La traduction des légendes et le partage
des mythes du panthéon polynésien


Chant traditionnel : moyen de propager les traditions

En naviguant d'une île à l'autre, en Polynésie, nous trouvons toujours sur notre route des anciens (et même des plus jeunes) enclins à nous conter les péripéties des "tupuna" (les ancêtres), ceux que nous nommons depuis le début de cette longue saga, les Maohis. Depuis les premiers jours de notre escale en Polynésie, je note dans un petit carnet tout ce que les habitants ont envie de me raconter. Malheureusement, ces contes tous plus poétiques les uns que les autres ne souffrent pas la traduction. Le tahitien est une langue imagée, un mot ne se rapporte pas à une chose bien précise, comme c'est le cas dans nos langues indo-européennes, mais à un concept, comme il est d'usage dans les langues asiatiques. Chaque interlocuteur met tout son coeur à traduire ce que la grand-mère lui a enseigné. Mais à l'évidence, les Tahitiens ne trouvent pas dans le français les équivalents nécessaires à leur envie de communiquer. Peu importe, ils y mettent tant de coeur, qu'ils parviennent à force d'intonations, de gestes et de persuasion à transmettre le patrimoine si précieux de leurs ancêtres.


On peut s'étonner d'entendre tant de récits "païens" alors que les Polynésiens sont réputés très croyants. Qu'ils soient protestants, catholiques, mormons ou rattachés à toute autre obédience, ils se rangent derrière les préceptes des "Saints écrits" et les prêches de leur guide spirituel. Plus d'une de nos connaissances se rend à la messe chaque dimanche. Pourtant... au détour d'une conversation, l'on se rend compte que les légendes anciennes ont la vie longue! Presque éternelle... Elles passent, comme par miracle, par-dessus la tête des hommes de cultes monothéistes actuels pour ressusciter les temps anciens qui eux, n'ont jamais eu la chance d'être transcrits.


Si les guides spirituels d'aujourd'hui aimeraient tordre le cou, une fois pour toutes, aux légendes et réminiscences d'un passé qu'ils auraient volontiers piétiné jusqu'à les faire disparaître six pieds sous terre, les archéologues, historiens, ethnologues, eux, se penchent sur le lit de cette grande souffrante, presque oubliée, qu'est la mythologie océanienne.


Delphine joue du "Pu"

Au problème de traduction s'ajoute une certaine confusion des noms et des rôles des dieux. D'un archipel à l'autre, tout le panthéon est chamboulé. Les variantes en personnages, en rôles, en noms seront telles qu'une même légende racontée d'une île à l'autre paraîtra totalement autre. Je ne suis pas seule à avoir perdu mon bon sens en tentant d'y trouver une logique commune à tout l'archipel. Voici ce que nous disent deux brillants historiens : "Si, comme on le fait d'ordinaire, on entend par mythologie la généalogie, l'histoire et les attributions des dieux, demi-dieux et héros, dont la vie est imaginée sur le type de celle de l'homme, en somme le panthéon d'une population déterminée, il est extrêmement difficile de présenter une vue d'ensemble sommaire du panthéon de l'Océanie." (Félix Guirand et Joël Schmidt)


Prenons le cas du dieu créateur des Maohis. Quel nom doit-on lui donner? Ta'aroa, comme dans les îles sous le vent, Tangaroa, comme aux Tonga, aux Samoa ou à l'île de Pâques, ou Kanaloa, comme à Hawaii, ou Tabueriki comme en Micronésie? Le tout n'est pas qu'une affaire de patronyme. Mais également de rôle que tiennent les Dieux. A patronymes différents, l'on trouvera des attributions identiques, et à patronymes communs des attributions différentes."A ces ressemblances se mêlent de nombreuses différences. Tantôt la même divinité est , dans des îles différentes d'un archipel, dans des districts différents d'une île, même au sein d'une même tribu selon l'individu, dotée d'attributs différents, ou encore réunis des attributs qui, ailleurs, appartiennent à des divinités distinctes."


En quoi cela me gêne-t-il?
Vous vous direz que je me soucie de peu.
Dans le but de ne pas vous raconter n'importe quoi, lorsque je reviens au bateau avec mon petit carnet gribouillé au crayon noir, et que je tente de relire, les mots et les noms tahitiens offerts par nos amis des îles, je tiens à vérifier le tout, le rendre le plus exact possible pour vous le livrer dans son plus pur exercice. Alors, je me penche sur les écrits, ceux du Net, ceux des livres, et là se corse toute l'histoire. Comment retrouver la genèse de ce que cette grand-mère m'a raconté sur son pas de porte? Comment recoller les morceaux épars de cette légende cassée par la traduction?


Qui me viendra en aide?
Je repars à terre, et à la faveur d'une autre rencontre, j'aiguille la conversation sur ce pan d'histoire qui m'interpelle et me pose des problèmes de construction, et la nouvelle personne rencontrée immanquablement me racontera SA version de la légende, qui jamais ne ressemblera à la précédente. A croire que chaque famille recèle ses contes transmis de génération en génération. Alors, il ne me reste pas d'autre solution que de réunir l'ensemble, de faire appel aux richesses de la langue française. D'appeler à la rescousse l'imagination pour un zeste de raccord entre les lignes rendues indéchiffrables par le temps et l'érosion des mémoires. En somme, une sérieuse dose de passion du partage afin de vous livrer des légendes qui ne perdent pas en poésie et en beauté.


Et finalement, le tout ressemble à une logique polynésienne franco de bord!


 
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