Les Galapagos: Excursions


LA VISITE DU VOLCAN SIERRA NEGRA

LA VISITE DE LOS TUNELES

LAS TINTORERAS

VISITE AU CENTRE DES TORTUES

LE SENTIER DEL MURO DE LAS LAGRIMAS

LE SENTIER CONCHA Y PERLAS

Si sur les autres îles le non-paiement du parc est possible et les arrangements avec les locaux facilitent les visites, sur Isabela la surveillance est reine. Le commandant du port, lors de votre arrivée, vous demandera immanquablement si vous avez réglé le parc. Dans la négative, il vous y enverra, car dès que vous sortez des limites du village, vous êtes dans le parc.





Nous avons rendez-vous à 7 heures du matin avec Fabricio qui nous a organisé une excursion (devrais-je dire expédition?) au volcan.

Dès le petit matin, nous levons le nez vers la Sierra Negra. Depuis que nous sommes arrivés à Isabela, nous le lorgnon du coin de l'oeil. Mais jamais, il ne s'est encore dévoilé, emmitouflant son sommet dans d'épaisses couches de nuages. Ce matin, ô miracle(!) le volcan se montre vierge de toute nébulosité. Nous embarquons à bord de la grosse barque de Fabricio qui se fraye un chemin au travers des rochers affleurant à marée basse. Il tente, en chemin de calmer nos illusions. Il nous dit que nous devons nous dépêcher, le volcan ne restera pas dégagé toute la journée.

Nous grimpons dans le taxi d'Edouardo. Willermo, notre guide nous a rejoints. Nous sommes 3 couples à faire l'ascension du volcan. En chemin, nous trouvons quelques champs de papayes, de bananiers et "d'arbres à tomates". Nous avons quitté la végétation sèche des rives et cheminons dans une forêt grouillante de vie. Les chants d'oiseaux saluent notre passage. L'air se rafraîchit. Des arbres étranges longent le parcours. L'humidité omniprésente a accroché des filets de mousses aux branches. Je les nomme les "arbres d'Halloween, tant ils sont patibulaires.

Au rythme de la montée, la route se dégrade. Les pluies incessantes de ces dernières semaines ont creusé des ornières profondes. Notre taxi est loin d'avoir l'allure d'un tout-terrain, et pourtant, il passe au travers des excavations profondes... Mon pauvre capitaine ressent chaque secousse dans ses vertèbres!

Courage! Le voyage vaut la peine!

Les îles Galapagos sont des enfants du feu. Elles sont relativement jeunes, et jaillirent des entrailles de la terre il y a 5 millions d'années. Au contact de l'océan, le magma se refroidit et se figea pour engendrer 13 îles majeures et une centaines d'îlots et de rochers. Les îles dérivèrent pour se retrouver au confluent de quatre courants océaniques dominants. Le plus connu d'entre eux est le courant de Humbolt, courant froid qui permet la subsistance d'espèces subantarctiques à une latitude équatoriale.

Isabela compte 6 volcans actifs. La Sierra Negra est le dernier volcan à être entré en éruption. A partir du 22 octobre 2005 et pendant 10 jours, le volcan ne cessa de cracher ses pierres en fusion. Le village fut évacué, mais la population ne courut aucun risque. Les rivières de lave se cantonnèrent à la caldera et aucune coulée ne dévala les pentes du volcan. Cette activité particulièrement bien canalisée attira nombre de scientifiques ainsi que des équipes de télévision. Un des reportages de l'émission "Découverte" diffusée par Radio Canada fut tourné pendant l'éruption. (voir photos tirée du film)

Le taxi nous dépose au mirador El Mango. De là, deux sentiers partent à l'assaut du cratère. L'un par le versant ouest, l'autre par le versant est. Nous empruntons ce dernier. Le guide nous avise que nous parcourons 8 km autour de la caldera, puis qu'il nous restera 5 kilomètres pour atteindre le sommet de Volcano Chico... Nous sommes plein d'entrain! Et surtout nous ne réalisons pas qu'après ces premiers 13 kilomètres accomplis, nous aurons à rebrousser chemin! Le ciel reste au beau fixe. J'envoie des prières au Dieu Azur, tandis que Willermo brandit son parapluie. Il voit dans ce ciel limpide les prémices de nuages qui apporteront la pluie avant 10 heures du matin.

En route, toute la troupe!

Le volcan est à nous!

