VANUATU Espiritu Santo: Port Olry

SANTO : Pirogue traditionnelle

VANUATU : Jeunes enfants de Santo

MALO : Sa population mélanésienne

SANTO : Coucher sur les plus hauts monts

SANTO : Pension Towok

Traditions et coutumes encore trés présentes


























Le Vanuatu par les racines...



Lettre d'escale 103– écrite en août 2012
Nombres de milles parcourus : 21 700 milles
Nombre de visiteurs sur le site : 900 000
Nombre de personnes inscrites à la lettre : 1160
Récit : Vanuatu, les îles du Nord, Santo et Malo



"On ne va jamais si loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va." de Rivarol


EN FIN DE MESSAGE :

Photo du mois : Le Vanuatu est le seul pays du Pacifique à traiter le cannibalisme ancestral avec humour et même à en faire un atout touristique. Au cœur de Santo, nous n'avons aucun mal à croire que cette pratique n'est pas si ancienne que ça...



Résumé


Vanuatu : Ile de Santo

Depuis huit ans d'escale en escale, nous arrivons avec « notre chez  nous » chez eux... et nous perdons l'occasion de vivre avec les peuples qui nous accueillent. Cette fois, nous avons laissé notre Etoile à Port Vila et sommes partis, nos sacs sur le dos au sein de familles de Santo et de Malo , îles du Nord de l'archipel. Nous avons goûté à la vie telle qu'elle est vraiment, sans retourner vers le confort de notre bateau. Mangeant à la locale, buvant l'eau des puits, de pluie ou des rivières, dormant dans les paillotes de bambou aux toits de natangora. Ce voyage a recadré nos valeurs à l'essentiel. Nous savions que nous étions des enfants gâtés de l'Occident, mais à présent nous en mesurons toute la portée et, pardonnez ces mots :l'inutilité et la futilité de nos intérêts matériels. Le Vanuatu est le pays du "pa ni pwoblem" comme bien des pays tropicaux. Mais ici, c'est le "pa ni pwoblem" de la débrouille. Un Ni-van parvient à vivre en autosuffisance avec presque rien. Et pourtant, à ses yeux, il a tout. Tout ce qu'il faut pour nourrir sa famille.



Bonjour,


Choc des cultures...

Dans le petit aéroport de Port Vila, nous attendons l'avion qui nous mènera à Santo. Il est en retard comme tous les vols de Air Vanuatu. Pendant l'attente, je découvre d'étranges instruments. Les « Blancs » sont tous munis de tablettes dont les fonctionnalités paraissent illimitées. Celui-ci lit un bouquin, celui-là téléphone, un autre prend des photos, ailleurs un voyageur lit « El Pais », son journal quotidien, à plus de 20 000 kilomètres de chez lui. Des enfants d'élocution francophone courent et gesticulent tant qu'ils paraissent avoir envahi toute la salle d'attente. Ils ont tous en main une tablette et se débattent pour savoir qui va prendre la première photo de tel ou tel « indigène ».


Quelle horreur ! Ils se comportent comme des sauvages que les enfants d'ici regardent avec de grands yeux étonnés. Les enfants ni-vans respectent leurs parents, les autorisations ou les interdictions de ceux-ci. Ils sont sages sur leur chaise, attendent tranquillement à côté de leurs parents. Nous restons au sein des Ni-vans dont je me sens plus proche que de mes confrères occidentaux.


Tant que nous vivions dans notre microcosme marin, je ne m'étais pas aperçue de cette évolution. Et je comprends tout à coup la phrase d'une amie de ma petite Môman qui lui disait : « ta fille est décalée ! ». Elle m'a épargné de l'expression « has been » ! qui sans doute a reçu une lignée entière de synonymes plus branchés depuis ! Je me souviens qu'une amie m'avait prêté son téléphone tablette, il y a 3 ans, lors de mon retour en France. Dès que je tournais ce fichu écran, les touches virtuelles, et les photos glissaient sur l'écran, impossible de passer un simple coup de téléphone sans un doigté d'expert !


