L'implantation du culte chrétien en Polynésie
Sommaire
Première tentative d'établissement sur Tahiti
La découverte du Paradis par la lorgnette des Missionnaires
Le point de vue des Missionnaires
Pour activer le pas..., ils s'allièrent aux têtes qu'ils couronnèrent
Les conséquences véritables de l'établissement des missionnaires
Une pièce maîtresse sur l'échiquier de la chrétienté (Réflexion délicieuse d'un vieux chef!)
Les conséquences de la mort de la société maohie
Les religions des îles aujourd'hui
Bonus - Anecdote : Un missionnaire crie « Au viol! »
Tahiti |
Il suffit de faire le tour de l'île pour s'apercevoir que les missionnaires ont eu à coeur de s'installer sur le Territoire maohi! Partout... partout des églises. Des grandes, des petites, des baroques, des coloniales, des classiques, des jaunes, des roses, des rouges, des blanches. Dans un même village dans un rayon de moins de 500 mètres, nous en avons compté quatre.
Impossible de sous-estimer l'impact de l'établissement de la chrétienté sur la société maohie. Elle a infiltré tout le fonctionnement de l'archipel.
Certaines églises siègent sur le lieu même des maraes originels. Pendant plus d'un millier d'années, les insulaires vénérèrent leurs dieux maohis. En tête, Taaroa, le créateur du monde, suivi par des dieux secondaires, mais néanmoins importants, tel Oro, le dieu de la guerre, ou Tané, le dieu de la beauté. Les anciens respectaient les « tupapau » les esprits des choses ou des revenants... Tout un culte qui rythma la vie des Maohis pendant des centaines d'années. Puis, en quelques décennies, ils oublièrent tout : cérémonies, signification des rites, déroulement de leur quotidien.
Comment les chrétiens sont-ils parvenus à éradiquer les cultes ancestraux? Comment ont-ils détourné les habitants de leurs croyances païennes pour qu'ils adhèrent aux rites protestants ou catholiques?
Première tentative d'établissement sur Tahiti
Débarquement des missionnaires |
Les premiers « colons » à vouloir s'installer sur Tahiti furent des prêtres catholiques espagnols. Leur expérience ne dura qu'une année. Les pères Geronimo Clota et Narciso Gonzalez arrivèrent par l'Aguila, commandé par Domingo Boenechea en novembre 1774. Ils sont accompagnés de Maximo Rodriguez, interprète et soldat d'infanterie de marine. Ce dernier est le premier européen à résider une année à Tahiti. Si l'expérience des prêtres se solde par un échec, surtout en raison de lrut inadaptation, de leur incompréhension et de leur intolérance face aux moeurs locales, en revanche Rodriguez se mêle à la population, rencontre les chefs, assiste aux cérémonies les plus importantes, intervient dans les conflits tribaux, participe aux querelles politiques. Il accomplit à deux reprises le tour complet de Tahiti. De son séjour il rapportera de merveilleux cadeaux faits par les Arii pour le Roi d'Espagne, aujourd'hui exposés au musée ethnographique de Madrid.
L'échec de la mission des prêtres signe la fin des tentatives d'incursion de l'Espagne dans cette partie du globe. L'action de Rodriguez resta méconnue pendant de nombreuses années. Ses carnets, malgré leur témoignage capitale en matière de coutumes et de moeurs autochtones, furent oubliés jusqu'en 1928. A présent, ils sont consultables, dans les bulletins de la Société des études océaniennes.
La découverte du Paradis par la lorgnette des Missionnaires.
Tahiti |
Le 24 septembre 1796, à Portsmouth une trentaine de missionnaires appartenant à la London Missionnary Society, cinq épouses (dont la plus âgée avait 67 ans pour un mari de 28 ans) et trois enfants embarquèrent sur le Duff, piloté par le capitaine James Wilson. Celui-ci a pour mission d'installer 18 missionnaires et leur famille sur Tahiti, deux jeunes religieux sur Tahuata (Marquises) et le reste des volontaires se répartirait entre les îles des amis et de la Société.
Dès leur débarquement à Tahiti, le 5 mars 1797, les missionnaires réalisèrent qu'ils furent dupés par des récits enjôleurs qui ont subi l'influence des moeurs caressantes des jolies Polynésiennes. L'Océanie leur apparut tel un gigantesque lupanar où pour quelques clous les marins pratiquaient l'amour libre.
Le très puritain pasteur Ellis William écrivit dans son journal : « Aucun humain n'est tombé aussi bas dans la pire des licences et la plus bestiale des dégradations. » Quelques années plus tard, le constat est le même dans les troupes catholiques françaises et un prêtre s'étonna que « Le Dieu des passions honteuses prédît des orgies. »
Voilà un « cauchemar » auquel les responsables des diverses obédiences auraient dû s'attendre, s'ils avaient su lire entre les lignes alambiquées de Cook, Wallis, Bougainville...
