L'origine du peuple ma'ohi et
l' histoire de navigateurs hors pair
Voici l'histoire unique d'un peuple de navigateurs qui brava l'océan le plus grand du monde. Vous me direz que nous sommes sur un bout de terre où flotte le drapeau français, et que rien ne devrait nous étonner. Mais, leurs ancêtres ne sont pas des guerriers gaulois à grosses moustaches rousses.
Les premiers habitants d'Océanie ont démarré la grande aventure pacifique en des temps, où Néandertal fabriquait des objets en ossements. Plus tard, au moment où Cro-Magnon dessinait des bisons dans ses cavernes, les Maohis poursuivaient leur avancée sur le grand océan et touchaient des archipels tels que les Salomon. Ils s'installaient aux Fidji tandis qu'en Gaule des guerriers imaginaient que la mer était plate comme une table et qu'au bout de l'horizon l'homme tombait dans un grand vide effrayant.
Les proportions démesurées d'un océan
Le Continent bleu est le plus grand océan du monde. L'océan Pacifique occupe 40 % de la surface du globe. Il représente à lui seul, 57 % des mers de notre planète. Il est plus grand que l'Atlantique et l'océan Indien réunis. Si le Pacifique s'étend sur 180 millions de kilomètres carrés, les terres émergées ne représentent que 120 000 kilomètres carrés. L'océan Pacifique est un monde fait d'îles qui se dispersent à l'écart des cinq continents qui le bordent : l'Arctique, l'Antarctique, l'Amérique, l'Asie et l'Australie.
Pour étalonner vos repères de distances, en voici quelques-unes : l'île centrale de Tahiti est à 9500 km du Japon, 6400 km de la Californie, 7000 km de l'Antarctique, 8000 km du Cap Horn...
A l'intérieur de ce vaste désert aquatique s'éparpillent trois groupes d'archipels que sont : la Micronésie, la Mélanésie et la Polynésie. Par étymologie, « Polynésie » signifie « îles nombreuses » et pourrait, tant sur un plan géographique qu'ethnique, regrouper toutes les îles de l'océan Pacifique. En effet, il est aujourd'hui admis que toute la population insulaire du Pacifique est issue d'un même creuset.
Austronésiens, Maohis et ... Maoris.
Le terme maohi se compose de deux mots : « ma » et « ohi ». « Ma » signifie : « pur, digne, libre ». « Ohi » se traduit par « rejeton qui a pris racine». Ainsi, un Maohi est un être libre qui, malgré son autonomie, a su garder, par le biais de ses racines, une attache à sa patrie d'origine. Les Maohis occupent la Polynésie occidentale et centrale.
Il ne faut pas confondre Maohis et Maoris. Ces derniers sont les descendants des Maohis. Les Maoris font partie de la dernière vague de colonisation du Pacifique et se cantonnent à la Nouvelle-Zélande, où très peu de Maoris ont échappé aux massacres perpétrés par les colons anglais.
L'ensemble du peuple migratoire d'Océanie se nomme les Austronésiens. Leur peuple est le fruit d'un mélange de races caucasoïdes, mongoloïdes et négroïdes originaires du sud de la Chine et de l'Insulinde. Ils font partie du groupe ethnolinguistique le plus étendu au monde. Ils occupent un vaste territoire compris entre Madagascar, les îles Hawaï et l'île de Pâques.
Chronologie d'un exode océanique
Les premiers groupes délaissèrent le continent asiatique, au cours de l'ère du néolithique, il y a 50 000 ans. A la faveur d'une période glaciaire, ils profitèrent du bas niveau de la mer pour multiplier les incursions sur les terres du Sud et de l'Est. En quarante mille ans, ils investirent la Malaisie, la Nouvelle-Guinée, l'Australie, la Tasmanie et les premiers archipels du Pacifique que sont les Bismarck et les Salomon. Ces voyageurs des premiers temps empruntèrent des voies à la fois terrestres et maritimes. Ils traversèrent des bras de mer d'une centaine de kilomètres, ce qui devait nécessiter des techniques de navigation avancées qui interpellent encore aujourd'hui nos Historiens. Impossible de décoder les indices du passé afin de comprendre ce qui poussait ces continentaux à s'élancer sur l'océan.
Les climatologues décodent certains signes du temps pour aider les Historiens. Ils décèlent un réchauffement de notre planète vers 10 000 ans av. J.-C.. Les voies terrestres sont alors immergées, des archipels apparaissent en mer de Chine, au Japon et aux Célèbes. La Tasmanie et la Nouvelle-Guinée se séparent de l'Australie. Cette nouvelle physionomie du bassin pacifique contribue à isoler les populations qui se voient désormais contraintes d'évoluer sans plus de retour vers leur terre d'origine. Chaque groupe d'îles fonctionnera en autarcie et développera son mode culturel ainsi qu'une nouvelle génétique se dissociant peu à peu du creuset originel.