La randonnée autour de la caldéra est spectaculaire. L'air cristallin à 1500 mètres d'altitude nous permet d'embrasser un cercle immense de 40 km de diamètres. Le champ de lave n'est pas uniforme. La moitié du cratère est colonisée par la végétation qui n'a pas été affectée par l'éruption de 2005. La partie sous nos pieds, révèle les nouvelles formations de magma. C'est une succession de vagues de roches figées. Willermo nous raconte comme le spectacle était beau en ce mois d'octobre. Il emmenait des visiteurs de nuit afin d'en apprécier toute la magie des couleurs émises par la roche en fusion. Quel spectacle unique! Nous revivons au travers de ses récits, la chaleur dégagée par 1100 degrés Celcius. Nous voyons nettement le cheminement de la lave ainsi que l'empreinte des rivières en fusion qui coulèrent, là ... directement sous nos pieds! Ce cratère est le berceau de la vie engendré par le feu. C'est extraordinaire!

Le volcan est sous haute surveillance, car il n'a pas dit son dernier mot. Sous la pression magmatique croissante, le sol du cratère pousse de 4 centimètres par an. Un jour, le bouchon qui recouvre le cratère sautera, entièrement... Ainsi, notre randonnée s'apparente à du funambulisme sur un bouchon de bouteille de champagne secouée et bien frappée!

La végétation du flan sud du volcan n'a pas souffert, nous nous frayons un chemin au travers des fougères et des arbustes qui accueillent une foule de passereaux chanteurs et d'abeilles noires. Nous ne voyons pas passer les 8 kilomètres. Nous prenons un repos de quelques minutes sous l'un des grands arbres qui a résisté aux chaleurs volcaniques. Puis nous attaquons l'ascension du Volcano Chico...

Changement de décor drastique. Nous passons d'une végétation dense et volubile à un désert de pierres où quelques cactus défient la sécheresse. Le vert a disparu, mais toutes les couleurs de la palette se réveillent. Nous avons la sensation d'avoir quitté la Terre, pour rejoindre une autre planète. Nous sommes au royaume de la roche-artiste qui se pare des carnations les plus excentriques. Une oeuvre de sculptures spontanées où tunnels, excavations, corniches, sommets se mélangent dans la plus pure essence de la beauté.

Le ciel, malgré toutes les mises en garde reste bleu. Heureusement, car les chemins que nous empruntons pour le retour, se révèlent dangereusement glissant même par temps sec. Il est 15 heures passées quand nous rejoignons le camp de base. Nous marchons depuis 8 heures du matin. La fatigue accumulée en 26 kilomètres d'une marche soutenue est effacée par toutes les images que nous accumulons dans notre boîte à souvenirs.

Cette escale bouleverse notre vision du monde...




Le ciel menaçant du lever du jour tire, une fois encore sa révérence, devant le soleil. A neuf heures du matin, Roberto vient nous chercher au bateau. Les barques des Galapagos sont nommées « fibras» et généralement sont fortement motorisées. Celle de Roberto possède deux moteurs de 115 chevaux. Nous avons peu de temps pour les salutations, les moteurs vrombissent et nous emmènent à trois quarts d'heure du mouillage à fond les manettes.

Quand enfin la folle chevauchée s'arrête, Dom compte, une fois de plus, ses vertèbres. Je me demande s'il ne ferait pas mieux de laisser les vieilles aux Galapagos et de s'en commander un nouveau jeu par transporteur spécial avant de partir à neuf pour les Marquises...

Trêve de bêtises.

Les moteurs cessent leur vacarme tumultueux, notre Roberto se calme sur les manettes et observe l'environnement. A bâbord, l'horizon cabossé du Pacifique, à tribord de volcan Cerro Azul s'enveloppe d'une robe de nuages. Entre le volcan et nous, une barre d'écume infranchissable ne cesse de frapper. Avec le calme revenu à bord, j'ose une réflexion à haute voix :

« Mais où allons-nous ?»

Roberto pointe d'un doigt malicieux le mur de vagues qui se dresse entre nous et le rivage et il crie en envoyant les manettes à fond :

« là bas !»

Difficile à dire ce que l'on ressent! La vie s'arrête, les sens anesthésiés n'ont pas le temps d'avoir peur, en tout cas, tout notre être s'accroche à la banquette de la barque et les yeux écarquillés, nous passons là, où jamais nous n'aurions osé penser passer quelques secondes plus tôt. Mais c'est fait! Nous y voilà, le lagon, calme, incroyablement calme, s'ouvre tandis que le mur de vagues, derrière nous, se referme.

