LES TATOUAGES
Une identité à fleur de peau



INTRODUCTION


Tatoueur tatoué (MOOREA)

On ne peut dissocier le tatouage des hommes et des femmes qui les portent. Ils sont une marque indélébile que la volonté impose à l'enveloppe corporelle. Ils donnent une couleur, une forme, une reconnaissance de la personnalité que nous avons en face de nous. À moins que ce soit tout le contraire... Et que l'être tatoué ne masque définitivement ses traits de naissance pour s'en inventer d'autres, imaginés par lui seul?


La pratique polynésienne du tatouage remonte à la nuit des temps. A celle où ce peuple vivait encore sur le continent indo-asiatique. Il y a plusieurs millénaires ce peuple partait à la conquête de l'océan. Ce creuset unique engendra autant de peuplades que d'îles colonisées. Les pratiques de tatouages, les similitudes de symboles propagés dans tout le Pacifique, sont autant de preuves de cette même origine.


Les Polynésiens se tatouèrent jusqu'au début du 19e siècle, puis pendant cent cinquante ans, les missionnaires interdirent le tatouage. Vers les années 1980, les Maohis se réapproprièrent cet art ancestral. Ils le travaillèrent et l'adaptèrent aux sensibilités contemporaines. Aujourd'hui le tatouage polynésien est en pleine forme!


UN PEU D'HISTOIRE


Tiki Village (Moorea)

De tout temps l'homme s'est piqué la peau pour y incruster des marques indélébiles. Les fouilles archéologiques et ethnographiques ont prouvé l'universalité de cet art très ancien, en découvrant les tatouages de chasseurs du Néolithique, de princesses sibériennes, de Grecs anciens, de palefreniers japonais... Pourquoi ce besoin de se peindre la peau? Sans doute pour conjurer le sort inexplicable du destin, pour se prémunir de maladies, attirer à soi la protection des "Tout Puissants", offrir à son clan des signes de reconnaissance, ou écrire son Histoire et la transmettre dans la chair des générations futures.


Si cette pratique est répandue partout dans le monde, elle a atteint une surprenante intensité dans le triangle polynésien, dont les îles Marqtises seraient le point culminant par l'aspect spectaculaire des tatouages qui s'y pratiquaient. Les premiers explorateurs européens racontent à quel point les corps étaient totalement recouverts de motifs d'une diversité telle que certains ont cru y déceler les prémices d'une écriture. Les explorations répétées dans le Pacifique ont eu pour effet d'introduire durablement l'art du tatouage dans les cultures européennes. Au départ les explorateurs revenaient avec des "specimen". Omai fut le premier Tahitien ramené en Occident par James Cook. Il fréquenta les salons à la mode où il exhibait ses tatouages, et le président de la Royal Academy en personne voulut dessiner son portrait.


Tatouage

Pendant ce temps, les marins embarqués dans les voyages de Wallis, Bougainville, Bligh... cèdent, eux aussi, à la pratique du tatouage. Aujourd'hui, il est difficile de trouver la moindre estampe d'un marin, corsaire, pirate, flibustier de l'époque non tatoué. Le premier "tatoué blanc" reconnu et le plus célèbre aussi fut Jean-Baptiste Cabri qui, après désertion à la fin du 18e siècle, s'établit et se maria à une princesse marquisienne de Nuku Hiva. Devenu gendre d'un grand chef, il reçut les tatouages du visage dû à son rang. Mais le sort ne lui permit pas de voir grandir ses enfants et vieillir sa femme. Une expédition russe l'enleva à sa nouvelle famille pour le ramener et l'exhiber à la cour de Russie. Il gagna la confiance du Tsar Alexandre 1er et fut libre de rejoindre la France où pour gagner l'argent nécessaire pour rejoindre Nuku Hiva, il exhiba ses tatouages. Mais il mourut avant de réunir la somme. A sa mort des naturalistes voulurent récupérer sa peau, pour l'exhiber dans un musée. Mais, sans doute aidé postmortem par des amis, le corps de Cabri disparut et une simple reproduction fut exposée...


Cet exemple rocambolesque prouve l'engouement de l'époque pour les tatouages considérés alors comme de réelles oeuvres d'art dignes de musées ethnographiques.


D'autres tatoués célèbres figurent maintenant dans les livres d'histoire, c'est le cas de l'Anglais Rutherford, l'Irlandais O'Connell. Mais contrairement à Cabri qui fut entièrement tatoué à Nuku Hiva aux Marquises, les deux autres ne le furent pas en Polynésie, mais pour le premier d'entre eux, en Nouvelle-Zélande (achèvement dans les îles de la Société) et en Malaisie pour le second... Marins ou Beachcombers (ramasseurs de coquillages) le 19e siècle est jalonné d'histoires burlesques de "blancs" tatoués de gré ou de force par les peuplades du Pacifique.


Les Polynésiens se tatouèrent jusqu'en 1819. Date à laquelle Pomare édicta un code qui interdit cette pratique sous l'insistance des missionnaires, qui y voyaient la traduction des cultes païens accompagnés de cérémonies immorales. Dans la foulée, les danses furent également interdites, ainsi qu'une foule de cultes ancestraux. Pendant 150 ans, du fait de l'interdiction par le code et de l'habillement des Polynésiens qui ne déambulaient dessortaient plus nus dans leurs îles, le tatouage disparut des moeurs. Jusqu'à ce qu'en 1980 le tatouage polynésien réapparaisse grâce aux notes et aux croquis du missionnaire allemand Karl Von Steinen qui avait fait plus de 400 schémas de tatouages polynésiens. Cette découverte a permis à quelques pionniers de réhabiliter le tatouage polynésien, à l’occasion des fêtes de Tiurai (Heiva).


