Théodore le sculpteur de Opunohu

Théodore le sculpteur

Lorsque nous allons à terre, nos pas nous mènent fréquemment vers la "salle d'exposition" de Théodore. C'est un ancien du "CEP", comme on dit ici. Autrement dit, il a travaillé avec les équipes de Mururoa, pendant les essais nucléaires. Voilà un sujet que je n'aime jamais abordé, tant j'en ai honte. Pourtant, ici je suis forcée d'admettre que les Polynésiens n'ont pas un mauvais souvenir de cette période. En réalité, pour eux, Mururoa c'est loin. Ils ne se sentent pas concernés par l'impact des essais sur la nature. Par contre, pendant toutes ces années, la vie était facile, car l'argent coulait à flot. La Métropole arrosait de milliards de francs pacifiques Tahiti et ses îles. Théodore était soudeur pour l'armée. Aujourd'hui, il bénéficie d'une belle retraite sur Moorea.

Nous avons fait connaissance alors que nous étions en train d'admirer ses sculptures qu'il expose entre le lagon et la route. Par de grands signes, il nous appelle et nous invite sous son patio. Sa maison est en contrebas de la route, à une centaine de mètres de ses sculptures. Il est au travail sous un parasol, hors de son jardin. Sa femme, Céline l'a envoyé travailler là-bas, hors de la maison, hors du jardin! Car la frénésie de sculpter, et son corollaire, la poussière, ne s'arrêtent jamais!

Sans-façon, comme si nous nous connaissions depuis toujours, Théodore, nous parle de sa vie. Nous avons droit à un exposé en son et images (car derrière lui, sont suspendues toutes les photos de son parcours). On le voit en militaire, une grande photo! Très grande photo, il était bel homme et la fierté se lit dans son regard. Une fierté presque enfantine. L'âge n'a pas effacé la pureté sans fioriture de ses oeillades! Outre les photos, son patio est encombré de dizaines de sculptures. Il les vend et ses prix sont plus que raisonnables. Alors, il reçoit des commandes de militaires sur le départ. Il doit fabriquer 4 grands tikis dans le mois. Peu à peu les casernes se vident, la Métropole, jadis si généreuse, rappelle ses troupes. Le nombre de Popa'a diminue d'année en année, emportant avec eux, un pouvoir d'achat qui ne se renouvelle pas.

Mais Théodore n'est pas intéressé par le lucre, il crée avant tout! Le bois qu'il utilise n'a pas été coupé pour lui. Il reçoit des quatre coins de l'île le résultat d'élagages naturels ou commandés pour des raisons de sécurité. Il ne demande rien à personne, et surtout il partage, de temps à autre, le fruit de sa création avec quelques visiteurs de la plage de Ta'ahiamanu.