Sur le coup, je vous avoue que nous nous demandons pourquoi nous venons de prendre autant de risques! Comme le dit Roberto la bouche pleine d'euphémismes :

« Es un poco peligroso»

Peu à peu, nous nous familiarisons au calme ambiant, et nous découvrons un paysage extraordinaire. Le volcan a propulsé des torrents de lave qui se sont jetés dans l'océan. La rencontre de la roche en fusion et de l'océan a sculpté des arches et des arabesques en enfilades. Roberto, champion de la manoeuvre, nous conduit au travers de méandres où l'eau translucide dévoile des socles rocheux effondrés où se prélassent d'immenses tortues marines. Il ne sert à rien de les chercher, elles viennent d'elles-mêmes par dizaines. Tranquillement, elles volent dans l'eau aussi gracieusement qu'un oiseau dans les airs. Roberto nous dépose aux confins de ce site qui n'en finit pas de nous émerveiller. Nous nous baladons au gré du socle accidenté. La lave figée par-dessus les flots émeraude jette des ponts fragiles que nous traversons en observant la faune aquatique aussi peu méfiante que des animaux domestiqués.

Au bout de cette balade, Roberto nous reprend à bord de son bolide qui se présente, à nouveau, au pied du mur de vagues. En trois zigzags, aidé de la pleine puissance de ses 230 chevaux, Roberto traverse l'impensable rempart océanique. De l'autre côté, la récompense est à la hauteur du risque. Nous ne réalisons pas immédiatement ce que nous voyons. Au début, nous discernons une dizaine de taches noires, immenses autour du bateau. Roberto, nous crie « mantas, mantas»...

Les raies mantas caressent le flanc des vagues. Quelle magie! C'est la première fois de ma vie que je les vois en vrai. Ce n'est pas la télé, pas un reportage... elles sont là, à côté de nous. Si proches que je réalise leur dimension. Elles sont énormes! C'est incroyable ce gigantisme ! Quelle chance de les trouver ici ! Elles nagent tranquillement, l'une d'elles sort toute la moitié d'une aile hors de l'eau, comme pour nous faire un signe, un coucou! Quel plaisir, c'est indescriptible!

Un cadeau de la vie!

Roberto nous arrache à la contemplation de ces déesses du Pacifique pour nous entraîner dans un autre site. Il nous promet, pour nous distraire de la déception de quitter nos nouvelles amies, de nager avec des requins. Dom ne sourcille pas. Mais, j'aurais sincèrement préféré me jeter à l'eau avec les raies mantas que d'aller à la rencontre de ces vilaines bêtes à pointe blanche. Sur le site de plongée, j'hésite sincèrement à me jeter à l'eau. Mais Roberto ruse, il me décide en me montrant toutes les têtes de tortues qui jaillissent autour de la barque. Elles sont innombrables. Je ne peux résister et en masque, tuba, palmes, je suis notre guide.

Il nous mène vers un recoin de mangrove, là, il nous montre deux hippocampes. Ils se laissent "tirlipotés" et malmenés par nos doigts curieux. Puis, nous partons vers des grottes sous-marines. Roberto sort la tête de l'eau, les yeux brillants. J'ai beau m'écarquiller les yeux, je ne comprends pas son engouement. Mais il me remet la tête sous l'eau et pointe le doigt, vers... vers... non pas un ... mais 5 requins! Je n'ai qu'une envie... fuir. J'ai la sensation que les requins ne sont pas à l'aise eux, non plus! Quand Roberto va les déloger de leur grotte, il sème la pagaille dans le rang des pointes blanches... et l'un d'eux ne pense à se dérober. Vers où? Mes jambes!

Non, mais... nous ne partageons pas les mêmes valeurs! C'est fini ces familiarités, oui!

Je tourne le dos à toute cette agitation. Dom reste en compagnie des pointes blanches. Son calme doit les rassurer. Ils se laissent prendre en photo sous leur meilleur profil. Quant à Roberto, il se fait pardonner de tout ce tapage de la plus belle des façons. Il me montre une grande tortue marine et me laisse en sa compagnie. Elle nage en cercle, je la suis. Je reste au dessus d'elle à quelques centimètres. L'envie de la toucher me démange, mais je me retiens, pour ne pas la faire fuir et prolonger cette baignade en duo. Elle me lance des regards doux. Quel bonheur!

"Merci mademoiselle tortue de me permettre de nager avec vous."

