Lettre d'escale 103– écrite en août 2012
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Récit : Vanuatu, les îles du Nord, Santo et Malo
"On ne va jamais si loin que lorsque l'on ne sait pas où l'on va." de Rivarol
EN FIN DE MESSAGE :
Photo du mois : Le Vanuatu est le seul pays du Pacifique à traiter le cannibalisme ancestral avec humour et même à en faire un atout touristique. Au cœur de Santo, nous n'avons aucun mal à croire que cette pratique n'est pas si ancienne que ça...
Résumé
![]() Vanuatu : Ile de Santo |
Depuis huit ans d'escale en escale, nous arrivons avec « notre chez nous » chez eux... et nous perdons l'occasion de vivre avec les peuples qui nous accueillent. Cette fois, nous avons laissé notre Etoile à Port Vila et sommes partis, nos sacs sur le dos au sein de familles de Santo et de Malo , îles du Nord de l'archipel. Nous avons goûté à la vie telle qu'elle est vraiment, sans retourner vers le confort de notre bateau. Mangeant à la locale, buvant l'eau des puits, de pluie ou des rivières, dormant dans les paillotes de bambou aux toits de natangora. Ce voyage a recadré nos valeurs à l'essentiel. Nous savions que nous étions des enfants gâtés de l'Occident, mais à présent nous en mesurons toute la portée et, pardonnez ces mots :l'inutilité et la futilité de nos intérêts matériels. Le Vanuatu est le pays du "pa ni pwoblem" comme bien des pays tropicaux. Mais ici, c'est le "pa ni pwoblem" de la débrouille. Un Ni-van parvient à vivre en autosuffisance avec presque rien. Et pourtant, à ses yeux, il a tout. Tout ce qu'il faut pour nourrir sa famille.
Bonjour,
![]() Choc des cultures... |
Dans le petit aéroport de Port Vila, nous attendons l'avion qui nous mènera à Santo. Il est en retard comme tous les vols de Air Vanuatu. Pendant l'attente, je découvre d'étranges instruments. Les « Blancs » sont tous munis de tablettes dont les fonctionnalités paraissent illimitées. Celui-ci lit un bouquin, celui-là téléphone, un autre prend des photos, ailleurs un voyageur lit « El Pais », son journal quotidien, à plus de 20 000 kilomètres de chez lui. Des enfants d'élocution francophone courent et gesticulent tant qu'ils paraissent avoir envahi toute la salle d'attente. Ils ont tous en main une tablette et se débattent pour savoir qui va prendre la première photo de tel ou tel « indigène ».
Quelle horreur ! Ils se comportent comme des sauvages que les enfants d'ici regardent avec de grands yeux étonnés. Les enfants ni-vans respectent leurs parents, les autorisations ou les interdictions de ceux-ci. Ils sont sages sur leur chaise, attendent tranquillement à côté de leurs parents. Nous restons au sein des Ni-vans dont je me sens plus proche que de mes confrères occidentaux.
Tant que nous vivions dans notre microcosme marin, je ne m'étais pas aperçue de cette évolution. Et je comprends tout à coup la phrase d'une amie de ma petite Môman qui lui disait : « ta fille est décalée ! ». Elle m'a épargné de l'expression « has been » ! qui sans doute a reçu une lignée entière de synonymes plus branchés depuis ! Je me souviens qu'une amie m'avait prêté son téléphone tablette, il y a 3 ans, lors de mon retour en France. Dès que je tournais ce fichu écran, les touches virtuelles, et les photos glissaient sur l'écran, impossible de passer un simple coup de téléphone sans un doigté d'expert !
" Ces machines sont-elles habitées d'étranges gnomes??? "
Bon ok, je force le trait... Mais si peu !
Je rédige mon carnet de voyage, dans un cahier, avec des feuilles en papier et un stylo « bic » à quatre couleurs ! Et voici qu'en vous faisant cet aveu, je me retrouve dans le troupeau des derniers dinosaures de la planète. Pourtant, mon carnet ne tombera pas en panne de batterie de tout le voyage, et je pourrai y consigner tous les détails que tout autre muni d'une simple tablette perdrait dans les contrées où nous nous rendons. Le voyage c'est aussi une capacité d'adaptation.
