La saga de la Bounty
Dans la commune d'Arue (banlieue de Papeete), en face du cimetière des Pomare, se trouvent « l'arbre à pain de Bligh » et la maison de James Norman Hall. La proximité des deux sites invite à une halte romanesque. La maison du co-auteur « des Révoltés de la Bounty » a été reconstruite à l'identique, sa fille Nancy aidant à rassembler les meubles, et les affaires de famille afin de recréer l'ambiance dans laquelle les fameux romans ont été rédigés. Je dis « les », car la saga qui passionna des millions de lecteurs fut écrite en trois volets : « les Révoltés de la Bounty », « Dix-neuf hommes contre la mer », et « Pitcairn ».
Voici, l'histoire des auteurs, ainsi que ce qui arriva en réalité aux marins anglais en cette année révolutionnaire de 1789 et à leur descendance.
En complément nous vous donnons 2 versions de cette aventure à télécharger. La première (Odt, Epub, Pdf) revient à l'explorateur Domeny de Rienzi qui en 1843 relata cette aventure quelques années après la découverte des descendants des mutins de la Bounty installés à pitcairn. La seconde version (Odt, Epub, Pdf), version romancée, est due à Jules Vernes qui en 1879 en fit une nouvelle parue dans la collection des "Voyages extraordinaires".
Sommaire
1) Les auteurs : James Norman Hall et Charles Nordhoff
Ecrire à quatre mains
Idée de départ
Fascination mondiale pour la Bounty
La Bounty : Un départ tardif
Une douceur de vivre, pas au goût de tous
Le feu aux poudres
3) Mutinerie ou l'histoire d'un record de la marine
Le Voyage de Bligh
Un record nautique, certes, mais un fiasco humanitaire certain
Le destin de Bligh
Retour sur Tahiti et scission des mutinés
Les Mutinés de Tahiti, les jours heureux
Les mutinés de Tahtit, le pain noir
Une goélette solide!
La cour martiale de Londres
Le jugement est rendu le 18 septembre.
Le destin de Bligh
Une société modèle sur les bases de destins troublés
1793 Pitcairn : la mutinerie des Tahitiens
L'établissement d'une société idéale
Le devenir de la descendance des mutinés
Les descendants des mutinés à fond dans le 21ième siècle
Un souffle d'indépendance
Un souffle d'air pur
L'épopée tahitienne autour de la Bounty
Marlon Brando à Tahiti et Tetiaroa
7) Sources bibliographiques sur Internet
1) Les auteurs : James Norman Hall et Charles Nordhoff
La vie de James Norman Hall est aussi passionnante que celle de ses personnages. Il a tout fait, et ressemble à s'y méprendre à Huckleberry Finn qui défraya tant les chroniques américaines de la fin du dix-neuvième siècle. James Norman Hall endosse tour à tour les rôles d'aventurier, de soldat, de pilote de chasse, d'écrivain, de romancier et de poète. Malgré ses multiples casquettes, il reste, toute sa vie, humble et généreux, des qualités qui font de lui un véritable héros.
James Norman Hall est né le 22 avril 1887 à Colfax (dans l'Iowa, USA), d'une famille de 5 enfants. Ses études lui inspirent une irrépressible passion pour la musique, mais surtout pour la littérature. En 1910, diplôme en poche, il déménage pour Boston, où il aiguise son talent d'écrivain. Mais ne récoltant des maisons d'édition que des lettres de refus, il en vient à les utiliser comme papier peint pour sa chambre.
En 1914, il part avec son maigre argent de poche pour l'Ecosse, où il a l'intention de rencontrer son idole de la littérature : Joseph Conrad. Mais en ce mois d'août, la guerre éclate. Hall n'a pas froid aux yeux et s'engage, en tant que « canadien » dans l'armée anglaise (les Etats-Unis s'étant déclaré pays neutre, les Américains n'étaient pas acceptés.) Après de multiples combats dont il réchappe avec les honneurs, sa véritable nationalité est découverte, il est démobilisé.
Il retourne à Boston où il écrit son premier roman "Kitchener's Mob", ce plaidoyer romanesque pour les alliés remporte un succès immédiat. Ellery Sedgwick, l'éditeur de l'Atlantic Monthly devient son mentor. Mais il écrit aussi divers articles pour son ami Jack Winship, l'éditeur du Boston Globe.
La guerre fait rage, les Etats-Unis s'engagent à leur tour, des escadrilles se forment dont celle des chasseurs américains rodés par les forces aériennes françaises. Hall est envoyé en France par son éditeur, afin de réaliser un reportage. Mais, il ne se contente pas d'écrire, il s'engage dans l'Escadrille Lafayette N-124. Puis, il est enrôlé dans l'U.S. Air Force, où il atteint le grade de commandant. Hall fait preuve d'un engagement et d'un courage tel en tant que pilote, qu'il est salué par les autorités françaises et américaines en tant que véritable héros de guerre.