" Ces machines sont-elles habitées d'étranges gnomes??? "
Bon ok, je force le trait... Mais si peu !


Je rédige mon carnet de voyage, dans un cahier, avec des feuilles en papier et un stylo « bic » à quatre couleurs ! Et voici qu'en vous faisant cet aveu, je me retrouve dans le troupeau des derniers dinosaures de la planète. Pourtant, mon carnet ne tombera pas en panne de batterie de tout le voyage, et je pourrai y consigner tous les détails que tout autre muni d'une simple tablette perdrait dans les contrées où nous nous rendons. Le voyage c'est aussi une capacité d'adaptation.


Chez Peter et Jeannette

Enfin nous arrivons à Santo, où Peter et Jeannette nous accueillent. La nuit est tombée, il pleut. Nous arrivons par des chemins cabossés au bout de la route bitumée de Santo. C'est la plus grande île de l'archipel du Vanuatu. Avec ses 4250 kilomètres carrés, elle compte la deuxième grande ville de l'archipel : Luganville qui se situe au sud. La côte Est a reçu depuis 2008 une route bitumée de 60 kilomètres. Tout le reste du réseau routier est constitué de pistes cahoteuses qui s'enfoncent dans la jungle et traversent les rivières à gué. Les villages ne s'éparpillent pas à plus de 15 kilomètres à l'intérieur des terres, et se situent pour la majorité en bordure littorale. Nous voulions nous rendre dans les villages de la côte ouest, mais les accès y sont si difficiles que nous y avons renoncé. Il n'y a de ce côté-là, plus de pistes. Aucun 4x4 ne peut s'y rendre. Des barques munies de hors-bord nous y mèneront depuis Luganville. Mais la difficulté est d'en revenir, on peut attendre un « lift » de retour pendant des jours, des semaines, voire des mois ! Sans compter le prix exorbitant que demandent les propriétaires d'embarcations! Dans ces contrées-là, inutile d'emmener un téléphone même s'il date de « l'ère des touches » vous n'aurez aucune chance! Il n'y existe aucun réseau de communication. Pas de téléphone. Un village disposait d'une radio longue portée, mais elle est tombée en panne, il y a quelques années et n'a jamais été remplacée. Jeannette et Peter, nés à Santo et n'ayant jamais quitté leur île, m'avouent ne s'être jamais rendu du côté ouest de Santo.


Spartiate mais agréable

Nous arrivons donc à Towoc, dans leur village. Depuis 40 kilomètres la radio locale est inaudible. Peter écoute un cd de « string band ». De chanson en chanson les mêmes instruments, les mêmes voix et le même tempo se répètent. Des guitares s'ébrouent autour d'une basse constituée d'une corde sortie d'une caisse en bois et maintenue par un manche à balai. Le bassiste donne le rythme et chante de sa voix de chat dont on vient d'écraser la queue. Je demande pardon à nos amis ni-vans pour cette description qui dénote plus mon manque d'oreille musicale qu'une réelle connaisseuse dans le domaine(!) Ils en sont férus. Depuis que nous vivons "à la locale" nous entendons ce rythme partout et tout au long du jour. Les nuits sont épargnées, car en dehors des villes, l'électricité n'est plus desservie. Seules quelques cases possèdent des panneaux solaires ou un générateur et l'énergie n'est pas gaspillée pour la sono.


La première nuit, nous nous rendons peu compte de l'endroit où nous vivons. Nous nous installons à tâtons dans le noir. Au premier matin, nous découvrons notre case en bambou au toit de natangora, entourée de feuilles de taro immenses. Le jardin est peuplé de poules, de coqs, de chiens, de cochons, de vaches, de veaux. Nous vivons au bord de l'océan calmé par les multiples îlots qui protègent la baie de la houle du large. A marée basse, tous les animaux viennent boire l'eau douce qui s'écoule depuis les montagnes en subsurface vers la mer. Toute la famille en profite pour récupérer l'eau douce et fraîche et remplir les gamelles, les vasques qui servent à la douche. La vaisselle est faite à marée basse aussi. Et nous nous régalons à nous laver dans les trous d'eau aménagés par le sable. C'est la première fois que je sors d'un bain de mer, lavée à l'eau douce !