![]() Chez Peter et Jeannette |
![]() Spartiate mais agréable |
La première nuit, nous nous rendons peu compte de l'endroit où nous vivons. Nous nous installons à tâtons dans le noir. Au premier matin, nous découvrons notre case en bambou au toit de natangora, entourée de feuilles de taro immenses. Le jardin est peuplé de poules, de coqs, de chiens, de cochons, de vaches, de veaux. Nous vivons au bord de l'océan calmé par les multiples îlots qui protègent la baie de la houle du large. A marée basse, tous les animaux viennent boire l'eau douce qui s'écoule depuis les montagnes en subsurface vers la mer. Toute la famille en profite pour récupérer l'eau douce et fraîche et remplir les gamelles, les vasques qui servent à la douche. La vaisselle est faite à marée basse aussi. Et nous nous régalons à nous laver dans les trous d'eau aménagés par le sable. C'est la première fois que je sors d'un bain de mer, lavée à l'eau douce !
![]() Maison typique de village |
Nous passons la semaine à explorer les environs. D'abord Hog Harbour. Nous y rencontrons des jeunes garçons, Watson, Oka, Neff. Watson est le plus dégourdi de tous. Il sait quelques mots d'anglais et les utilise habilement pour nous demander d'emblée de l'argent. Je lui réponds qu'à son âge ce n'est vraiment pas beau de demander ça. Il m'envoie un grand sourire éclatant et des yeux brillants qui en disent long sur ce qu'il fera plus tard ! Il oublie sa requête, me prend par la main, et m'entraîne dans son village, nourrissant la balade d'une foule d'explications. Nous découvrons des fruits qu'il nomme Navel qui nous ne connaissions pas. Il chatouille les araignées. Et surtout, il ne dépasse pas les limites du village autorisées par ses parents !
![]() Village de Santo |
La circulation des personnes est également définie par la coutume. L'endroit n'est pas touristique et peu d'étrangers se promènent dans le village. Régulièrement et pendant tout notre séjour que ce soit sur Santo ou sur Malo, les adultes s'arrêtent pour nous saluer. Ils nous tendent une main chaleureuse. Ils ne parlent en général que la langue locale. En raison de la diversité linguistique du Vanuatu (115 langues vernaculaires), il est impensable d'envisager de toutes les apprendre. Parfois certains parlent le bichlamar (sorte de Pidgin adapté au Vanuatu), mais nous ne le comprenons pas mieux que les dialectes. Pourtant, nous parvenons à discerner ce qu'ils nous disent. Invariablement, ils nous demandent d'où nous venons, où nous allons et combien de temps nous restons. Ils ne comprennent pas trop nos réponses, mais ils gardent un sourire bienveillant et accueillant. C'est leur code de politesse. Mais pas seulement, car souvent ces questions sont accompagnées de gestes pour nous faire comprendre qu'ils veulent nous offrir une noix de coco ou tout autre fruit fraîchement cueilli pour nous désaltérer.
![]() Cherchez l'homme blanc... |
Une autre qualité que j'apprécie chez les Ni-vans, c'est leur notion du temps. Ici, personne ou presque n'a de montre, et quand ils en portent une, j'ai la sensation que les aiguilles tournent à l'envers. Par contre, tous aiment parler d'heures, ils pensent sans doute que cela rassure nos pauvres neurones imbibés par les notions occidentales. Là où cette particularité m'a le plus frappée, c'est sur l'île de Malo. Voici, un endroit "paumé de chez paumé", où la vie s'écoule sans aucune télévision, sans radio, sans internet, sans électricité, ni eau potable. Ils ont, par contre, l'accès au réseau téléphonique sans fil, mais seuls les jeunes venus de Luganville en possèdent.
![]() Sur Malo: corvée d'eau |
C'est le seul endroit où je n'ai pas vu les vaches boire l'eau "douce" (du moins non salée) à marée basse! Elles ne sont pas bêtes!!!
