Les langues polynésiennes.
Ce titre est au pluriel, car rien n'est plus vivant et diversifié que les langues de Polynésie. Elles appartiennent à un ensemble de plus de 4000 idiomes, utilisés dans un large périmètre dont les extrémités sont Madagascar, l'île de Pâques, et Hawaï. Ces dialectes sont enracinés dans les langues austronésiennes dites aussi malayo-polynésiennes. Leur point de départ linguistique est l'Asie (Taiwan et Chine). Les groupes ethniques se sont ensuite dispersés dans tout le Pacifique. En perdant le contact avec la "patrie mère" les langues ont évolué vers des dialectes endémiques. C'est pourquoi l'on saluera différemment à Tahiti, aux Marquises, aux Tonga, aux Samoa ... et à Hawaï.
Avec la venue des Européens, les langues polynésiennes se sont enrichies (ou déformées selon les puristes). Ainsi, à partir du XVIIIe siècle, l'anglais puis le français ont été la source de très importants apports dans le vocabulaire polynésien. Exemple : le mot « argent » en marquisien se dit « moni » directement issu de l'anglais « money »
Un alphabet restreint
Les chansons polynésiennes ont la réputation d'être les plus douces à l'oreille. Les voix mélodieuses se perdent dans une succession langoureuse et suave de voyelles. Il n'y a pas de sons gutturaux, tout est harmonie. Les chants polynésiens doivent cette mélodie naturelle à la langue qui n'utilise que treize lettres :
cinq voyelles: a, e, i, o, u
huit consonnes : f, h, m, n, p, r, t, v.
Toutes les lettres se prononcent. L'accent tonique, bien souvent placé sur une voyelle est très important et peut faire varier de sens, deux mots jumeaux :
- l'apostrophe « ' » marque un arrêt du son
- u se prononce toujours « ou »
- le i se prononce « i » ou « y »
- e se prononce "é"
- le h se prononce très aspiré
- le k est très prononcé, « keuh »
- le « v » est imperceptible
- le « p » se confond avec le « b »
Ainsi, le mot tabou vient du mot « tapu ». Et aujourd'hui certains Marquisiens font la différence entre le mot « tapu » appartenant à leur langue et le mot « tabu », revenu dans leur langage, via un passage dans le français. Un « tapu » étant vraiment très sacré, et un « tabu » étant plus « gentiment sacré »...
Afin de préserver la culture ancestrale, la langue tahitienne est enseignée aux enfants d'école primaire dans les îles de la Société. Il en est de même aux Marquises, où le marquisien est enseigné à Hiva Oa ou à Nuku Hiva. La radio diffuse de larges plages en tahitien.
Graphie à décliner au pluriel
La capacité de retranscription fixe une langue dans le temps. Le problème majeur pour maintenir les langues de Polynésie réside justement dans cette problématique puisqu'avant la venue des Européens, les Maohis n'avaient pas inventé l'écriture. Il a donc fallu, dans un alphabet de type européen, recopier des sons qui auraient nécessité une graphie spécifique. De plus, la plupart des mots n'ont pas une définition précise. Ce sont plutôt des idées, et donc les idéogrammes auraient peut-être été plus indiqués pour les langues polynésiennes.
Les tentatives de reproductions écrites se sont surtout centralisées sur le tahitien. En 1797 les premiers missionnaires chrétiens, issus de la London Missionary Society, débarquent à Tahiti. Ils entament la rédaction de lois et à la traduction de la Bible en tahitien. On tire de leurs études, « le système graphique de la Bible ».
Je vous épargne les détails, mais pour bien cerner toute la complexité de la graphie de ces langues, le premier alphabet tahitien comprend 5 voyelles, 10 consonnes et pas moins de 5 signes (« ˘ »; « ^ » ; « ' »; « ¨ » ; « ' ») qui permettent de savoir si une voyelle est brève, ou longue, si un coup de glotte doit être mis devant telle voyelle, ou si en présence d'une autre marque, la consonne est glottalisée. Et comment transcrire une succession de 5 voyelles débutée par un « h » aspiré, interrompue par un « r » roulé suivi d'une occlusive glottale? ( Heiari'i)
Depuis la tentative liturgique de graphie de la langue polynésienne, pas moins de 13 autres normes graphiques sont sorties des chapeaux des diverses académies. Tout cela ne simplifie pas le métier d'écrivain dans les parages.
L'influence des missionnaires dans la survivance et l'évolution de la langue
On peut en vouloir aux missionnaires, pour leur destruction massive des témoignages de la culture ancestrale. Ils ont « massacré » les tikis, détruits les lieux de cultes maohis, éloigné la population locale de leurs racines. En revanche, le peuple polynésien, envahi par les colonisateurs successifs, aurait perdu sa langue si les missionnaires ne l'avaient sauvegardée.
La première traduction d'un livre de la Bible est imprimée vers 1817 par Henry Nott. Encore fallait-il qu'elle soit lue. Les missionnaires entreprirent d'enseigner la langue tahitienne écrite à leurs paroissiens. Les premiers livres édités furent des abécédaires.
