Le voyage sous un nouvel angle.

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"Ne te presse pas, tu iras plus vite et plus loin", la maxime de vie de Dom.

Bonjour,

Nous atterrissons à Tahiti en pleine nuit, nous venons de quitter l'alcôve réconfortante de nos amis de Calédonie. Nous nous retrouvons groggy sur le tarmac à rouler nos valises. La tête dans le brouillard, le coeur chaviré, les larmes au bord des yeux. Pas facile de quitter notre bateau. L'amitié de nos amis avait posé un baume sur notre peine, mais à l'arrivée à Tahiti, au lieu d'exploser à la joie de retrouver mes chères îles, je fonds en gros sanglots sur la perte de mon fiancé des mers!

Paumée, je suis paumée! Je dois l'avouer.

Pour amplifier le trait, nous tombons mal dans un premier temps. Le microcosme sociétaire qui nous "accueille" me fait penser à une cage de hamsters. Ces petites bêtes, si mignonnes en apparence, passent leur temps à courir dans une roue qui ne mène nulle part. Pendant que l'une s'époumone à tourner, les autres, qui s'ennuient, ne trouvent pas d'autre occupation que de se "bouffer la rate", de colporter des ragots et de propager des "fumées sans feu". Très vite, nous nous évadons de ce "bagne aux fous". Nous refermons soigneusement la porte afin que ce landernau reste isolé.

J'ajouterais à la manière des grands cinéastes qui se dédouanent : "« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »" Mais Dom vient de me souffler une traduction plus directe : "Toute personne qui se sent visée, l'est"...

Passons aux "choses sérieuses", celles qui ont de l'importance pour toute une vie, celles qui marquent à jamais la mémoire et le coeur.

Nous retrouvons avec bonheur, Mamy Rita, Loana, et son "tahitien blanc", Gérard. Le "Tropical Garden" qu'ils avaient ouvert le temps de notre premier voyage sur Moorea, est à présent une affaire prospère, leur jardin a poussé en une magnifique réalisation colorée qui surplombe la baie d'Opunohu. Plus bas, sur la route, quelle joie de passer des moments avec les Fifis. Eux aussi démarraient leur affaire de restauration à notre premier voyage. Comme ça fait du bien de trouver à présent un endroit réputé où il fait bon vivre et bien manger! "Chez Fifi" et le Tropical Garden se complètent et sont encore et toujours les BONS plans à ne pas manquer sur Moorea.

À Tahiti, nous rejoignons Tita et Alain Blin, leur équipe du chantier Technimarine avait refait une beauté à notre Etoile, Arsène lui avait repeint la coque, lui donnant un vrai coup de jeune, mieux qu'un lifting! Nous sommes vraiment fiers du travail qu'ils ont réalisé, car nous savons que notre successeur tient entre ses mains un bateau en forme prêt à s'élancer vers de nouveaux projets. À présent, nous considérons Tita et Alain comme de vrais amis, ils travaillent d'arrache-pied sur leur chantier, n'accordant que peu de temps à leur propre vie, pour ne donner que le meilleur d'eux-mêmes à chaque bateau qui transite sur leur chantier. Ils ne sont pas aidés par les règlementations qui changent à tour de bras, en Polynésie. Ainsi la longueur des séjours pour les bateaux en transit sur le Territoire s'est réduite à 18 mois. Nous espérons tous que cela changera à 36 mois, ce qui donnera un second souffle à tous ces métiers de la mer. En attendant, Alain et Tita déploient des trésors d'énergie. J'ai beaucoup de respect et d'admiration pour ce couple et leurs équipes.

Avant de quitter Tahiti, nous retrouvons Fanch, un très bon navigateur, doublé d'un pilote hors pair. Il nous emmène à bord d'un cessna et nous prenons avec lui de la hauteur. Nous survolons le grand bleu pacifique pour rallier Moorea. L'île est belle vue au ras de l'eau, mais elle est encore plus belle vue du ciel. Une splendeur! Les mots me manquent pour décrire ces baies échancrées, tapissées d'un camaïeu de bleus, allant du translucide turquoise à l'outremer profond. Le relief acéré plante ses dents dans les nuages. Le récif plonge dans les abîmes. La frange d'écume étourdissante de lumière dresse la frontière du lagon où se reflètent les nuages. Tous les ingrédients de la beauté sont là! Ils engendrent un bonheur inondant l'être pour longtemps.