Si mes compagnons d'excursion ne m'attendaient pas, je pense qu'au lieu de vous écrire je tournerais encore dans l'eau en sa compagnie.

Je n'oublierai jamais cette excursion. Ce fut la journée des premières fois. Première fois que je voyais des raies mantas dans leur élément, première fois que je nageais avec des requins, première fois que si longtemps, une tortue m'acceptait à ses côtés.

Merci la vie

Le monde est merveilleux!




Le mouillage d'Isabela est protégé par un écrin d'ilots volcaniques qui fait partie de la Réserve naturelle des Galapagos. Pour ne pas enfreindre les lois de préservation de l'environnement édictées par le gouvernement de l'Equateur, nous avons pris un guide pour découvrir cet espace si proche de nous.

Fabricio vient nous chercher à 14 heures au bateau. En montant à bord de sa barque, Dom et moi avons la même pensée :

« tant pis si ça ne vaut pas le coup... »

Pourquoi cette réflexion?

Parce que nous pourrions très bien nous y rendre seuls, les lagunes sont à portée d'annexe. Nous ne comprenons pas, pourquoi cet espace n'est pas libre d'accès? Et puis, vu du mouillage, il semble qu'il y ait un amas de lave, sans autre intérêt que les contrastes de couleurs. En plus, les otaries, les pingouins, nous les voyons tout autour du bateau... Pas besoin d'une excursion spéciale pour partir à leur rencontre...

Mais la curiosité est trop forte, après tout, nous ne risquons que les 10 dollars que cela coûte.

En réalité, nous passons 3 heures bouche bée.

L'excursion se fait pour partie en barque, à pied sur des sentiers balisés, et à la nage dans les eaux calmes des lagunes.

Cette excursion accompagnée de Fabricio a donné une tout autre dimension à notre perception de la faune marine. Vous le savez, nous sommes entourés d'animaux dont la familiarité n'est plus une légende. Les animaux marins jouent avec notre quille, s'installent à bord de notre Etoile depuis le début du séjour. Mais... nous ne soupçonnions pas l'ampleur de la population de pingouins, d'otaries et des iguanes adultes. J'avais, pour être sincère, l'impression qu'il y avait une grosse famille de pingouins, et une ou deux familles d'otaries. Au bout de quinze jours, je pensais avoir fait connaissance avec tous les individus. A présent, je sais que c'est une tâche impossible.

Les Tintoreras sont des lagunes vraiment particulières, elles abritent bon nombre des animaux endémiques des Galapagos : fous à pieds bleus, pingouins, iguanes... Et puis aussi, nos incontournables amies à moustaches!

Des amas de lave acérée ressemblent à d'immenses lézards lovés autour de lagons de couleur émeraude. Des croissants de lune noirs érigent leurs picots incisifs face à la houle rageuse qui s'abat en rouleaux menaçants. Le dos rond, les îlots protègent des plages blondes. A l'ombre des palétuviers, sur le sable frais, des centaines d'otaries somnolent. Les couples sont allongés côte à côte. Quelques mâles gardent leur nageoire sur le flanc de leur compagne. Un gros oeil rond nous surveille derrière un tronc. Un museau plein de sable se soulève et bâille...

Leur plus féroce prédateur est le requin. Il rôde dans les parages et attend les proies faciles à la sortie des Tintoreras. Par contre, à l'intérieur de cet archipel lilliputien, les espèces opèrent une trêve. Les otaries et les requins viennent s'y reposer. Les requins par centaines ont jeté leur dévolu sur un couloir exigu, une particularité géologique qui est devenue leur hamac à sieste.

Heureusement que ces requins respectent l'antre des Tintoreras. Car ils seraient responsables d'un vrai carnage s'ils s'en prenaient aux pingouins qui lézardent à la surface de l'eau. Ils sont comiques. Ils font du snorkeling... S'ils sont assez petits pour servir d'amuse-bouche aux requins, ils sont néanmoins agiles et suffisamment rapides pour leur échapper. Les pingouins, originaires des eaux froides des océans boréaux, ont dû profiter de courants portants pour parcourir près de 14 000 km et s'établir aux Galapagos. Les îles du nord aux eaux plus chaudes n'ont pas de colonies de pingouins. Ces derniers préférant les eaux froides du sud de l'archipel et s'établissent de préférence à Isabela.