Le point de vue des Missionnaires
Plaque commémorative de la pointe Venus |
Lorsqu'on lit les carnets des premiers hommes d'Église, on se rend compte qu'étrangement, ils ont cédé à un style édulcoré. Non pour dépeindre de façon jolie des moeurs qu'ils déclarent barbares, mais pour rendre acceptable leur établissement parmi la population.
Ainsi, après les premières impressions de dégoût, ils cédèrent, comme tous, au charme des îles. Au bonheur de vivre au sein d'une population souriante, affable, dans un climat sain, sur des îles à la végétation généreuse. Ils apprécièrent « la gaieté, la douceur, la générosité de ce bon peuple ».
C'est à Tahiti que leur installation est la plus aisée. Ils parvinrent à se tailler une place au sein de cette population qui accepta, avec une facilité déconcertante, de partager leurs vivres et des bouts de terrain.
Au début, les insulaires, prêts à partager leur Territoire et à faire coexister des cultes différents, consentirent à pratiquer leurs Heiva traditionnelles (fêtes où la danse, la musique et l'accouplement étaient à l'honneur) loin des missions. De plus, les insulaires assistaient, curieux, aux messes. De leur côté les missionnaires, les trouvaient bien sages, et apprirent à parler le tahitien, passage obligé pour substituer aux « dieux des passions honteuses » le leur! Dès qu'ils maîtrisèrent suffisamment la langue, ils mirent sous presse la bible, en tahitien. Ils apprirent au bon peuple à lire...
La mutation vers d'autres cultes semblait aller bon train. C'est sans compter quelques réticences.
Selon les archipels, la conversion de la population fut plus ou moins aisée.
A Tahiti, en 1898, deux missionnaires échappèrent de peu à la « noyade » préméditée par les insulaires. Aux Marquises, les résistances furent nombreuses, certains missionnaires passèrent sur le grill (il semble que les restes de trois d'entre eux sont enterrés à Atuona sur l'île d'Hiva Oa?), d'autres firent les frais de la curiosité et de la légèreté des moeurs féminines. (voir paragraphe suivant )
Sur Tahiti, la guerre des clans ne facilite pas l'installation des missionnaires. En une dizaine d'années, des pionniers venus évangéliser les « sauvages », seule une poignée d'hommes ont tenu le coup. Des noms à retenir : Crook, Nott, Jefferson.
Pour activer le pas..., ils s'allièrent aux têtes qu'ils couronnèrent.
Avant l'arrivée des Occidentaux, il n'existait dans ces archipels aucun roi. Les îles étaient partagées entre des chefferies qui s'alliaient entre elles pour défaire des tribus adverses. Il n'y avait pas d'autorité suprême qui gouvernait tout le peuple. Seul un pouvoir sacré était commun, mais les dieux « intervenaient » en faveur des guerriers de part et autre et favorisaient plus les combats que l'union.
Les Occidentaux eurent à coeur d'élire des interlocuteurs privilégiés. Peu à peu, cette préférence favorisa la création d'un « trône ». Notion européenne que nous ne sommes pas certains que les Maohis intégrèrent en tant que tel. Peu importe, le pli était pris.
Pomare I |
Afin de simplifier leurs relations avec un peuple trop divisé par les ambitions des arii (chefs locaux), à leur tour, les Missionnaires amplifièrent l'importance d'une famille issue d'une longue lignée de chefs : les Pomare. Après de multiples péripéties guerrières entre chefferies qui découragèrent plus d'un missionnaire, Nott un résistant de la robe de bure, décida Pomare II de répudier au nom de son peuple le dieu Oro. En 1812, « le roi » demanda le baptême (pour la petite histoire, les Missionnaires outrés par sa conduite « scandaleuse » le lui refusèrent). Cela n'empêche pas la conversion en masse du peuple tahitien. En 1815, Pomare remit les idoles familiales aux Missionnaires qui les expédièrent aussitôt au musée de Londres. En 1819, Huahine et Raiatea se convertirent, tandis que Pomare fut baptisé. Il tentera toute son existence de garder le contrôle de l'Eglise.
Pomare II eut un rôle décisif dans l'établissement de la religion protestante dans l'archipel. Il aida à corriger L'Evangile établit en langue tahitienne, il est à l'origine d'un dictionnaire anglais-tahitien. Il parvint à traduire la plupart des termes théologiques essentiels à la promulgation du culte. L'Evangile devint en réalité une arme politique, qui étendit son pouvoir des îles de la Société aux Australes.
Les conséquences véritables de l'établissement des missionnaires.