Nous laissons la petite soeur de Tahiti, et je me prends pour Belmondo, dans le film de Claude Lelouch "Itinéraire d'un enfant gâté". Ce film fait littéralement partie de ma vie. Ce moment où Jacques Brel entame la chanson "Une île"... "au large de l'espoir" et où l'avion pique sur le lagon de Tetiaroa, nous le vivons en direct. C'est magique! Survoler ces couleurs, cet atoll jadis acheté par Marlon Brando est un bonheur au-delà du descriptible!

Quoiqu’à la réflexion, il faut que je fasse attention à ce que j'écris.

En "réintégrant le monde des Terriens", nous vivons un certain décalage, pour ne pas dire un décalage certain! En particulier avec la "jeunesse". Et puis, non... avec tout le monde! Je vous explique : une jeune voyageuse nous a demandé "c'est qui Marlon Brando"? À cette question, le temps écoulé depuis 2002 nous a rejoints à la vitesse de la lumière. Est-il possible qu'aujourd'hui cet homme soit déjà oublié? Nous n'avons pas vu "le monde" évoluer. Notre mise à jour va être rude! Est-il vraiment utile de réinitialiser notre mode de fonctionnement ?

Quel paradoxe!

Le monde a changé loin de nous et pourtant depuis 10 ans, nous le fréquentons intimement. Il nous a apporté et nous offre encore son lot de leçons de vie, un apprentissage, une vision profonde, presque "privée" à chaque pas de notre voyage. Nous sommes ouverts à tout ce qui se passe au sein des peuples rencontrés, aux paysages fabuleux, à tout ce que notre belle Planète recèle de trésors impalpables, inestimables. Mais, il est évident que notre Mère la Terre fonctionne à deux, voire plusieurs vitesses. La première vitesse atteint l'essence de la vie, elle ne sert souvent qu'à ceux qui "survivent" dans un immense éclat de rire lancé au destin . Il n'a pas déposé dans leur berceau la cuillère en argent de la civilisation du 21e siècle, mais ils bravent l'adversité avec de grands éclats de rire, la tête au soleil et les pieds englués dans la fatalité.

Il y a aussi la vitesse de tous ceux qui sont à fond dans la course du consumérisme. Le pied au plancher on ne prend plus le temps de découvrir, de connaître, d'approfondir.
De s'arrêter, tout simplement.
Cette jeune femme fait le tour du monde, elle a fait de brillantes études. Elle ne s'attache pas aux dinosaures du jurassique du cinéma, certes. Mais elle est le symbole de nombreuses personnes rencontrées. Nous réalisons que les lacunes en culture générale sont un gouffre au sein d'une jeunesse qui se spécialise. Elle est spécialisée, et non diversifiée. Elle passe son temps à échanger, à partager de l'instantané, aussi vite oublié.

Et puis, une autre réflexion vient compléter cette première constatation.

Depuis le mois de juillet, vous ne vous imaginez pas le nombre de "tourdumondistes" que nous rencontrons. Pour exemple à Maupiti en 4 jours nous avons rencontré une famille de 3 enfants, trois couples, un solitaire, faisant le tour du monde (5 TDM pour 4 jours). Et ce n'est pas une exception, les tourdumondistes deviennent nos copains d'un jour. Faire le tour du monde n'est plus un acte marginal, c'est une "habitude de voyageurs"... Nous croisons des familles, des célibataires en sursis, des étudiants en devenir d'un job, des couples en voyage de noces ou à la retraite. Les durées sont variables, elles ne dépassent pas 15 mois (c'est très long, paraît-il et je ne connais qu'un seul exemple). Un an c'est rare. Quelques mois, c'est fréquent, quelques semaines sont de bon ton! Le record absolu est battu : 19 jours, pour un célibataire et un tour du monde. La carte postale géante : "Il passe par là".

Le pauvre Phileas Fogg peut aller se rhabiller. Jules Vernes, ce grand visionnaire, n'aurait jamais osé l'imaginer.

Quelle est donc la motivation? Une mode? Un défi? Une course ? Contre qui?

