Le marae Taputapuatea
Centre religieux des Maohis
La côte sud de Raiatea est si belle qu'on s'y arrête à chaque mètre.
Nous succombons au charme de la montagne qui donne la répartie au
lagon. Entre l'océan et le ciel se dressent les plateaux de Raiatea où
pousse une fleur unique, celle de Apetahi. Une demi-corolle de tiaré,
si mystérieuse que bien des insulaires ne l'ont jamais vue. Pour la
découvrir, il faut se perdre sur les hauteurs de l'île, aller tutoyer
les nuages et sans doute se faire aider par les tupuna.
Ici, leur mana est puissant!
Très puissant!
Au bord du lagon, dans un décor que l'on n'imagine que dans ses plus
beaux rêves, les Maohis ont dressé l'un des sanctuaires les plus
vénérés du triangle polynésien. La tradition raconte que Raiatea serait
le point de départ de la culture polynésienne. Le marae de Taputapuatea
est le sanctuaire maohi le plus sacré et le plus grand des îles de la
Société et des Tuamotu. Il était le seul marae international. Les
grands chefs et prêtres de tout horizon s'y réunissaient (Cook,
Société, Tuamotu, Hawaii, Nouvelle-Zélande...). Sans doute est-ce, ce
rôle qui est souligné dans le nom : Taputapuatea (tapu répété deux fois
signifie l'interdit ou extrêmement sacré, et "atea" se traduit par
éloigné). Mais cette dernière remarque est très personnelle... et donc
à vérifier.
Dans un premier temps, ce centre religieux fut consacré au dieu Taaroa
(dieu créateur du monde maohi), puis à Oro (le dieu de la guerre).
Nous avons eu l'occasion déjà de vous parler des marae de Tahiti ou des
Marquises. Ces espaces étaient consacrés aux activités cérémonielles,
sociales, religieuses et politiques de la communauté maohie. Des
marquises aux îles de la Société, la philosophie architecturale des
marae est très semblable. Par contre, les marae sont de dimensions
variables selon qu'ils soient privés ou de renommée inter-tribale. Ils
comprennent tous, au moins une aire rectangulaire dont l'extrémité est
pourvue d'un ahu (autel) et dont la plus grande partie servait de cour
pavée de pierres volcaniques et parsemées de pierres de corail
dressées.
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Autre trait commun, les marae se situaient dans un environnement
arboré. Aujourd'hui, les restaurations successives ont déblayé les
arbres qui ont causé par leurs racines de grands dégâts aux sites. Mais
au temps jadis, des arbres de croissance exubérante et à grand
feuillage étaient plantés sur le site cérémoniel. Ces arbres considérés
comme sacrés empêchaient les rayons du soleil de darder les cours
sacrées, donnant une "profondeur ténébreuse" et une aura de mystère aux
lieux de cultes. Les arbres plantés dans l'enceinte sacrée étaient le
miro (bois de rose), l'aito (arbre de fer), l'ati ou tamanu dont le
bois servait à fabriquer les ti'i (tiki ou objet tapu) et le pua dont
le bois servait à la fabrication des tambours. Citons également le tou,
et le banian (ficus prolixa) arbre gigantesque qui peut atteindre 20
mètres, que l'on retrouvait surtout aux Marquises et dont les racines
prolixes enfermaient les ossements des tupuna.
Ahu
L'origine des "ahu" remonte à l'ancienne pratique polynésienne
consistant à former un monticule de terre et à ériger une stèle dressée
en mémoire d'un chef défunt. Avec le temps, dans toutes les îles de
l'archipel de la Société, les "ahu" se sont complexifiés, devenant
l'endroit sacré du marae. Il fut dès lors consacré aux dieux et aux
ancêtres vénérés. Seul l'ari'i propriétaire des lieux et quelques
prêtres avaient le droit d'y monter lors de l'inauguration.
Pierres dressées
Les pierres dressées au centre du marae ou le long de la face du "ahu",
représentaient la position des dieux ainsi que la généalogie de la
famille à laquelle appartenait le marae. En position centrale, le
premier né, puis tout autour de lui, les frères...
Les unu
Pièces de bois sculptées disposées sur le marae. Aucun exemplaire
original n'est conservé dans les collections de musées et les
représentations iconographiques de l'époque sont rares. Les unu
représentaient des oiseaux, des chiens... Certains auteurs pensent que
les unu étaient dressés sur le marae à l'occasion de sacrifice humain.
D'autres sources mentionnent que ces pièces de bois étaient les
représentations des dieux maohis. Pendant les cérémonies, les unus
étaient décorés de plumes rouges, de bandes de tapa...
Les fare
S'il ne subsiste des sanctuaires d'autrefois que les soubassements en
pierre, ils ne se résumaient pas à cette architecture. Grâce aux
dessins et aux récits de premiers navigateurs européens, nous savons
qu'ils étaient agrémentés de nombreux fare ou constructions de bois.
Chaque fare recevait une fonction particulière.
Le fare tupapau abritait les défunts des classes sociales privilégiées.
Le cérémonial funéraire des maohis était particulièrement long, le
corps étant oint d'huile par les femmes proches du défunt jusqu'à
décomposition. Puis les ossements étaient "inclus" dans le marae.
Le fare ia manaha
Elle était la maison la plus importante du marae où étaient entreposés,
les (to'o, ti'i ou effigies cérémonielles et objets sacrés). Ce fare
abritait aussi les gardiens du "temple" qui avaient pour mission de
préparer la "nourriture" pour les cérémonies. Sous un poteau central,
la victime humaine attendait son sort...
Imprécisions historiques
Aujourd'hui, de tout ce cérémoniel, il ne reste que des thèses
d'archéologues, de brefs récits de James Cook et autres navigateurs, et
"le souvenir" des anciens. Au pied d'un ahu de 10 mètres de long, je
rencontre une jeune raiatéenne. Elle me dit que l'autel était jadis
trois fois plus haut. Elle me raconte aussi que sa grand-mère lui
disait qu'un chemin de pierre, parsemé de marae conduisait jusqu'au
motu Oatara. Aujourd'hui cet emplacement est enseveli sous les eaux du
lagon, seul le marae du motu Oatara subsisterait encore. Mais les
jeunes ne savent pas où il se trouve, les archéologues ne l'ont pas
trouvé non plus, seuls quelques anciens en parlent encore. Et leur
récit impressionne nos contemporains qui évitent de pêcher sur le
chemin englouti des tupuna. La jeune fille m'assure que la nuit, des
lueurs s'échappent du lagon, elles conduisent vers le motu aux confins
du Taputapuatea.
Toute la difficulté est de rendre en photo l'atmosphère qui règne sur
les marae. Les structures, même lorsqu'elles sont bien restaurées, ne
présentent rien de spectaculaire, pas d'envolée pyramidale vers le
ciel. En bref, rien qui soit réellement photogénique. Pourtant sur
place, le ressenti n'a rien de "plat". On se laisse surprendre par une
ambiance de mystère. Sur ces lieux de cultes ont eu lieu des cérémonies
autour desquelles régnait le plus grand secret. Le commun des "moahis",
lui-même n'y avait pas accès, les femmes en étaient bannies, et peu
d'Occidentaux furent témoins des rites et coutumes des prêtres et des
ari'i.
Voici néanmoins quelques clichés...
Lexique
ahu : autel
Mana : l'aura des dieux, omniscience, pouvoir spirituel.
Tupuna : ancêtres
Tupapau : fantômes