Depuis 1980, l'art du tatouage n'a cessé de regagner ses lettres ancestrales. Les tatoueurs ont à coeur de renouer avec leur culture, leur histoire, ils interrogent les ancêtres et surtout, ils laissent émerger ce qu'ils ont dans le sang. Cette génétique transférée malgré les interdits rejaillit bel et bien aujourd'hui pour prouver au monde entier que le peuple Maohi est fier encore aujourd'hui de ses Tupunas!


TATAU ET TABU


Le terme tatou est un dérivé d'une mauvaise compréhension de James Cook d'un mot polynésien. Lorsque les Maohis lui parlaient de "Tatau", il entendait "tattow", mot qu'il consigna dans ses carnets et qui donnèrent le mot français Tatouage. La racine du mot maohi signifie "heurter", "frapper". Le Tatoueur se nomme de Tahua.


L'art du tatouage est dans le monde des Maohis hautement ritualisé. Ce qui en termes Polynésiens consiste à dire que toute la pratique était empreinte de Tabu à ne pas franchir. Les contraintes traditionnelles concernaient le lieu et le moment du tatouage, la personne désignée, les méthodes d'entretien des outils, les séquences et les surfaces du corps couvertes, les types de dessins et les fêtes pendant laquelle les nouveaux tatouages seraient dévoilés. Enfin, le paiement du Tahua était lui aussi ritualisé. Ces contraintes avaient pour objectif, d'une part la continuité au travers des générations et d'autre part, la haute qualité d'exécution des oeuvres.


TATAU UN REMEDE AU TABU


Le tatouage: une seconde peau

Pour les Maohis, les naissances étaient un grand mystère. Un enfant sortait du Po ( la nuit originelle où se trouvent les esprits et les dieux). Un Nouveau-né était donc complètement Tabu (intouchable). Afin de lui ôter un peu de ce "sacré", il était tatoué de différents signes tout au long de son enfance. Les premières marques étaient tatouées au coude : sans celles-ci, l'enfant n'était pas libéré du tabu relatif à la nourriture et ne pouvait ni manger à la table familiale, ni absorber d'autre nourriture que celle préparée exclusivement par sa mère.


Plus tard, les filles devaient subir le tatouage des mains, afin de pouvoir préparer le repas familial.


Enfin, lorsqu'apparaissaient les premiers signes de la puberté, les jeunes Polynésiens devaient se soumettre à tous les tatouages rituels requis pour pouvoir participer aux actes quotidiens du village, et surtout se marier.


Les jeunes gens tatoués recevaient plus facilement des demandes en mariage que ceux qui ne l'étaient pas. Un homme non tatoué était considéré comme moins attirant. De plus, le tatouage prouvait à la fois le rang social et la santé physique. Il était un signe d'endurance et de courage. C'est ainsi que les chefs et les guerriers arboreraient les motifs les plus sophistiqués.

Chaque tatouage a une signification

Quelques motifs sont ainsi connus pour avoir appartenu à une classe sociale particulière. Des spirales dans la prolongation des yeux se retrouvaient chez tous les guerriers. Des spirales sur le front et les tempes indiquaient la marque du chef. Les rectangles partageant le visage sont la marque de la place de la personne par rapport au chef : héritier, gendre...


Les hommes tatouaient le plus souvent leur corps dans une optique guerrière, utilisant des motifs hypnotiques supposés renforcer le pouvoir d'une armure. Ils se faisaient également tatouer les yeux, afin d'augmenter leur pouvoir. Certains symboles étaient même tatoués dans le but d'affaiblir le "mana" (force, pouvoir) de l'adversaire, ou de l'accaparer à son profit. Aux îles Marquises, les motifs étaient remarquablement graphiques, suivant les courbes des corps. Aux îles de la Société, les tatouages étaient plus figuratifs. On raconte que certains arboraient des cocotiers sur les jambes. Les chefs quant à eux, se tatouaient tout le torse des scènes des batailles dont ils étaient ressortis victorieux.


OUTILS DU TAHUA : du peigne au rasoir...


Les outils traditionnels

Le colorant utilisé s'obtenait à partir de suie tirée de noix de bancoul brûlées (ti'a'iri). Cette suie diluée dans un peu d'eau, introduite sous la peau, prenait une couleur bleue. L'encre était introduite sous le derme à l'aide de peignes à tatouer. C'est le "ta". Le "ta" se présentait telle une herminette terminée par des dents acérées taillées dans des dents de poissons ou des os d'oiseaux. Un maillet servait à marteler le manche du "ta" afin que le colorant pénètre sous la peau.


Ces techniques ont été abandonnées, voire interdites en 1986 pour des problèmes d'hygiène et de transmission de maladies par le sang. Dès lors les tatoueurs utilisèrent des rasoirs électriques métamorphosés en "ta" beaucoup plus rapide. Aujourd'hui, des tatoueurs équipés de matériel moderne fleurissent à chaque coin de rue de Papeete. Certains ont une renommée qui dépasse l'archipel. Mais, ils ne pratiquent pas seulement leur art à Tahiti, partout, dans chaque île de l'archipel des tatoueurs dessinent à main lever la peau des touristes et des locaux pour l'éternité de leur art.


sources
http://www.fenua-tattoo.com
http://www.lompre.com


 
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