L'apparente platitude du terrain offre cependant des vallées qui abritent après la saison des pluies de jolies cascades au nom de Pistache, de Jean Louis ou Victoire. En attendant que l'eau y coule, les pailles-en-queue se servent des falaises pour nicher.

L'intérieur de l'île est vallonné, le sommet culmine à 398 mètres, au mont Limon qui offre une belle vue sur les vallées et le lagon. Côté champs, Rodrigues nous permet également de voyager dans le temps. Ici, aucune grande exploitation, pas de tracteurs géants. Tout le monde pratique l'agriculture ou l'élevage, voire les deux. Toute la campagne rodriguaise est articulée autour de ces deux activités. Les maisons sont éparpillées, et définissent le périmètre qu'elles gardent. On ne mélange pas plantation et élevage. Chaque troupeau est gardé. Nous rencontrons souvent des vachers et des chevriers poussant devant eux leur troupeau ... Ils évitent que l'agriculteur ne grogne contre ces gourmandes qui brouteraient sans discernement les pousses d'oignons ou de maïs.

Étonnante que cette île à la lisière entre la modernité et ces endroits que l'on qualifie "hors du temps" ! À mi-chemin entre le repli sur soi et le business qu'on peut retirer des étrangers de passage (qu'on assomme un tantinet avec des prix d'hébergement calqués sur les Seychelles (!)).

L'île ponctue chacune de ses journées d'une cadence qui lui est propre, sans nul doute plus lente que celle de ses voisines (Maurice et Réunion). En réalité, elle se fout royalement de "comment ça se passe ailleurs". Elle s'est créé son propre monde et va picorer au-delà de ses frontières ce qui l'arrange, ce qui lui manque. Elle ne rechigne pas à recevoir de l'extérieur toute la modernité qui va faciliter la vie de ses habitants. Elle n'échappe donc pas au four micro-onde chinois qui tombe en panne avant qu'on ait fini de lire le mode d'emploi, aux poubelles laissées dans l'ombre d'une plage... Elle grignote son authenticité à coup de décibels qui s'échappent des gros 4*4 qui sillonnent les routes en perpétuel devenir, de paraboles qui fleurissent sur les cases en tôle. Il est vrai que le mode de vie rodriguais n'utilise pas de grosses technologies, les exploitations agricoles, l'art de la pêche, l'artisanat sont encore pratiqués à l'ancienne. Tout le monde à le temps, ici. Même celui de regarder pousser ses oignons et ses piments avant de les exporter vers la grande soeur voisine de 600km.

Avant de vous quitter, je vous fais un petit cours d'Histoire rapide. En 1528, Don Diego Rodriguez, premier navigateur portugais dessine l'île sur une carte, et lui donne son nom. Entre 1601 et 1611, les Hollandais commencent le pillage des ressources naturelles ( tortues, solitaires, ou dodo... ) En mai 1691, François Leguat qui laisse son nom un peu partout sur l'île reste deux ans et rédige un ouvrage qui livre des descriptions des espèces végétales et animales endémiques. À partir de 1735, Rodrigues sert de garde-manger pour les îles de France et Bourbon (Maurice et Réunion), prélevant par an entre 8000 et 12000 tortues. Entre 1765 et 1795, une petite colonie de Français, d'Indiens, et d'esclaves malgaches s'installe sur l'île et développe la culture du riz, des patates douces, du manioc, de café, du maïs, ainsi que l'élevage du porc et de la volaille. En 1808, l'île est évacuée, car les Britanniques débarquent 16 000 soldats qui prennent possession de Rodrigues et de Maurice. En 1825, Rodrigues compte 3000 habitants et affirme sa vocation de grenier de Maurice. En 1960, elle passe à 20 000 âmes. Contrairement à ses voisines très cosmopolites, Rodrigues est "africaine" et catholique à 95%. En 1967, Maurice affirme son indépendance face à la couronne britannique. Les Rodriguais quant à eux, ne comprennent toujours pas ce qui s’est passé. C'est l'une des premières choses que l'on nous dit en arrivant: " les Mauriciens ont voté à 54% l'indépendance, à 90% les Rodriguais ont déclaré leur attachement à la couronne et pourtant nous sommes devenus indépendants". La voix pleine de reproches en dit long sur l'incompréhension de notre hôte! Les Rodroguais se sentent mal aimés des Mauriciens, et leur dépendance face à la grande soeur est un poids dont ils se débarrasseraient en se rapprochant de la couronne britannique. Pensent-ils qu'une grande nation les sortirait plus facilement du chômage endémique? Pourtant, ils admettent que Maurice s'occupe bien d'eux, la grande île fournit des maisonnettes gratuitement aux familles déshéritées, la santé et l'école sont gratuites, le transport des enfants à l'école aussi. Un réseau routier est déjà bien avancé et continue de desservir tous les villages. L'île dispose d'un système administratif et politique autonome. Néanmoins Maurice continue de remplir l'enveloppe financière et assure un approvisionnement quatre fois par semaine.

Malgré tout, le peuple Rodriguais espère autre chose que son quotidien, c'est pourquoi plus de la moitié de la population vit et travaille ailleurs, avant de revenir bien vite vers leur île qu'ils ne quitteront plus en nous disant : "ici, nous ne mettons jamais la main au portefeuille, il suffit d'une maisonnette, d'un bout de terrain, et nous vivons tranquilles!".

À bientôt,
Nat et Dom, depuis l'océan Indien


La photo du jour

Remerciements tout particuliers à Annick, Jean Baptiste, Odile et Elian pour leur accueil sur Banik et Pelagos. J'avais quelque peu évité le monde du bateau depuis que nous avions quitté notre "Etoile", tâchant de taire au fond de mon coeur la douleur de la séparation. Les retrouvailles avec Banik et Pelagos, les merveilleux moments passés à bord de ces deux bateaux m'ont prouvé que j'étais "guérie". Nous avons retrouvé avec eux, le Beau Monde de la mer! Celui de l'amitié, de la solidarité et du vrai amour de l'océan. Les Banik sont les pionniers du partage via leur site internet du voyage. Ils sont sur l'eau depuis 34 ans. Bravo à vous! Merci à vous! Et bon vent belle mer, pour boucler votre tour du monde ! (Pour ceux qui ne le connaitraient pas encore, mais ils doivent être rares, voici le lien vers le site de Banik :)

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