Maison typique de village

Malgré un « confort » spartiate, nous nous sentons bien dans cette ambiance familiale. La petite dernière de 2 ans et demi, Benita mène par le bout du nez ses grands frères. Tout le monde marche droit quand de sa petite voix elle impose ses lois. Même le chien, Max a compris qu'il n'y avait pas d'échappatoire, sauf dans nos jambes ! Bénita passe un petit moment sur mes genoux à « lire » des histoires imagées. Elle emballe tout le monde !


Nous passons la semaine à explorer les environs. D'abord Hog Harbour. Nous y rencontrons des jeunes garçons, Watson, Oka, Neff. Watson est le plus dégourdi de tous. Il sait quelques mots d'anglais et les utilise habilement pour nous demander d'emblée de l'argent. Je lui réponds qu'à son âge ce n'est vraiment pas beau de demander ça. Il m'envoie un grand sourire éclatant et des yeux brillants qui en disent long sur ce qu'il fera plus tard ! Il oublie sa requête, me prend par la main, et m'entraîne dans son village, nourrissant la balade d'une foule d'explications. Nous découvrons des fruits qu'il nomme Navel qui nous ne connaissions pas. Il chatouille les araignées. Et surtout, il ne dépasse pas les limites du village autorisées par ses parents !


Village de Santo

Les hameaux ni-vans sont en réalité des entités familiales. Plusieurs hameaux forment un village régi par un chef son autorité s'acquiert par hérédité. Le village n'est pas structuré autour d'une place, d'une école ou d'un bâtiment officiel. Il s'éparpille le long d'une piste ou d'une rivière. Il est constitué de cases, et sillonné par des sentiers. Un étranger aura immanquablement la sensation de pénétrer dans un espace privé, sans déterminer où il est possible de cheminer. Les enfants ne font pas tant de chichis. Ils traversent les espaces, en nous expliquant qu'ici c'est la case du chef, là celle de sa grand-mère, là son cousin. Nous passons devant une vieille femme édentée qui lave son linge sur une planche en bois dans des bassines d'eau laiteuse. Nous poursuivons par la « salle de bain » : grandes cuves d'eau où les enfants tirent des gamelles dont ils s'arrosent. (Entre nous, au village de Towoc, nous disposons des mêmes « sanitaires »!). Nous pensons à priori que n'importe qui construit sa case où bon lui semble. En réalité, les entités territoriales sont régies par des droits coutumiers d'utilisation. Les aînés veillent à la juste distribution des terres.


La circulation des personnes est également définie par la coutume. L'endroit n'est pas touristique et peu d'étrangers se promènent dans le village. Régulièrement et pendant tout notre séjour que ce soit sur Santo ou sur Malo, les adultes s'arrêtent pour nous saluer. Ils nous tendent une main chaleureuse. Ils ne parlent en général que la langue locale. En raison de la diversité linguistique du Vanuatu (115 langues vernaculaires), il est impensable d'envisager de toutes les apprendre. Parfois certains parlent le bichlamar (sorte de Pidgin adapté au Vanuatu), mais nous ne le comprenons pas mieux que les dialectes. Pourtant, nous parvenons à discerner ce qu'ils nous disent. Invariablement, ils nous demandent d'où nous venons, où nous allons et combien de temps nous restons. Ils ne comprennent pas trop nos réponses, mais ils gardent un sourire bienveillant et accueillant. C'est leur code de politesse. Mais pas seulement, car souvent ces questions sont accompagnées de gestes pour nous faire comprendre qu'ils veulent nous offrir une noix de coco ou tout autre fruit fraîchement cueilli pour nous désaltérer.


Cherchez l'homme blanc...