Sur la côte au vent des ilots, nous trouvons les roches tapissées d'iguanes de mer. Je vous en parlais l'autre jour, nous avions rencontré quelques adultes. A Tintoreros, toute la population est de garde. L'emploi du temps de la communauté est bien réglé. Le matin, les adultes partent en mer. Ils se jettent dans les rouleaux de l'océan, prennent une grande goulée d'air et passent 40 minutes au fond de l'eau, à brouter les pâturages d'algue. Lorsqu'ils remontent à la surface, ils doivent déjouer les facéties des otaries. Celles-ci ne leur veulent aucun mal, mais à la faveur d'une humeur badine, elles leur attraperont la queue, les décrocheront de leur aire de nourriture... Pauvre lézard. Il n'a pas le tempérament joueur! Ca se voit! Lorsqu'ils retrouvent les roches calcinées par le soleil, il leur faut de nombreuses heures pour réchauffer leur corps. Ils passent donc le restant de la journée, au soleil à éternuer.

Pourquoi éternuent-ils?

Ils doivent évacuer le sel emmagasiné dans leur nourriture. Ainsi, les voit-on envoyer du fin fond de leurs narines des gerbes d'eau.

La zone est également prisée par les fous à pieds bleus. En période de reproduction, ils perpétuent leur drôle de parades amoureuses. Levant leurs pattes le plus haut possible, dévoilant leur panache avec ferveur. Le bleu de leur patte est immanquable!

La balade se termine en masque tuba palmes. Les grosses tortues sont là, toujours aussi nombreuses, peu farouches, elles dînent tranquillement à quelques mètres de nous. Les requins pointe-blanche se font discrets et laissent le champ libre aux demoiselles. Je veux parler de ces adorables poissons noirs aux nageoires et à la bouche jaune. Leurs lèvres pulpeuses envoient en permanence de gros bisous. Ils sont confiants, curieux de mon appareil sous-marin et viennent beaucoup trop près. Je n'ai pas le réflexe de programmer ma caméra en mode macro et je rate une série inouïe de clichés! (aie aie aie... les amateurs!)

Lorsque nous revenons au bateau, mademoiselle Caroline (notre otarie attitrée) est là... tranquillement, elle lève un quart d'oeil pour s'assurer que c'est bien nous. Et replonge dans sa sieste, à l'ombre de notre taud.




La visite au centre de préservation des tortues est un moment émouvant de ce voyage aux Galapagos. Après plusieurs siècles de saccages de la nature par l'homme, celui-ci prend enfin conscience de la fragilité de son écosystème. Au-delà de l'aspect touristique, qui est indéniable, des hommes travaillent, chaque jour, à la rédemption de l'environnement. Chaque jour, ils sont là, au chevet des tortues géantes qui ont été et sont encore menacées d'extinction.

Le premier nom de baptême qui vint à l'esprit des découvreurs de l'archipel fut celui de "Islas Encantadas" : îles enchantées...

Enchantées, car elles apparaissaient et disparaissaient au gré de courants et des brouillards ; enchantées, car les animaux ne s'y méfiaient pas de l'homme ; enchantées, car elles recelaient une faune inégalée dans le monde ; enchantées, car leur beauté se place au-dessus de l'imaginable.

L'homme qui, sous l'emprise de la magnificence devient poétique, peut aussi se révéler extrêmement destructeur.

Par inconscience, par ignorance, les premiers découvreurs des Galapagos se servaient des tortues comme d'une proie facile à capturer. Elles offraient de la chair fraîche à embarquer à bord de leurs navires. Les conquistadores, les pirates, les chasseurs de baleines et les premiers colons ont saccagé les îles Galapagos pendant plus de quatre siècles. Non contents de prélever des milliers de tortues, ils importèrent chèvres, bovins, cochons, chiens, chats, rats... Une foule de mammifères qui déséquilibra l'écosystème. Les tortues qui subissaient déjà la chasse des hommes se virent menacées par d'autres fléaux. Les chèvres voraces réduisaient leur quantité de nourriture, les gros mammifères écrasaient les oeufs dans les nids, les chiens, les rats et chats mangeaient les oeufs et les bébés... Ainsi, les tortues, animaux des plus primitifs, dont les plus vieux fossiles datent de plus de 200 millions d'années et donc antérieures aux dinosaures, qui contrairement à ces derniers ont continué de s'adapter et de se développer, étaient à deux doigts de ne pas survivre à l'humain...