Malgré les quelques « martyres » que l'Eglise eut connus, elle se tailla la première place, selon des méthodes éprouvées au travers des siècles. Ainsi, en culpabilisant la population, elle acquit une partie de son audience. Elle convainquit le reste à la rejoindre, par la force. Partout, les tikis en bois furent brûlés, les tikis de pierre mutilés ou détruits à coup de masse. Les maraes furent détruits ou servirent de soubassements à la nouvelle Eglise. Les chants et danses païens furent interdits. Le port du pareu et des « petites tenues » remplacé par les robes missionnaires. Les tatouages proscrits.
Toujours dans le but d'acheter sa place au Paradis, les pasteurs, monnayèrent les indulgences, en acquérant les terres des autochtones. Le procédé était des plus troublant. Le pasteur ayant une famille, lors de sa mort, les parcelles acquises ne revenaient non pas à l'Eglise, mais à ses successeurs. Au cours de notre pérégrination, nous avons ainsi côtoyés des familles marquisiennes qui ruminaient encore aujourd'hui l'indignation d'avoir été si facilement dépossédés de leur patrimoine. Quant aux catholiques, ils firent de même, avec la différence que ce procédé contribua à enrichir l'Eglise.
Une pièce maîtresse sur l'échiquier de la chrétienté (Réflexion délicieuse d'un vieux chef!)
Les protestants ont coiffé au poteau les catholiques. Arrivée la première, l'Eglise évangélique fit table rase des coutumes ancestrales.
Vers 1836, les catholiques attirés, eux aussi par l'Océanie, tentèrent de s'y établirent. Mais, ils rencontrèrent non seulement la voracité des derniers cannibales, mais en prime, l'animosité des chefs fraîchement convertis au protestantisme.
Alors que le père Caret, catholique demandait à un arii que des enfants lui furent envoyés, le vieux chef eut cette réponse avisée :
« Il y a plus de soixante ans que les missionnaires anglais sont venus ici; ils nous ont tourmentés pour nous faire entendre que notre religion était détestable; nous finîmes par les croire, et ils nous firent embrasser la leur. Nous avons donc renoncé aux croyances de nos pères pour adopter le protestantisme des Anglais; nous nous trouvons bien, et nous voulons nous y tenir.
« Mais vous voilà arrivés, à votre tour, avec une nouvelle religion qui, selon vous, est non seulement la meilleure, mais la seule, l'unique qui soit bonne.
« Les Anglais nous ont tenu absolument le même langage; après les avoir écoutés à tort ou à raison, nous ne sommes pas mécontents du premier changement...
« Il viendra bientôt d'autres étrangers, qui voudront, eux aussi, nous insinuer leur religion, en disant qu'elle est meilleure que la vôtre; et alors, pensez-vous que nous devons passer ainsi notre existence à changer de religion sans jamais nous fixer à aucune?
« Quant à moi, je finis par croire que, si chaque nation a une religion, qui, d'après elle, est meilleure que celle du voisin, celle de nos pères devait être également bonne, et que nous aurions dû la conserver sans écouter les discours ni des uns, ni des autres; une trop grande mobilité finira par nous faire mépriser. »
(Extrait du livre « Souvenirs d'un vieux Normand William Leblanc)
Les catholiques ne s'implantèrent à Tahiti qu'au début du XXe siècle.
Les conséquences de la mort de la société maohie
Ce vieux chef avait bien raison. Outre la conversion à une religion nouvelle, la venue des Occidentaux bouleversa radicalement la société maohie. En imposant leur mode de vie, les Européens ont saccagé les socles sur lesquels s'appuyait le quotidien des insulaires. Sans prêtres maohis, sans plus de chefs rituels pour baliser leurs activités, les insulaires perdirent leurs repères.
Sous le joug d'une église dont ils ne percevaient pas le rôle, ils se dissipèrent dans des pratiques autrement plus violentes qu'elles ne l'étaient lorsqu'ils respectaient l'ordre établi par leurs ancêtres. Ainsi, tout l'archipel vécut, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, une période de troubles sans précédent : l'alcool, l'opium, les armes à feu, les maladies apportées par les baleiniers et tous les bateaux de trafics divers faillirent éradiquer la population polynésienne.
Une folie destructive s'empara de la population. Celle-ci fut d'une ampleur particulièrement désastreuse dans l'archipel des Marquises qui vit en quelques décennies sa population diminuer de 90%.
A Tahiti, Pomare-Vahiné, « la nouvelle reine », n'avait pas l'envergure nécessaire pour rétablir l'ordre. Elle demeurait sous le joug de puissances qui la dépassaient : le commerce et le protestantisme. Ce dernier fut longtemps incarné par George Pritchard, pasteur de Papeete depuis 1825. Si Pritchard avait, un tant soit peu, été soutenu par la couronne de Grande-Bretagne, la Polynésie aurait sans nul doute été anglaise. Mais l'Empire britannique avait déjà jeté son dévolu sur la Nouvelle-Zélande et l'Australie, considérant l'archipel comme quantité de terres négligeables perdues aux confins du Pacifique.