Quel peuple extraordinaire ! Nous vivons au sein de celui-ci (à Malo, nous sommes les seuls Blancs de l'île) et nous ne ressentons, à aucun moment, la moindre animosité, pas la moindre violence. Que du contraire ! Nous avons reçu comme cadeaux inestimables, leur bienveillance et plus, leur prévenance. Ici tout est amical ! Ils nous répètent souvent de ne pas nous inquiéter. Les araignées, les serpents et même les crocodiles sont « friendly ». Friendly and Magic Country où les crocodiles de mer descendent via les courants des Salomons vers le Nord du Vanuatu. Là-haut ils sont craints, mais en approchant d'ici, comme par enchantement ces grosses bêtes deviennent sympathiques et inoffensives (?) ...


Une autre qualité que j'apprécie chez les Ni-vans, c'est leur notion du temps. Ici, personne ou presque n'a de montre, et quand ils en portent une, j'ai la sensation que les aiguilles tournent à l'envers. Par contre, tous aiment parler d'heures, ils pensent sans doute que cela rassure nos pauvres neurones imbibés par les notions occidentales. Là où cette particularité m'a le plus frappée, c'est sur l'île de Malo. Voici, un endroit "paumé de chez paumé", où la vie s'écoule sans aucune télévision, sans radio, sans internet, sans électricité, ni eau potable. Ils ont, par contre, l'accès au réseau téléphonique sans fil, mais seuls les jeunes venus de Luganville en possèdent.


Sur Malo: corvée d'eau

Donc sur Malo, nous étions accueillis par Fomalehi, dans ce qu'elle nommait sa "guest house". Les sanitaires avaient l'allure de ceux de nos grands parents au fin fond de l'Auvergne avant la Première Guerre mondiale. La cuisine était un feu de bois où croupissaient une théière noire "charbon" et une poêle culottée par la graisse. L'eau du puits à côté des sanitaires servait à tout : la douche, la chasse d'eau, le thé, le café, ... Le puits était bien entendu à proximité des évacuations de tous les sanitaires qui s'écoulaient par voie de subsurface dans la mer.


C'est le seul endroit où je n'ai pas vu les vaches boire l'eau "douce" (du moins non salée) à marée basse! Elles ne sont pas bêtes!!!


Je vous plante le décor, car dans cette atmosphère antédiluvienne, Fomalehi s'évertuait chaque jour à nous dire qu'il se passerait telle ou telle chose à telle heure de la journée. Il ne se passe jamais rien sur Malo. Et nous rentrions docilement à la case à l'heure dite, pour ne trouver personne. En réalité. Devant chaque phrase à connotation temporelle, ils prononcent tous un petit mot qui passe inaperçu à nos pauvres oreilles et qui chez eux pèse de tout son poids. C'est « maybe ».


Un monde sans horaire

Ils disent « Maybe at 10 o'clock ». Voilà où se trouve le décalage horaire ni-van ! En Amérique latine il se prononçait « mañana » et même « mañana de la mañana » qui n'a rien à voir avec « demain matin », mais qui au rythme où nous nous enfoncions dans les pays se travestissait de plus en plus en « pas maintenant et on ne sait fichtrement pas quand! ». Le « maybe » ni-van se traduirait plutôt comme « va savoir ? », « no hurry don't worry »... Et puis comme dans toutes les langues il y a des notions intraduisibles.


Toutes les vies ni-vanes sont rythmées par le même quotidien, celui du travail au jardin. Ils y passent trois à quatre heures par jour en moyenne et cela suffit à nourrir toute une famille. Quant à l'argent, ils en ont si peu. Rendez-vous compte, c'est pour eux une performance d'épargner 200 vatus (1,6 euro) par semaine. Une « institution d'épargne des Mamas » s'est installée dans une case qui fait à la fois gîte, et « restaurant » au fin fond de Malo. Elle récolte les deniers des femmes de l'île. Cela se nomme Van Wood. De tout mon cœur, j'espère qu'elle respecte les normes de placement et qu'elle honorera sa promesse de remboursement avec intérêts !