Tout en perdant leur culture, les insulaires enrichissent leur vocabulaire de termes venus d'autres religions. Ainsi, la présence des étrangers introduit une nouvelle vague de mots issus de la langue parlée des missionnaires, l'anglais, le latin, le grec...
En 1837, c'est au tour des prêtres catholiques français de pénétrer le coeur des îles. Les archipels se divisent entre Français et Anglais. La lutte est serrée. Les administratifs s'interposent. Et voici, la langue qui se charge de de nouveaux jargons, juridiques, commerciaux, législatifs.
Diversité de dialectes d'un archipel à l'autre
Entre archipels, il ne se comprennent pas. Aux îles de la Société, dans les Marquises, les Tuamotu et les Gambiers, les dialectes sont différents. Un Tahitien se rendant aux Marquises ne comprendra pas les insulaires. Par contre, en raison de la diffusion de la langue de Tahiti par la radio, la télévision et la messe, un Marquisien comprendra un peu mieux le tahitien. Le français est la langue d'interface entre Polynésiens.
Le Tahitien vous dira "nana" (au revoir) et le Marquisien vous saluera d'un "apai". Le mot chemin en tahitien se dit "Ara" (le paquebot Aranui, signifie "long chemin") et en marquisien "taha". En tahitien la mer se dira "miti" et à Tahuata, ils utiliseront le mot "tai". Tandis que le mot "miti" signifiera cuillère.
Pour compliquer le tout, la langue du sud des Marquises n'est pas la même que celle des insulaires du nord de l'archipel. Ainsi, un chien se dira "nuhe" dans le sud, et "peto" dans le nord (sous l'influence espagnole « pero »).
Quelques applications pratiques
Depuis notre arrivée en Polynésie, j'ai gribouillé des carnets entiers de mots et de leurs significations. Mais, j'ai très vite compris que jamais je ne parviendrais à parler cette langue. Malgré le contexte linguistique hermétique, j'ai, néanmoins, appris à dire bonjour (kaoha), merci (vaie nui), au revoir (apai). Et encore... J'ai réalisé à quel point ces petits mots pouvaient se révéler scabreux.
Nuance de prononciation et variation de sens : si le "h" de kaoha n'est pas aspiré convenablement, le Marquisien auquel vous pensez adresser vos salutations entendra le mot « poisson » (kaooa). Il en est de même pour les mots vahi (casser) et vai (eau).
Les voyelles étant mises à l'honneur, il convient de les prononcer avec précision. Mais, certains sons divergent tant du français qu'il nous sont hors de portée. Comment reproduire un "Heiau" (longue couronne) ?
Et puis, l'accent tonique est important. Dans le mot merci "vaie" (merci) l'accent tonique se trouve sur le "e" qui se prononce "é" très très fort! S'il n'est pas prononcé correctement, les Marquisiens entendront « vai » (l'eau).
Pratiquer mais avec qui?
Pour corser la vie des linguistes, les Polynésiens n'aiment pas faire don de leur langue. Un Popa'a, même très bien adopté, est mal vu lorsqu'il tente de leur parler dans leur langue. Quelques mots sont appréciés, comme «Iorana », « Maruuru ». Mais ils se sentent spoliés, comme impudiquement déshabillés, lorsqu'un étranger fait l'effort de pénétrer l'intimité de leur langue.
Quelques mots de Marquisiens et leurs traductions en tahitien
Marquisien | Français | Tahitien |
---|---|---|
ee |
oui |
'e |
aoe |
non |
'aita |
kaoha |
bonjour |
'ia ora na |
apai |
au revoir |
nana |
vaie nui |
merci beaucoup |
mauruuru |
mave mai |
bienvenue |
maeva / manava / |
a mai apei |
viens avec moi |
haere mai |
iti |
petit |
iti |
nui |
grand |
nui |
manihii |
touriste |
|
popa'a |
peau pâle |
|
tahitien |
ta'ata tahiti |
|
'Enata |
marquisien |
|
tama |
l'enfant de |
tama |
Tamatai |
l'enfant de la mer |
|
Charmant |
poli kua |
|
tuu fae |
ma maison |
|
ehi |
noix de coco |
ha'ari |
Ta'a pu |
agriculture |
|
fenua |
terre |
fenua |
humu kai kai |
four polynésien |
ahimaa |
kai kai |
nourriture |
maa |
humu |
four, feu |
ahi |
mei |
arbre à pain |
uru |
popoi |
purée de mei fermentée |
|
Pahu |
tambour |
to'ere |
Pu |
corne ou coquillage dans lequel on souffle pour produire un son |
|
metani |
le vent |
matai |
tai |
la mer (eau salée) |
miti |
vai |
eau (de rivière) |
vai |
ani |
ciel |
reva, ra'i |
fetu |
etoile |
fetia ou fetu |
mahina |
lune |
ava'é |
Fetu mahina |
L'etoile de lune |
Fetu ava'e |
Expression et croyance marquisienne
mahina Eia tao'e
littéralement « voilà à toi la lune ».
Cette expression est encore utilisée aujourd'hui, lorsqu'une personne présente une allergie cutanée, de gros boutons inexplicables, il se met face à la pleine lune et lui transmet son mal en prononçant ces mots : mahina Eia tao'e.