Je vous plante le décor, car dans cette atmosphère antédiluvienne, Fomalehi s'évertuait chaque jour à nous dire qu'il se passerait telle ou telle chose à telle heure de la journée. Il ne se passe jamais rien sur Malo. Et nous rentrions docilement à la case à l'heure dite, pour ne trouver personne. En réalité. Devant chaque phrase à connotation temporelle, ils prononcent tous un petit mot qui passe inaperçu à nos pauvres oreilles et qui chez eux pèse de tout son poids. C'est « maybe ».
![]() Un monde sans horaire |
Toutes les vies ni-vanes sont rythmées par le même quotidien, celui du travail au jardin. Ils y passent trois à quatre heures par jour en moyenne et cela suffit à nourrir toute une famille. Quant à l'argent, ils en ont si peu. Rendez-vous compte, c'est pour eux une performance d'épargner 200 vatus (1,6 euro) par semaine. Une « institution d'épargne des Mamas » s'est installée dans une case qui fait à la fois gîte, et « restaurant » au fin fond de Malo. Elle récolte les deniers des femmes de l'île. Cela se nomme Van Wood. De tout mon cœur, j'espère qu'elle respecte les normes de placement et qu'elle honorera sa promesse de remboursement avec intérêts !
![]() Le cochon à dents |
Aucun membre de la famille de Fomalehi ne va jamais à la Luganville : « c'est trop cher ». Nous disent-ils. Et la nature leur fournit l'essentiel. Une famille dépense en moyenne 5000 vatus (41 euros) sur plusieurs mois. Certaines arrivent à tenir 6 mois avec un tel capital.
En revanche, les cérémonies coutumières coûtent cher. Nyel nous explique son parcours. Sa mère est institutrice dans le « bush » de la partie ouest de Santo.
![]() La dent de cochon emblème national |
![]() Les dents recourbées du cochon |
Nyel est d'une gentillesse inouïe. Il est le seul de l'île à parler le français appris avec sa maman institutrice. Il nous emmène dans son jardin sur les contreforts de la montagne. Le jardin ni-van est ce que les Polynésiens nomment leur faa'apu ou que nous désignons par « potager ». Il y fait pousser la base alimentaire dont la famille se nourrit quotidiennement : ignames, taros, manioc, bananes, et du « chou des îles ». Pour s'y rendre, il n'a rien besoin d'autre qu'une machette, il façonne dans une feuille de bananier un panier pour ramener sa récolte.
![]() Les grottes de Malo |
Au retour, sa grand-mère nous improvise un casse-croûte local. Pour le réaliser, elle n'a besoin que d'une machette, tout le reste se trouve à portée de main, offert par mère Nature. Il a suffi pour le réaliser de bambous, d'une igname et d'une noix de coco. En une demi-heure, nous partagions avec Nyel et Fomalehi un « snake lap-lap » ou serpentin d'igname cuit dans le bambou, qui sert de « casserole » posée sur le feu de bois.
Les Ni-Vans en raffolent.
Ce repas est très nourrissant, mais (vous allez vous dire que je suis une indécrottable Occidentale!) il est dépourvu de toute saveur. En quelques bouchées l'on se sent aussi plein qu'un oeuf, incapable d'ingurgiter le serpentin dans sa totalité.
![]() Préparation du Snake Lap-Lap |
Dans toute cette aventure, je ne peux manquer de vous parler de Matantas. Sur les cartes marines, ce village est noté comme « yacht-club » de Big Bay au nord de Santo. Après trois heures de piste enchâssée dans une jungle inextricable, nous atteignons le village en 4x4 . J'espère qu'aucun marin de s'attend à trouver ici un « yacht-club aux normes traditionnelles marines ». Nous nous trouvons à l'endroit exact où le premier Européen a débarqué dans ce que James Cool nommera plus tard les « Nouvelles-Hébrides ». Nous sommes en 1606 et Quiros croit avoir trouvé le continent austral. Il s'établit ici quelque temps. Il nomme l'île Terra Austrialis del Espiritu Santo. Il fait un jeu de mots entre Austrialis (origine autrichienne de la famille royale d'Espagne) et Australis, ce continent imaginé par les savants de l'époque et qu'aucun navigateur ne trouvera. Il bâtit la première colonie chrétienne de l'archipel. Il offre des titres de noblesse à tout son équipage, et nomme la future ville "Nouvelle Jérusalem" (actuel Matantas). Bien évidemment la rivière, qu'il prend pour un fleuve sera baptisé "Jourdain"! Mais très vite l'équipage déchante et reprend le large. Quiros ne laisse de son passage sur l'île que le nom de Santo et le "fleuve Jourdain". Quant aux noms d'origine de Santo, ils s'éparpillent dans la diversité linguistique et de souvenir d'anciens, l'île s'appelait jadis Inerei, Ta Marina et 25 autres patronymes tous aussi pittoresques les uns que les autres.