Vite, vite d'une escale à l'autre. Ce mode de voyage sans être totalement nouveau, puisque nous vous en avons parlé déjà, se pratique depuis quelques années à peine. Il est dans l'air du temps, où il suffit de sauter dans un avion. Et tout le monde, bien évidemment fait un blog. En fait, celui qui voyage pour lui seul est une perle rare (je me demande parfois pourquoi je continue à écrire?) Je les vois vivre deux vies, celle qu'ils racontent, celles qu'ils vivent et "courir" pour parvenir à coordonner les deux. Ils me disent : "je vous donne l'adresse de notre blog, mais il n'en est encore qu'au Péru, et j'ai du retard".

On ne prend plus un congé sabbatique pour vivre, mais pour courir. Non plus pour changer de mode vie, mais pour garder le même rythme.

Tout cela me trouble. Sans arriver avec ma canne vacillante sortie du fond des âges et une voix chevrotante, je me souviens qu'il y a dix ans, à peine, les personnes rencontrées consacraient la même période de temps (de quelques semaines à quelques mois) à une région particulière, voire tout un continent qu'ils découvraient, sur un thème qui leur était cher. Ils prenaient le temps de vivre le contact et la découverte. Un break ! ( en bon français!) Ils revenaient de leur voyage, éblouis, épanouis, transformés, le coeur rempli de nouvelles amitiés. Ils avaient compris que la vérité avec laquelle ils étaient partis n'était pas la même que celle des peuples rencontrés. Ils se pliaient au rythme du monde, plutôt que d'imposer le leur. Leur tolérance en était grandie. La tolérance, ça ne se limite pas à dire : "ok mon frère, tu es de la tribu d'à côté, mais tu es bienvenu sur mon lopin de terre". C'est bien autre chose, c'est arriver à vivre un choc culturel, à visualiser un mode de vie, de pensée radicalement différent de celui dans lequel on est né. Sans avoir la "prétention" de l'intégrer, mais y accéder, le comprendre, le voir, et en revenir enrichi dans ses propres valeurs! Au retour, le voyageur est alors tenté de se poser, de réfléchir, puis de décanter pour raconter.

Aujourd'hui nous faisons tout en même temps. Notre quotidien est un instantané trop vite échangé. Et ce partage me fait plus l'effet d'une benne qui se vide sur Internet que d'une vraie relation de voyage.

Le voyage n'est-il plus qu'un "vulgaire" déplacement géographique sur le planisphère? Se laisse-t-on encore gagner par une profonde mutation à laquelle il faut laisser le temps de germer et de s'épanouir? Il n'est parfois pas nécessaire d'aller très loin pour "découvrir le monde", il suffit de consacrer du temps à la découverte d'un ailleurs, quel qu'il soit, même s'il se trouve au fond de soi. Je me dis souvent que le quotidien des uns est l'exotisme des autres. Ce que nous photographions dans une région où nous ne sommes pas nés n'est autre que le quotidien des natifs de ce pays. Il mérite qu'on s'y attarde, qu'on prenne le temps de comprendre, de lier des sentiments de confiance avant de capturer une image à la sauvette. A l'inverse, ce que nous faisons au quotidien aura le même cachet d'étrangeté à nos hôtes venus d'ailleurs.

Je repense à un gars que nous avions rencontré en Colombie. Il avait fait en 3 mois le tour de l'Amérique latine, et c'était "à l'époque" (2007) un GRAND voyage, une performance! Lorsqu'il était revenu, nous avions passé un long moment avec lui, nous avions bu ses paroles. Il nous faisait l'effet d'un extra-terrestre, et la phrase, qui revenait à chaque description des pays où il était passé, était : "Mais je ne suis pas resté assez de temps pour... ". Nous ressentions, chez lui, une énorme fatigue doublée d'une frustration. Aujourd'hui, rares sont les tourdumondistes qui ne nous donnent pas la même impression. Beaucoup d'entre eux nous quittent en disant : "nous serions bien restés plus longtemps".