Le cochon à dents

Seul le coprah, ou la vente de cochons sur Santo rapportent de l'argent, mais si peu. Songez qu'une tonne de Coprahs se paye 45 000 vatus soit 375 euros. Il faut à notre ami Nyel, une dizaine de jours de travail pour rassembler la tonne de Coprahs. Puis, il lui faut payer la barque qui acheminera son coprah à l'huilerie. En aparté, sachez que le coprah sert à alimenter les centrales électriques de Luganville et de Port Vila. Elles bénéficient de générateurs qui fonctionnent de manière mixte, mais qui privilégie les carburants naturels.


Aucun membre de la famille de Fomalehi ne va jamais à la Luganville : « c'est trop cher ». Nous disent-ils. Et la nature leur fournit l'essentiel. Une famille dépense en moyenne 5000 vatus (41 euros) sur plusieurs mois. Certaines arrivent à tenir 6 mois avec un tel capital.


En revanche, les cérémonies coutumières coûtent cher. Nyel nous explique son parcours. Sa mère est institutrice dans le « bush » de la partie ouest de Santo.

La dent de cochon emblème national

Nyel a suivi l'école jusqu'à l'adolescence. Pendant sa scolarité, il est tombé amoureux d'une fille de Malekula. Il s'est débrouillé pour s'embarquer à bord de pirogues … et braver l'océan jusqu'à Malekula distante d'une trentaine de milles de chez lui. Il a enlevé sa fiancée pour la ramener sur Malo, où son père lui a cédé l'usage de la cocoteraie. Pour apaiser le courroux de ses beaux-parents, il a entamé les palabres d'achat. Ici, on ne parle pas vraiment de mariage. Les filles sont « vendues » à leurs époux. Le prix a été fixé à 80 000 vatus (presque 700 euros). Nyel a travaillé 5 ans pour réunir la somme due à ses beaux-parents ainsi que celle nécessaire au voyage et à la cérémonie où seront offertes les racines traditionnelles d'ignames, de taro, manioc... Nyel a le choix de régler le mariage coutumier en vatus ou en cochons. Le cochon et surtout le cochon à dents sont la monnaie coutumière de prédilection. Les cochons à dents sont obtenus en retirant deux dents de la mâchoire, ainsi deux voisines sortent de la bouche en formant un cercle qui lorsqu'il est accompli rentre à nouveau dans la mâchoire du cochon. Ces pauvres bêtes, dont la souffrance est insondable vivent attachées et sont nourries par les enfants et les femmes afin qu'ils ne cassent pas leurs dents. Après la mort du cochon, les dents en cercle sont l'attribut des chefs. Ils les portent en collier. (La dent de cochon ronde est aussi le symbole du drapeau ni-van).


Les dents recourbées du cochon

Un cochon de taille moyenne et sans dent vaut 10 000 vatus, ceux à dents sont de réels trésors. Nyel ne possède que des porcelets, mais il a réuni la somme grâce à son travail de coprah et pourra se marier en novembre prochain. Tant que la cérémonie traditionnelle, bénie par les chefs du village de sa femme ne sera pas accomplie, sa femme peut à tout moment s'en aller. Par contre après l'accord des chefs, la jeune femme quittera sa famille de naissance dont elle perdra tous les droits y compris ceux d'héritage et elle appartiendra à la famille de son mari.


Nyel est d'une gentillesse inouïe. Il est le seul de l'île à parler le français appris avec sa maman institutrice. Il nous emmène dans son jardin sur les contreforts de la montagne. Le jardin ni-van est ce que les Polynésiens nomment leur faa'apu ou que nous désignons par « potager ». Il y fait pousser la base alimentaire dont la famille se nourrit quotidiennement : ignames, taros, manioc, bananes, et du « chou des îles ». Pour s'y rendre, il n'a rien besoin d'autre qu'une machette, il façonne dans une feuille de bananier un panier pour ramener sa récolte.