Dans ces années-là, il écrit , « high adventure » où il s'attache à restituer fidèlement les moments d'une vie de combattant. Cependant, il reste toujours discret et humble vis-à-vis de ses actes de bravoure et de la gloire dont il jouit.
En 1919, Dr. Gros, un Lieutenant Colonel dans l'U.S. Air Service, réunit Nordhoff et Hall ex-aviateurs de l'escadrille Lafayette. Il leur demande de rassembler et d'éditer les histoires des pilotes de l'Escadrille Lafayette et du Lafayette Flying Corps. Une amitié naît où, les deux écrivains marient leurs talents complémentaires pour parvenir à des oeuvres qui tutoient la perfection.
A la fin de la Première Guerre mondiale, James Norman Hall et Charles Nordhoff rejoignent à la voile Tahiti, avec l'intention d'écrire un livre sur les Mers du Sud. Ils rallient Tahiti en février 1920. Charles Nordhoff épouse une Tahitienne et reste quelques années sur l'île avant de retourner aux Etats-Unis où il décède en 1947.
En 1925, James Norman Hall épouse la fille d'une Tahitienne et d'un capitaine anglais : Sarah Teraireia Winchester. Ils ont deux enfants : Conrad Lafcadio et Nancy Ella. J Hall écrit et vit sur Tahiti jusqu'à sa mort, en juillet 1951.
Sur la trentaine de romans qu'il produit, la moitié est écrite en collaboration avec son ami Nordhoff. Parmi toute cette littérature, la trilogie de « la Bounty » leur offre une aura mondiale, avec plus de 150 rééditions traduites en une quinzaine de langues. Hall est enterré, sur une colline qui domine la Baie de Matavai, où le Capitaine Bligh jeta l'ancre pour la première fois à bord de la BOUNTY.
A Tahiti, James Norman Hall mène une vie, fondue dans le décor. Il n'accorde que peu d'interviews, ne parle jamais de ses hauts faits de guerre, de sorte que les Tahitiens ne connaissent que l'homme discret et profondément humain. Ils n'ont conscience d'avoir accueilli un homme célèbre qu'au jour de sa mort.
Hall bénéficie encore aujourd'hui de la sympathie des Tahitiens. Il est célébré pour le souvenir qu'il laisse aux insulaires, mais également par ses collègues écrivains, tels que James A. Michener . Il dit ceci : "Hall était l'Américain le plus aimé qui soit jamais venu dans les Tropiques. Il avait un humour tendre, un profond respect des gens et il était toujours prêt à aider ceux qui étaient dans le besoin".
Ecrire à quatre mains...
Nordhoff & Hall |
Voici un extrait de la biographie de Nordhoff & Hall, "In search of Paradise", écrite par Paul L. Briand. Il y décrit, comment les deux écrivains parvenaient à une symbiose parfaite de leur style.
"Quand l'un avait terminé un chapitre, il le passait à l'autre pour corrections et critique; puis le premier écrivain réécrivait son chapitre, résistant parfois aux suggestions de l'autre tout au long du processus. Nordhoff s'est révélé être le spécialiste de la narration; il avait le talent de pouvoir commencer une histoire et de la poursuivre avec les variantes éternelles des "et puis, et puis..." que doit connaître tout écrivain, il savait aussi comment la finir. Hall, fidèle à sa nature attentive et réflective, était le spécialiste de la description et des pauses de réflexion philosophiques pour les éventuelles méditations du genre "et pourtant, d'un autre côté, etc. ": Nordhoff raccourcissait les excès de romantisme de Hall pour s'en tenir au vif du sujet. Hall ajoutait de la matière et du volume à l'austérité et à la raideur de Nordhoff. Comme il avait une meilleure oreille, Nordhoff travaillait les dialogues. Etant plus éloquent, Hall écrivait les sections de présentation. C'était un mariage parfait de talents, l'un apportait ce qu'il manquait à l'autre ".
Idée de départ
Le sujet des révoltés de la Bounty est à l'initiative de Ellery Sedgwick, l'éditeur de l'Atlantic Monthly. Les deux écrivains mettent cinq ans à finaliser la trilogie : "Mutiny on the Bounty" édité en 1932, "Men Against the Sea" et "Pitcairn's Island" édités en 1934.
Fascination mondiale pour la Bounty.