Je suis consciente qu'à l'heure actuelle, le temps est un luxe. Je n'ai pas envie de jouer la "mère-conseil". J'aimerais ouvrir une foire aux questions pour les futurs candidats au tour du monde. Posez-vous la question de ce que vous avez envie de faire. Voulez-vous boucler un tour complet pour la performance, ou cherchez-vous à découvrir le monde? Préférez-vous multiplier les escales, ou garder la faculté de vous "arrêter"? Voulez-vous voyager ou tourner autour de la boule? Voulez-vous vivre ou accomplir? Préférez-vous accumuler les cartes postales, ou ne garder que quelques impressions fortes?

Pour moi, tout est bien!

La critique qu'on me soumettra très certainement, c'est que tout le monde n'a pas forcément le temps. Je le comprends, tout à fait! Certains dans une séquence de vie impartie désirent tout voir. L'important à mes yeux n'est pas ce qui "se fait", ce qui est de "bon ton" ou la mode. Ce qui me semble primordial, c'est ce que l'on vit. Le principal est de se sentir bien dans son choix et de tirer de son voyage le meilleur. Chaque minute du voyage doit profondément être ressentie comme une chance, un bonheur inouï. La frustration ne devrait jamais faire partie des sentiments d'un voyageur. Choisissez les formules qui vous conviennent, et non celle qui vous fera dire au bout du compte : "Ayé, c'est fait!"

Je ferme cette parenthèse de réflexion, souhaitant que tous, à l'aune de ce qu'ils aiment faire, apprécient notre belle Planète.

Quelques jours après les sublimes émotions du survol des îles soeur de Tahiti, nous changeons de monture, et grimpons à bord du Hawaiki Nui, cargo amenant le fret de Tahiti vers les Îles-Sous-le-Vent. Nous reprenons la mer pour 24 heures. Le choix de ce mode de transport est dicté, non seulement par mon amour intarissable pour l'océan, mais également par la "raison du portefeuille". Nous aimons la Polynésie, mais les déplacements au sein de l'archipel par avion sont hors de prix. Ainsi, nous adoptons le mode le plus économique qui soit : le cargo! Sur le pont, l’aller (Tahiti Bora) coûte 2000 francs pacifiques soit 16 euros. Les cargos interîles disposent de très peu de places (12) pour les passagers. Le point de départ est Tahiti. Nous passons la nuit en mer, et nous nous retrouvons à 2 heures du matin à Faré, le petit port de Huahine. Au lever du jour, c'est au tour de Raiatea de décharger et d'embarquer ses denrées, et en fin de matinée, nous arrivons à Bora Bora, soit à 278 kilomètres du point de départ. La plupart des passagers naviguent sur le pont supérieur à l'air libre, ils dorment sur des nattes et se protègent des grains par un toit de paillote. Quelques passagers privilégiés disposent de cabines, où les attendent des lits superposés de fortune. Le confort n’est pas de mise, en revanche, la bonne humeur, l’ambiance « très locale », sont assurées. J’ai tellement aimé ce voyage, que j’étais la dernière à descendre à Bora… j’aurais bien fait l’aller et le retour dans la foulée. Je me serais volontiers engagée comme matelot!

Mais une nouvelle aventure nous attend, à ne pas manquer!

Sur le quai nous attendent Vaite et Alain. Vaite est une "amie de Facebook" (signe des temps!), nous ne nous étions jamais rencontrées, mais au moment de quitter notre Etoile lorsque Dom m'avait laissé le choix entre partir sur l'Indonésie ou la Polynésie, j'ai immédiatement sauté sur l'occasion de revenir vers mes "chères îles". Il nous fallait trouver un point de chute, et la pension de Vaite était pour nous l'idéal. Sur place tout se confirme. Nous vivons à la fois dans une ambiance familiale, décontractée, mais aussi totalement indépendante. Nous ne pouvions rêver meilleure situation. Après avoir vécu, dans cette délicieuse solitude océanique à deux, il nous fallait à la fois être libres et entourés. Et c'est exactement l'ambiance que nous offrent chaque jour nos amis.

Vous l'aurez compris, la pension de Vaite, est LE bon plan de Bora!

J'ai encore trop de "choses" à vous raconter pour tout "caser" dans cette lettre, je vous réserve pour un prochain rendez-vous d'escale, la suite de ce "retour à Terre".

Nat et Dom


La photo du jour

Photos du mois

Nous survolons Moorea en petit avion de tourisme. Le paquebot "Paul Gauguin" dans la baie de Opunohu.