Les grottes de Malo

En chemin, il nous dévoile deux grottes magnifiques. Elles servent d'abri à toute la population lorsqu'un cyclone ou un tsunami sévit dans la région. Les entrées sont barricadées par les racines aériennes des banians. Celles-ci agrippent les parois rocheuses et donnent au lieu un air lointain de temple d’Angkor.


Au retour, sa grand-mère nous improvise un casse-croûte local. Pour le réaliser, elle n'a besoin que d'une machette, tout le reste se trouve à portée de main, offert par mère Nature. Il a suffi pour le réaliser de bambous, d'une igname et d'une noix de coco. En une demi-heure, nous partagions avec Nyel et Fomalehi un « snake lap-lap » ou serpentin d'igname cuit dans le bambou, qui sert de « casserole » posée sur le feu de bois.


Les Ni-Vans en raffolent.
Ce repas est très nourrissant, mais (vous allez vous dire que je suis une indécrottable Occidentale!) il est dépourvu de toute saveur. En quelques bouchées l'on se sent aussi plein qu'un oeuf, incapable d'ingurgiter le serpentin dans sa totalité.


Préparation du Snake Lap-Lap

Détail important, pour allumer le feu, pas besoin de briquet ou d'allumettes. Ces matériaux sont chers, et les habitants des îles reculées n'ont pas d'argent à consacrer à ce type de détail. Ils choisissent soigneusement une branche et des petits bâtons. Ils se mettent à califourchon sur la branche et frottent vigoureusement les bâtonnets, en moins de temps qu'il faut pour le dire, la fumée jaillit. Les bourres de coco animent la flamme.


Dans toute cette aventure, je ne peux manquer de vous parler de Matantas. Sur les cartes marines, ce village est noté comme « yacht-club » de Big Bay au nord de Santo. Après trois heures de piste enchâssée dans une jungle inextricable, nous atteignons le village en 4x4 . J'espère qu'aucun marin de s'attend à trouver ici un « yacht-club aux normes traditionnelles marines ». Nous nous trouvons à l'endroit exact où le premier Européen a débarqué dans ce que James Cool nommera plus tard les « Nouvelles-Hébrides ». Nous sommes en 1606 et Quiros croit avoir trouvé le continent austral. Il s'établit ici quelque temps. Il nomme l'île Terra Austrialis del Espiritu Santo. Il fait un jeu de mots entre Austrialis (origine autrichienne de la famille royale d'Espagne) et Australis, ce continent imaginé par les savants de l'époque et qu'aucun navigateur ne trouvera. Il bâtit la première colonie chrétienne de l'archipel. Il offre des titres de noblesse à tout son équipage, et nomme la future ville "Nouvelle Jérusalem" (actuel Matantas). Bien évidemment la rivière, qu'il prend pour un fleuve sera baptisé "Jourdain"! Mais très vite l'équipage déchante et reprend le large. Quiros ne laisse de son passage sur l'île que le nom de Santo et le "fleuve Jourdain". Quant aux noms d'origine de Santo, ils s'éparpillent dans la diversité linguistique et de souvenir d'anciens, l'île s'appelait jadis Inerei, Ta Marina et 25 autres patronymes tous aussi pittoresques les uns que les autres.


Les coutumes de Matantas

Aujourd'hui, Matantas préserve ses traditions bien à l'ombre d'une jungle luxuriante où s'éparpillent ses cases de bambous. Les sanitaires ressemblent à tout ce qu'on a connu depuis notre départ de Port Vila, quant aux réseaux de communication, on n'y capte plus aucun signal téléphonique, radiophonique ou de télévision. Bref les ondes hertziennes sont tenues à l'écart de ce centre « nautique » qui n'attire chaque année que quelques pionniers de la plaisance.