![]() Les coutumes de Matantas |
En revanche, ce village organise une fois par an, un « festival » où les habitants se drapent de feuilles de « nagaria », qui portaient le nom d'"auti" en Polynésie, feuilles sacrées que l'on retrouvait partout sur les marae. Ici, elle façonne de très belles, mais très inconfortables robes pour les femmes. Celles-ci passent leur journée à nous montrer comment elles cuisinent le lap-lap. J'ai droit à un cours accéléré de jardinage, où un simple pieu de bois me sert de pioche pour planter les racines qui servent de base alimentaire dans tout le Vanuatu. Nous passons sans transition, du jardin, à la préparation de la table : des feuilles de cocotiers, des feuilles de bananiers pour nappes, des feuilles d'heliconia pour plats. Et la saveur des doigts trempés dans la terre quelques minutes plus tôt en guise d'épices et de couverts. En contrepartie de tous ces efforts et dégustations à haut risque bactérien, nous assistons aux danses traditionnelles. Nous ne comprenons pas grand-chose, les chants en langue vernaculaire n'étaient pas sous-titrés, par contre, nous avons participé au grand éclat de rire suscité par un diable qui traînait dans l'entrejambe des noix de coco immenses. Preuve que l'humour trivial est planétaire.
![]() Plage de Champagne Beach |
Mais pas avant d'évoquer les deux endroits les plus idylliques du Vanuatu : Champagne Beach et Port Olry. Les deux baies couvent en leur sein une superbe plage de sable blanc. La première est lovée au coeur de falaises de verdure inviolées. Des cascades végétales s'écoulent vers la mer couleur émeraude. La baie n'a pas la nuance du joyau taillé, mais de la pierre brute, des reflets sombres et puissants. Le ciel généralement ombrageux ajoute une note de profondeur au paysage. Celui-ci est défendu de l'envahissement du béton par la famille de Towoc. Le patriarche a interdit l'installation de complexes hôteliers qui ont pourtant offert des ponts d'or à la famille. Pourvu que cette ténacité résiste au modernisme. Car un hôtel à cet endroit lui ôterait son identité sauvage qui lui sied tant. Plus au nord de Santo, le village de Port Olry n'a pas un cachet exceptionnel. Les cases sont faites de briques et de brocs, de tôles et de parpaings, de bambous et de peintures mal appliquées. Par contre, la plage est superbe. La mer, parsemée d'îlots dont l'un d'eux ressemble à s'y méprendre à un dauphin, est une merveille.
![]() Plage de Port Olry |
Les Ni-vans, chacun à leurs niveaux, pensent à la manne touristique et c'est une évolution normale. Le pays tout entier a pour politique et méthode de « commercialisation » d'aménager la réalité. En prônant les « most friendly spiders, snakes, crocodiles and people of the world ». Comment leur en vouloir ? Leur force n'est certes pas dans les clichés traditionnels de ciel bleu et de couchers de soleil somptueux, mais leur puissance se trouve dans leurs volcans spectaculaires, aussi impétueux que les coutumes qui résistent à la mondialisation du 21e siècle. Bien que le tourisme y fasse ses incursions, il n'est pas prêt de spolier la terre ni-vanne. L'éloignement, le manque de réseaux de communication et de voies de circulation protégeront longtemps encore ses coutumes, son peuple, son mode de vie naturel.
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