Ainsi, sans appui de son pasteur préféré, Pomare-Vahine voit la France imposer de force sont « protectorat ». Une relation qui démarra sous l'égide de : « je t'aime, moi non plus » et qui perdure encore de nos jours.
Les religions des îles aujourd'hui
Aujourd'hui, les Eglises protestantes et catholiques se partagent une part importante de la population, soit 78%. Mais leur importance est en déclin.
Les autres obédiences façonnent, elles aussi le mode de vie de la population. Ainsi, les Mormons ou l'Eglise de Jésus Christ des Saints des Derniers Jours rassemblent 6.5% de la population, tandis que les adventistes en réunissent 5.8%. De plus petites églises, comme les Sanito (Communauté du Christ), Témoins de Jéhova existent aussi. Quant aux autres obédiences (Judaïsme, bahaïsme, bouddhisme...) elles se partagent 5.3% du reste des insulaires.
Il suffit de passer devant les églises lors des prêches pour se rendre compte de la ferveur du peuple polynésien.
Anecdote : Un missionnaire crie : « Au viol! »
Les deux premiers missionnaires à se porter volontaires pour établir une mission aux Marquises furent Harris et Crook. William Wilson, le frère du capitaine du Duff, les conduisit à Tahuata en 1797.
Crook, jeune homme de vingt-deux ans, fut enthousiaste et porté par l'esprit de sa foi dès son débarquement à Vaitahu. Son collègue, Harris, fut plus réticent. Et fuit cette île, complètement anéanti...
Voici ce qui lui arriva la seconde nuit de son débarquement à terre :
Harris et Crook furent invités par le chef de Vaitahu à visiter les montagnes environnantes. Crook suivi le chef, mais Harris resta au campement.
A bord des bateaux |
« Alors, le chef ne voulant pas qu'il restât seul, et ne croyant pas pouvoir trop faire pour lui, lui laissa sa femme, lui disant de la traiter comme la sienne. (...) Quand elle vit qu'il la négligeait entièrement, elle conçut des doutes sur son sexe, et en fit part à quelques unes de ses compagnes, qui vinrent avec elle pendant la nuit, et se satisfirent sur ce point; mais ce ne fut pas assez tranquillement pour ne pas le réveiller. La vue de toutes ces femmes le glaça d'effroi, et ce qu'elles faisaient, le détermina à quitter un lieu dont les habitants étaient si vicieux et si adonnés à la perversité; raison qui aurait dû lui inspirer une résolution contraire. »
(Propos tenus par William Wilson, le frère du capitaine)
Mais la nuit n'était pas finie. Le pauvre missionnaire s'enfuit, avec ses bagages, au bord de la mer, croyant qu'il serait embarqué sur le vaisseau dès ses premiers cris. Malheureusement personne ne l'entendit. Il s'allongea sur son coffre. Mais quelques insulaires alléchés par ce qu'il pouvait contenir le suivirent. Ils le tirèrent de dessus le coffre. Ils le dépouillèrent de ses habits et de tous ses effets. Il passa le reste de la nuit tapi dans la montagne de crainte de ce qui lui serait encore infligé. Il fut trouvé au petit matin par le capitaine du vaisseau, dans un « état pitoyable; il était comme un homme qui a perdu les sens. »
Crook demeura seul sur l'île de Tahuata pour y prêcher la bonne parole. Il y fut bien traité jusqu'à l'arrivée quelques mois plus tard, d'un déserteur italien qui se ligua avec les chefs de l'île contre lui. Il déjoua plusieurs tentatives d'assassinat contre sa personne, avant que le brick américain « Betsey » ne passe dans les parages et ne l'embarque pour d'autres horizons moins mouvementés.
La morale de cette histoire : « Quitte à se faire croquer, autant que ce soit par la curiosité des vahinés! »
Sources bibliographiques :
- le Voyage en Polynésie _ Jean Jo Scemla
- Souvenirs d'un vieux Normand _ Récit de ma vie d'aventures et de navigation
- Aux Marquises _ Dominique Agniel
- Te fenua Le livre de tahiti _ Jean Louis Saquet
- Pour comprendre la Polynésie française_ Ouvrage collectif éditions île de Lumière
- Te fenua enata _ Patrick Chastel
- Tahiti Ma'ohi_Bruno Saura
- Terre et civilisation Polynésienne _éditions Nathan
Sur Internet :
Wikipedia
www.tahitiheritage.pf
Henri Nott
Révérend John Williams
Pomare II