En revanche, ce village organise une fois par an, un « festival » où les habitants se drapent de feuilles de « nagaria », qui portaient le nom d'"auti" en Polynésie, feuilles sacrées que l'on retrouvait partout sur les marae. Ici, elle façonne de très belles, mais très inconfortables robes pour les femmes. Celles-ci passent leur journée à nous montrer comment elles cuisinent le lap-lap. J'ai droit à un cours accéléré de jardinage, où un simple pieu de bois me sert de pioche pour planter les racines qui servent de base alimentaire dans tout le Vanuatu. Nous passons sans transition, du jardin, à la préparation de la table : des feuilles de cocotiers, des feuilles de bananiers pour nappes, des feuilles d'heliconia pour plats. Et la saveur des doigts trempés dans la terre quelques minutes plus tôt en guise d'épices et de couverts. En contrepartie de tous ces efforts et dégustations à haut risque bactérien, nous assistons aux danses traditionnelles. Nous ne comprenons pas grand-chose, les chants en langue vernaculaire n'étaient pas sous-titrés, par contre, nous avons participé au grand éclat de rire suscité par un diable qui traînait dans l'entrejambe des noix de coco immenses. Preuve que l'humour trivial est planétaire.


Plage de Champagne Beach

A la suite de ces expériences culinaires quotidiennes, il était temps de rentrer au bercail. Si nous avons adoré l'aventure humaine, qui nous a mené au cœur des racines ni-vanes, par contre nos systèmes digestifs ont déclaré forfait, demandant grâce et un répit bien mérité avant la prochaine incursion au pays des tubercules.


Mais pas avant d'évoquer les deux endroits les plus idylliques du Vanuatu : Champagne Beach et Port Olry. Les deux baies couvent en leur sein une superbe plage de sable blanc. La première est lovée au coeur de falaises de verdure inviolées. Des cascades végétales s'écoulent vers la mer couleur émeraude. La baie n'a pas la nuance du joyau taillé, mais de la pierre brute, des reflets sombres et puissants. Le ciel généralement ombrageux ajoute une note de profondeur au paysage. Celui-ci est défendu de l'envahissement du béton par la famille de Towoc. Le patriarche a interdit l'installation de complexes hôteliers qui ont pourtant offert des ponts d'or à la famille. Pourvu que cette ténacité résiste au modernisme. Car un hôtel à cet endroit lui ôterait son identité sauvage qui lui sied tant. Plus au nord de Santo, le village de Port Olry n'a pas un cachet exceptionnel. Les cases sont faites de briques et de brocs, de tôles et de parpaings, de bambous et de peintures mal appliquées. Par contre, la plage est superbe. La mer, parsemée d'îlots dont l'un d'eux ressemble à s'y méprendre à un dauphin, est une merveille.


Plage de Port Olry

Là aussi, le tourisme ne s'est pas encore installé. Un homme, Louis Tiomé construisait une case pour accueillir les futurs touristes d'ici quelques mois. Il avait le projet d'en construire d'autres. Il est probable qu'il attirera des couples désireux de sortir des sentiers battus et n'aspirant pas au confort des « hôtels aux normes » construits autour de Luganville.


Les Ni-vans, chacun à leurs niveaux, pensent à la manne touristique et c'est une évolution normale. Le pays tout entier a pour politique et méthode de « commercialisation » d'aménager la réalité. En prônant les « most friendly spiders, snakes, crocodiles and people of the world ». Comment leur en vouloir ? Leur force n'est certes pas dans les clichés traditionnels de ciel bleu et de couchers de soleil somptueux, mais leur puissance se trouve dans leurs volcans spectaculaires, aussi impétueux que les coutumes qui résistent à la mondialisation du 21e siècle. Bien que le tourisme y fasse ses incursions, il n'est pas prêt de spolier la terre ni-vanne. L'éloignement, le manque de réseaux de communication et de voies de circulation protégeront longtemps encore ses coutumes, son peuple, son mode de vie naturel.



A plus, pour découvrir d'autres horizons


Nat et Dom


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Photo du mois

Déjeuner sur l'herbe au Vanuatu



 
© Droits réservés 2019 : etoile-de-lune.net | Article rédigé par Nathalie - Mise en page de Dominique