Vers 4000 ans av. J.-C., une nouvelle vague d'Austronésiens s'élance sur l'océan. Ils réalisent leurs premiers exploits maritimes. Ils naviguent sur des pirogues à balancier, ou sur des doubles pirogues (ancêtres du catamaran) dans le détroit de Taiwan, ils poursuivent leur route vers le soleil levant et occupent tour à tour, l'archipel de Bismark, les Vanuatu, la Nouvelle-Calédonie et les Fidji.
Pour aider, les Historiens dans leur jeu de piste, les Maohis, laissèrent derrière eux des vestiges de poterie dite « Lapita » (du nom du site où les premiers tessons ont été trouvés en Nouvelle-Calédonie). Partout sur les îles des différents archipels, des poteries « lapita» ont été trouvées et témoignent d'une origine commune des premiers habitants de Polynésie.
A partir de 1500 av. J.-C., les habitants des Samoa, des Tonga et des Fidji se démarquent de leur culture d'origine et poussent leurs pirogues plus loin vers l'est. En 1300 ans toute l'actuelle Polynésie française des îles Marquises aux Gambiers, en passant par les îles de la Société, les Tuamotu et les Australes sont colonisées.
Ainsi, les Marquises, les Australes et les îles de la Société furent peuplées dès l'an 200 av. J.-C.
Après une halte de quelques siècles, les Maohis poussent leur virtuosité nautique plus loin. Ils conquièrent l'archipel d'Hawaii (300-400 ap. J.-C) et l'île de Pâques (400 à 500 av. J.-C). Tandis que leurs rivaux de Tahiti débarquent en Nouvelle-Zélande (700 à 800 av. J.-C).
Vers la fin du douzième siècle de notre ère, le flux migratoire se tarit. La population s'en tient à de rares échanges commerciaux entre archipels adjacents. Elle s'adonne aussi aux disputes de territoires qui aboutissent à des scènes sanglantes où batailles navales et terriennes arbitrent les décisions finales de partage des terres. Les Maohis développent une civilisation hiérarchisée ou le culte aux dieux et l'adaptation à leur milieu leur inspire la création d'outils et de technologies artistiques qui fascineront les premiers explorateurs européens de la fin du seizième siècle.
Réalise-t-on à quel point les Maohis furent précurseurs ?
Pour rappel, la première mention de l'existence de la boussole à des fins de repérage se situe au Xe siècle de notre ère, soit 1200 ans après que les Maohis aient colonisé une grande partie des îles du Pacifique. Ces guerriers navigateurs ont parcouru des surfaces d'océan aussi grandes que l'Europe occidentale. Pour vous donner une idée, superposez les cartes du Pacifique et de l'Europe. Si Tahiti est à hauteur de Paris, les Marquises se trouvent en face de la Suède, tandis que les Gambiers sont à Varsovie et les Australes à Rome...
Les esprits scientifiques argumentent leur avancée en nous rappelant que les archipels tissent un réseau d'îles qui ne sont finalement « pas très éloignées » les unes des autres. Les plus grandes distances parcourues avant le 2e siècle sont de l'ordre de 500 milles nautiques. Mais à partir du 2e siècle, les Maohis parcourent des distances dépassant les 3000 milles nautiques. Ils rallient sans escale possible, les îles Hawaï, l'île de Pâques, mais aussi la Nouvelle-Zélande. Par ces trois territoires s'achève la colonisation de l'Océanie.
Malheureusement, les Maohis n'ont laissé aucun fil d'Ariane afin de remonter jusqu'à eux. Personne n'a jusqu'ici découvert leurs secrets de navigation ou même compris leurs motivations.
Leur histoire se perpétuait par voie orale. En débarquant dans les îles, au seizième siècle, les missionnaires européens ont coupé le fil de la transmission séculaire. Un savoir, une culture, une langue ont été perdus dans les nimbes de la loi du silence imposée par les religieux.
Record de distance
Sur des esquifs archaïques, ils ont parcouru par bonds successifs plus de 13 000 kilomètres, sans carte, sans autre repère qu'un chemin d'étoiles, sans autre compas que le soleil, sans autre possibilité de calcul des longitudes que l'estimation des distances lunaires.
Aucun peuple ne s'est établi aussi loin de ses racines en voyageant par la mer. Les Vikings, eux-mêmes, n'ont pas accompli cet exploit.
