Nous sommes donc à Tanna, sur le plateau du centre brousse, traduction de la carte qui indique le "middle bush". Nous sommes accueillis par la famille d'Iso. Et je lui dis que mon rêve est de voir une cérémonie traditionnelle où les femmes ont le visage peint. Je lui conte avec force et détail, les photos que j'ai vues à Port Vila, sans pouvoir en dire plus. Il fronce les sourcils. Il appelle sa femme Rachel, et ... en leur langue nata, ils palabrent. Il décroche son téléphone portable... Il palabre... Elle part en cuisine, elle parle à Marie, Lotti... et le soleil se couche, et nous nous résignons à une douche glacée dans le jardin. Nous revenons transits vers le regard illuminé d'Iso qui nous dit que vendredi, une cérémonie "non touristique" est donnée à LANAKEN. Attention, avec un "n" à la fin, pas un "l" comme le village principal de Tanna.
Il nous dit de nous préparer à l'expérience de notre vie.
Nous sommes mardi, nous vivons au sein de la famille des jours heureux agrémentés de soirées au bord du volcan qui nous donne déjà de vives émotions. Lorsque... le vendredi arrive, force est d'admettre que le volcan est beau, très beau. Il donne effectivement d’ardentes émotions, mais en comparaison avec cette après-midi à Lenaken. Je ne connais rien, qui de tout notre voyage nous aura autant marqués!
Les premiers contacts sont extrêmement colorés. Les femmes vêtues parfois à l'Occidental, plus souvent de pagnes teintés au naturel (quel travail!) ont le visage peint de couleurs psychédéliques que leur fournit l'argile de leur terre volcanique. Les cheveux sont plantés de plumes colorées. Et au passage, la petite Belinda, sous l'oeil bienveillant de sa maman, m'offre une plume qui pour moi devient un véritable "trophée". Son papa est prof de français et s'obstine à me parler anglais. Quand je lui demande pourquoi. Il me répond : "c'est si bon votre accent français dans l'anglais!"... Bon, je ne sais s'il faut le prendre comme un compliment. Mais... il a les yeux si pétillants, si gentils. Comme toute la population de cette cérémonie, qui réunit au moins 500 personnes.
Une place centrale est définie autour de différents groupes réunissant entre 20 et 70 personnes. Chaque groupe est une tribu voisine et amie des autres qui partagent un même événement : la circoncision des jeunes garçons. Ils ont entre 3 et 12 ans (c'est rare de trouver si vieux, mais cette fois deux garçons de 12 ans faisaient partie de la cérémonie). Ils ont subi, la circoncision par l'incision du prépuce exécutée par le plus traditionnel des bistouris : un couteau de bambou. Après l'opération, les enfants sont entraînés par leurs aînés exclusivement masculins : pères, oncles, grands-pères, dans la brousse, loin de leur mère pendant 3 mois. Là, ils sont initiés à la vie d'homme. D'abord, ils doivent gérer leur douleur. Il n'existe sur l'île aucun anesthésiant, pas de remèdes médicaux de désinfection. Donc, ils soignent grâce à "mère nature" leurs plaies, mais aussi paraît-il, subissent-ils les avanies de leurs aînés qui viennent les visiter la nuit, attiser leurs peurs et les humilier. Bref, de quoi "devenir un homme". Au bout de ces quelques semaines hors du giron maternel, la leçon de vie est censée porter ses fruits jusqu'à la fin de leur jour. Et c'est aujourd'hui que ces enfants reviennent vers leur famille.
Le principe du don est assez difficile à comprendre. En fait, c'est la famille du père du circoncis qui offre à la famille de la mère le plus de présent possible. L'année de circoncision est donc déterminée par la capacité de la famille côté paternel à accumuler les richesses qui vont basculer dans le clan de famille côté maternel.
Pour nous, pauvres "Occidentaux" non initiés ce genre de cérémonie, est une leçon de tolérance et de remise à niveau de nos valeurs.
Les regards sont gentils, profonds. Ce que nous interprétons comme une violence sauvage est ici une "violence" naturelle, sourde, presque sereine. Un reliquat d'un passé de survie, où les clans et leur solidarité étaient la seule réponse à l'inconnu de ces terres au milieu de l'océan où ces peuples se sont établis, il y a 3500 ans. Pour les clans de Tanna, ce qui est violent, ce sont nos enfants qui manquent de respect à leurs ainés, qui consacrent toute leur énergie à la force brutale des nouvelles technologies, sans rien connaître de la nature qui les entoure...
Puis, le silence se rompt, les enfants retrouvent leurs mères. Ils arborent dès lors un vrai regard d'enfant avec la sucette que leur tend leur mère. Les hommes frappent des mains se réunissent au centre de tout, entouré des femmes, qui bondissent au son des claquements de main des hommes. Ils chantent et font trembler la terre à chacun de leurs sauts.
Emotion immaîtrisable pour l'étranger que nous sommes!
Une leçon de vie.
Il n'existe pas une seule façon de voir le monde. Une pensée unique. Une émotion universelle. Chaque bout de notre belle planète possède ses propres modes de fonctionnements. Et même si, l'humain présente de grandes similitudes, il a pensé sa Terre à l'aune de ce qu'il connaît, de ce qu'il a connu, et de ce qui l'attend.