En 1959, le gouvernement équatorien, aidé par l'UNESCO et par les organismes scientifiques internationaux, crée la "fondation Charles Darwin". A partir de cette date, tout animal endémique des Galapagos est protégé. Se met en place, une série de projets visant à sauver ce qui est encore vivant dans l'archipel, car bon nombre d'espèces ont déjà complètement disparu.

Il faut bien comprendre que les espèces animales présentes sur le territoire des Galapagos n’existent qu'ici et nulle part ailleurs (observation qui a inspiré à Charles Darwin sa fameuse théorie de l'évolution). Le caractère endémique indéniable se spécialise à chaque île. Pour exemple, sur l'île de Santiago, 23 espèces d'oiseaux terrestres ont été recensées, celles-ci ne quittant jamais l'île et ne se retrouvant pas sur ses voisines. Quant aux tortues, chaque île recèle sa propre variété de tortues. On trouvera les Geochelone elephantus Porteri sur Santa Cruz, tandis que la famille d'Isabela se nommera Geochelone elephantus Paloma. Poussant l'enracinement géographique à l'extrême, sur Isabela, chaque volcan compte une variété différente de tortues géantes (voir photo ci-dessous). Il existe dans le monde 12 variétés de tortues géantes dont 5 vivent à Isabela. Le terme "elephantus" se rapporte à leurs dimensions, la tortue géante des Galapagos, pouvant atteindre plus de 1,2 mètre de longueur et plus de 200 kilogrammes.

Le caractère endémique de la faune des Galapagos la rend extrêmement vulnérable. Lorsqu'une espèce est en danger, il ne suffit pas d'aller chercher un couple ailleurs dans le monde et de le réintroduire aux Galapagos. Toute espèce disparue l'est irrémédiablement. Lorsqu'au milieu du vingtième siècle les institutions scientifiques internationales se réveillent, elles en sont presque à sonner le glas d'une faune exsangue.

Afin de sauver la faune endémique des Galapagos, le gouvernement, aidé par les organismes internationaux tel que l'UNESCO, combat sur plusieurs fronts. Il faut à la fois éradiquer les animaux nuisibles au développement des espèces spécifiques et encourager la reproduction de ces dernières.

Pour réduire, voire éliminer la population de chèvres qui désertifiaient les îles, les organisations de défense de l'environnement ont fait appel à des chasseurs australiens. Ceux-ci utilisent des hélicoptères, ils repèrent les troupeaux et éliminent un maximum de têtes depuis les airs. Cette solution qui aujourd'hui s'avère efficace coûte très cher! Cependant, la végétation reprend vigueur et les tortues retrouvent une alimentation facilement disponible.

Quant aux chiens sauvages, ils furent empoisonnés (seuls les chiens domestiques sont encore permis et très surveillés dans les îles). Les chats furent épargnés, car ils se chargent de réduire la population de rats et de souris. Les cochons sauvages sont plus difficiles à maîtriser.

En ce qui concerne la reproduction des espèces endémiques, le centre de préservation captura dès 1994, 4 mâles et une femelle de type Cero Paloma, espèce la plus menacée, et dont les prélèvements de sang ont déterminé le caractère unique. Celles-ci furent installées confortablement, à l'abri de tout prédateur afin de se reproduire tranquillement et de travailler sereinement pour l'avenir. Rapidement, deux autres femelles grossirent les rangs des reproducteurs. Aujourd'hui, nous pouvons déclarer que ces géniteurs ont pris leur rôle à coeur! De véritables nurseries couvent des centaines de bébés tortues. Selon les années, le population de bébés compte entre 500 et 1000 individus.

L'âge de reproduction n'est atteint que vers 30 ans. Entre sa sortie de l'oeuf et sa vingt-cinquième année, la tortue n'est pas définie sexuellement. Entre 25 et 30 ans, selon les conditions ambiantes, la tortue deviendra mâle ou femelle. C'est entre 30 et 50 ans que la tortue est la plus efficace dans le cycle de reproduction. Par la suite, son activité sexuelle s'amenuise graduellement. Mais sans avoir besoin de "viagra", les mâles tenteront leur chance auprès des donzelles jusqu'à 150 ans... voire 200 ans pour les plus "canoniques".

Les amours de ces grosses bêtes pataudes et lentes sont néanmoins tumultueux.

Les femelles, pas spécialement portées sur la chose, tentent systématiquement d'échapper aux avances. Les préliminaires n'ont rien de tendre, le mâle se sert de son corps comme d'un bulldozer afin de coincer sa partenaire. On entend de grands chocs de coques...

"Bong, bong, bong... je suis là."