« La colonisation des îles du Pacifique fut-elle accidentelle ou intentionnelle ? »
Les scientifiques ont tendance à répondre qu'elle fut désirée. En effet, les reconstitutions historiques tentent à démontrer que les Maohis partaient sur des pirogues d'une trentaine de mètres au centre desquelles une « cabane » abritait une centaine de personnes ainsi que des animaux domestiques (cochons, poules, chiens et chats) et des racines (taro, ignames...). Les équipages partaient avec des vivres et tout ce qui leur était nécessaire à un nouvel établissement.
Ce n'étaient donc pas des pêcheurs égarés.
Les indices qui ont aidé à retrouver l'itinéraire du peuple migratoire.
Longtemps, les Européens ont cru que les peuples d'Océanie étaient originaires du continent américain. Thor Heyerdhal fut le dernier à appuyer cette thèse. Il est vrai qu'il est plus logique de penser que les navigateurs se laissaient portés par les vents et les courants plutôt que de les affronter à contre sens. Mais la présence dans les îles de plantes et d'animaux a pu déterminer que les Maohis venaient de l'ouest et non de l'est. Les cochons et les poules n'existaient pas sur le continent américain au moment où les Maohis commencèrent à se répandre dans les îles du Pacifique. De plus, les chiens et les rats retrouvés en Océanie, n'appartenaient pas aux mêmes familles que celles du continent américain, mais bien à celles présentes sur le continent asiatique.
Les linguistes ont été capables de démêler l'écheveau des routes empruntées par les Maohis. Ils ont dénombré 30 langues polynésiennes si proches les unes des autres que leur origine commune ne fait aucun doute. Deux sous-groupes ont été déchiffrés et leur localisation permet de suivre les principaux mouvements migratoires. Le courant tahitien s'est répandu entre les îles de la Société, les îles Cook, les Australes et les Tuamotu, tandis que le courant marquisien s'est aventuré aux Marquises, à Hawaï et aux Gambiers.
Comment ont-ils pu remonter contre vents et courants ?
Les climatologues nous offrent une réponse. Pendant les vagues de réchauffement de la planète, les alizés faiblissent. La première eut lieu vers 10 000 ans av. J.-C., la seconde apparut autour 400 ap. J.-C.. C'est à cette période que les îles les plus isolées (Hawaii, Pâques, Nouvelle-Zélande) furent colonisées. Vers 1400 de notre ère, un nouveau refroidissement impose des conditions plus difficiles, et tarit le flot migratoire.
Les motivations supposées...
Les peuplades circulaient entre les îles et les archipels, opérant de fréquents retours, vers leur contrée d'origine afin de pourvoir aux approvisionnements nécessaires à leur installation. Par la suite, lorsque leur adaptation à une nouvelle contrée était consommée, ils coupaient les liens avec la « patrie d'origine». La surpopulation, vite atteinte sur ces petites îles, les poussait à se tourner constamment vers de nouveaux territoires à conquérir.
Les flux de population prouvent qu'ils savaient retrouver « leur route » sur le vaste océan. Rien, ni personne ne peut avec certitude dire comment ils s'y prenaient. Tout au plus, peut-on dire qu'ils étaient doués d'un sens aigu de l'observation. Les étoiles, le soleil, la lune, les nuages, leur parlaient autant que le font nos GPS d'aujourd'hui. Et avec une précision qui suscite l'admiration.
Le culte de l'océan enfoui dans les abîmes
Rien de ce qui précède n'est de l'ordre de la légende. Plus personne ne se raconte les temps immémoriaux où les Maohis étaient de valeureux navigateurs. Malheureusement... Car plus personne ne raconte, comment, ils s'y sont pris. Le doute plane, les esprits rêvent, les théories s'emballent. Cet amas de connaissances oubliées, tapies derrière un épais rideau de secrets a engendré le mythe polynésien qui aujourd'hui fascine encore les voyageurs. Le plus surprenant de cette histoire, est qu'actuellement, les insulaires redoutent l'océan. La plupart des personnes rencontrées ne vont sur l'eau que poussées par la nécessité. Leur sens inouï de l'océan est bien loin, oublié à jamais. Heureusement, aujourd'hui, la plupart des îles sont reliées par un pont aérien!
Sources pour ce document
Le Voyage en Polynésie Jean Jo Scemla (Robert Lafont)
Une île du Pacifique sous le règne des Dieux de Eric Vibart chez Albin Michel
Revues spéciales sur la Polynésie : Îles Magazine
Dictionnaire Larousse.
Dictionnaire Le Robert
Encarta
Universalis
Sites Internet : A FANO RA - NAVIGATION ANCESTRALE
www.abcdaire.netfenua.pf