La femelle rentre la tête et les pattes dans sa carapace espérant échapper à son devoir. Mais, Monsieur, patient, attend que l'estomac crie famine. Lorsque Madame sort de sa torpeur pour aller se sustenter, Monsieur entreprend alors l'ascension douloureuse de sa belle... On comprend mieux, pourquoi les photos les montrent toujours en action la bouche pleine!

La saison de reproduction s'étend de janvier à mai, pendant la saison chaude. La femelle pond ses oeufs dans un nid, qu'elle creuse en terre meuble, cherchant toujours un endroit où la température d'incubation est idéale. Elle laisse entre 6 et 14 oeufs, puis elle urine et défèque sur les oeufs afin de remblayer le nid qu'elle abandonne par la suite. Après 160 jours, les petites tortues doivent gratter la terre afin de regagner la surface et survivre par eux-même. Cette période est la plus délicate dans une vie de tortue, ainsi, les responsables du centre sont en charge de retrouver les nids, de prendre les oeufs, de les déposer exactement dans la position où ils les ont trouvés afin de les conserver dans une "couveuse"...

A leur naissance, les tortues sont mises en nurserie. Les scientifiques les pèsent, les mesurent et vérifient leur état de santé tous les 3 mois. Lorsqu'elles atteignent 6ans, âge où elles ne craindront plus les prédateurs, elles sont relâchées dans les zones ou la nourriture est abondante.

Le projet de préservation des tortues sur Isabela monopolise la population et surtout les enfants. Le mot d'ordre que l'on retrouve un peu partout dans le village est : "le présent et le futur dépend de nous!".

J'ai la sensation qu'ils sont en train de gagner leur combat...




Les « Tours Operator », nombreux dans le village, proposent foule d'excursions. Certaines ne peuvent être effectuées qu'en présence d'un guide, ce sont les autorités du parc National qui l'exigent. D'autres sont libres d'accès après avoir payé le parc. C'est le cas du sentier « Del Muro de las lagrimas». Aller-retour c'est une balade de 5 heures, avec arrêts contemplatifs.

Et ça vaut le coup de ne pas prendre une voiture pour découvrir ce sentier!

Après une bonne heure de marche depuis le mouillage, nous trouvons un panneau qui nous indique le début d'un sentier long de 5 km. En route, nous passons par le cimetière. Là, nous découvrons que si Charles Darwin n'est pas resté assez longtemps pour faire souche, il a au moins inspiré certains parents pour trouver un prénom à leurs enfants. Sur les tombes, son patronyme est bien représenté!

En chemin, nous passons par l'antre des dragons.

Jusqu'à présent, les iguanes que nous avions rencontrés étaient relativement petits. Là... nous trouvons des monstres! Je prends sur moi et ... remise mon aversion pour les reptiles au tréfonds de mes chaussettes pour approcher la bête qui sommeille. L'iguane est si bien enchâssé dans les bras de Morphée que je m'aguerris... Je fais le tour pour prendre son autre profil. J'ai déposé mon sac à dos sur la plage, il n'y a personne, cela me permet d'être plus leste pour fuir si jamais la bête se réveillait! Je tournicote, je fanfaronne... et l'affreux dort toujours! Puis, lorsque rassasiée de clichés je repars vers mon sac... Que vois-je?

Deux monstres patibulaires qui se dirigent droit sur moi.

Mâmân!

Dom est parti gravir je ne sais quel promontoire, je suis seule face à eux! Je ne peux fuir, je suis encerclée de roches sur lesquelles plusieurs dizaines de dragons m'ont à l'oeil! Armée de mon gros zoom je canarde mes belligérants et je sors triomphale du repaire de dragons, mon sac à la main et les jambes à mon coup!

Remise de mes troubles je reprends le chemin, en quête du capitaine. Il suffit en général de lever la tête pour le trouver, toute chose avec échelle (balise, bouée, phare, château d'eau, vieilles pierres) l'attire irrémédiablement. En chemin, je croise un grand héron. Alors, là... Alors là! Depuis 6 ans j'essaye de capturer l'image de ces grands oiseaux gracieux. Je n'ai pu faire que des clichés vagues, lointains de plumes qui se carapatent au loin. Ils sont méfiants... Voraces(!) mais prompt à déguerpir.

Il fallait que je vienne jusqu'aux Galapagos pour me retrouver nez à bec avec ce grand échassier. Pas besoin de se précipiter sur l'objectif, il prend tout son temps pour traverser le chemin et rejoindre un marais où tranquillement il reprend sa partie de pêche.

Merci Monsieur le héron, vous êtes très beau!

Le sentier se divise en multiples sous-sentiers. L'un d'eux nous mène au Tunel del Estero, une cavité volcanique. Lors des grandes colées de lave, le pourtour des tubes se refroidit plus rapidement que le centre qui continue de se déverser en torrents de roches en fusion. Puis lorsque le flot se tarit, il reste la cavité vide, donc, un tunnel. Lorsque le plafond s'écroule, il donne accès à ces curiosités géologiques. Dom pénètre dans le trou, à l'intérieur l'effet est surprenant, j'ai vraiment la sensation qu'il est entré dans la carapace d'une tortue géante.

Lors de l'excursion à la Sierra Negra que je partageais l'autre jour avec vous, le guide nous avait assuré qu'il était excessivement rare de rencontrer les tortues géantes dans la nature. Elles sont cantonnées sur les pans de volcans fermés au public, afin de laisser la nature vierge de toute contamination. Nous nous étions fait une raison et nous nous satisfaisions de nos rencontres au centre de reproduction de Puerto Villamil.

Etait-ce un jour particulièrement chanceux?

Je ne sais pas

En tout cas sur le chemin qui nous mène au mur de larmes, nous rencontrons non pas UNE, mais QUATRE tortues en liberté. Elles sont tranquilles, elles broutent leur verdure. L'une d'elles paraît plus familière que ses congénères. Dom l'approche en lui présentant une grosse branche de feuilles bien vertes. Elle hume en sa direction, elle ne refuse pas l'approche, elle ne se retranche pas dans sa carapace, elle incite donc mon capitaine à des avances. Il teste son allant, il la soupèse...

« C'est lourd comme six briques de laits», me dit-il.

La poésie de mon capitaine n'ébranle pas les convictions de Miss Tortue qui se replonge dans son plat de salade.

Tout va bien dans le meilleur des mondes!

Au bout de la route, le mur des larmes est là, construit par les pénitenciers du bagne d'Isabela. Entre 1946 et 1959, les criminels ont purgé leur peine en empilant de gros blocs de laves. Le mur est long de 100 mètres et haut de 7 mètres. Il paraît incongru au sein de cette forêt enchantée.

Dom poursuit sa route jusqu'au pied du mur. Je m'assois sur une pierre à l'ombre d'un arbre. Ici le silence est profond, magnifié par les chants d'oiseaux. La forêt dense s'étale sur les flancs évasés du volcan. La végétation, généreuse, accueille une multitude d'oiseaux chanteurs. Je vous parle depuis le début de la familiarité des animaux aux Galapagos, ce trait de caractère s'étend à toutes les espèces. Un lézard curieusement vêtu de vert et de rouge me regarde, comme éberlué de voir un bipède dans les parages. Les pinsons de Darwin se présentent tous les uns après les autres. Je pose la caméra sur un caillou à côté de moi. Intrigué, le pinson s'approche, par petits sauts... et finit par picorer mon objectif!

Un moqueur des Galapagos se pose sur une branche tout à côté de moi. Son chant n'est qu'harmonie. Il sautille de branche en branche, j'ai de quoi détailler cet oiseau qui a inspiré à Monsieur Darwin sa théorie de l'évolution. Il en avait ramassé 3 lors de son voyage. Les spécimens sont toujours visibles au musée de Londres. Ils ont dernièrement fait l'objet de recherches, car ces pauvres moqueurs ont subi de lourdes pertes. Sur l'île de Floréana ils ont complètement disparu. D'après les derniers recensements, il ne reste que 500 familles de moqueurs aux Galapagos. Les chercheurs tentent de réintroduire l'espèce et de la protéger des animaux nuisibles qui ont provoqué une réelle hécatombe. Je suis émue face à cet oiseau gracieux et confiant.

Sait-il à quel point sa rencontre avec le célèbre naturaliste a changé notre vision du monde?

Je pense qu'il s'en moque, comme de sa première plume. Il lorgne à gauche de mon pied un couple de sauterelles qui fabriquent l'avenir et un lézard multicolore à droite de mon pied. Au menu du jour : le lézard! En un éclair il fond sur le reptile, l'emporte dans les airs pour satisfaire sa faim sur une branche... lointaine à l'abri des regards.

C'est cela aussi la nature!

Les animaux ne font pas autant de cas que nous de la vie et de la mort.

Dans leur monde tout est si simple.