Comment dissocier Tahiti de la « légende de la Bounty »? Plus encore que les récits de Bougainville ou de Cook, cette mutinerie incarna la fascination qu'exerçait cette île sur ceux qui y débarquaient. L'affaire de la Bounty prouva au monde entier, qu'il existait quelque part, dans l'hémisphère sud, une autre manière de vivre que celle imposée par les carcans moraux, sociaux et législatifs de nos sociétés occidentales. Sur des îles du bout du monde, les habitants se suffisaient d'une vie simple. Dans une nature généreuse, ils s'adonnaient à l'amour libre sans aucune frustration de jugement.
Le récit de la mutinerie porte en lui tous les ingrédients du romantisme capables de faire rêver la planète entière. Qui n'a pas maudit l'obstination de Bligh? Qui ne s'est pas identifié à Christian porteur des messages d'égalité, de fraternité et surtout de liberté qui flottaient dans les esprits en cette fin de siècle des Lumières? Certains n'hésitant pas à présenter les mutinés de la Bounty, comme les fers de lance des idées révolutionnaires qui bouleverseront toute l'Europe.
De grands mystères planent encore sur cette affaire. Chacun, peut à son goût s'inventer une autre fin, croire Christian immortel, imaginer qu'il bâtit une société idéale, quelque part ailleurs qu'il fut le seul à découvrir. Décidément, il faut accepter qu'à jamais, l'objectivité et l'intégrité soient bannies de cette aventure subordonnée, à la fantaisie et au rêve d'absolue liberté.
Malgré la tentation de céder au modèle livresque et cinématographique, voici, d'abord, l'histoire dune mutinerie dans son intégrité.
L'arbre à pain, la clé de l'histoire
Au dix-huitième siècle la révolution Américaine mit fin à un commerce triangulaire très lucratif qui fonctionnait à merveille. Les grands ports du Nord de l'Amérique chargeaient des navires à destination des îles de la Caraïbe de la farine qui nourrissait les milliers d'esclaves. En échange les armateurs obtenaient du sucre et du rhum qu'ils livraient aux Anglais. Là, il embarquaient des produits manufacturés à destination des port d'Amérique du Nord. Le triangle était bouclé!
Mais la guerre d'indépendance mit fin à ce triangle commercial. La farine ne partant plus des côte d'Amérique, les esclaves des Antilles se mourraient de faim. Il y eut deux famines mémorables, celles de 1780 et de 1787. Il fallait trouver un autre moyen d'alimenter les îles.
La solution vint du bord de l'Endeavour. Lors de son premier voyage, James Cook avait à son bord, un jeune botaniste, Joseph Banks, qui fit de très pertinentes remarques qu'il consigna tout au long de son voyage dans ses carnets. Parmi celles-ci, il décrivit les fruits de l'arbre à pain dont la pulpe farineuse à chair blanchâtre donnait les mêmes qualités nutritives que la farine. Joseph Banks devint dans les années 1780, un conseillé très écouté de George III. Il suggéra de remplacer la farine par l'arbre à pain. De ne pas importer le fruit, mais d'en importer des plants, qui prendraient facilement dans les îles et fourniraient dès les premières années une nourriture économique, abondante, et nutritive. Séduit par cette théorie, le rois britannique fit armer la Bounty.
La Bounty : Un départ tardif
A 33 ans, le lieutenant, William Bligh reçoit le commandement d'un navire si petit, que ses officiers supérieurs ne voient pas la nécessité de le monter au grade de capitaine. La « Bethia », rebaptisée Bounty titre 226 tonneaux, et embarque à son bord, le 23 décembre 1787, 46 hommes d'équipage. La mission est « simple » : la Bounty doit ramener des plants d'arbre à pain en Jamaïque.
Plaque commémorative (Tahiti : pointe Venus)
« Bounty » ou traduction de l'anglais : « générosité », allusion au fait que le fruit de l'arbre à pain nourrirait à bon compte les esclaves noirs de Jamaïque. Le lieutenant Bligh maîtrise les routes du Pacifique pour avoir participé au dernier voyage de Cook pendant lequel il vit son commandant se faire massacrer par les Hawaïens.
Parmi ses hommes d'équipage, il en est deux que Bligh connaît bien : Peter Heywood, dont le père ,ami de longue date, demande que son fils soit embarqué. L'autre a déjà navigué sous ses ordres. Ils apprécient leurs qualités respectives et se sont liés d'amitiés hors des périodes de navigation, partageant les jeux des enfants de Bligh, cet autre marin est Fletcher Christian.
La « Bounty » n'est pas prête à temps pour profiter de la bonne période météorologique pour ce voyage. L'équipage paye cher ce retard : il passe 30 jours à tenter de doubler le Cap Horn. Sans succès, Bligh décide de cingler vers le cap de Bonne Espérance et de gagner Tahiti via l'Océan Indien. La Bounty parcourt 28 000 milles nautiques au lieu de 16 000 par la voie « normale ».
Les retards, les tempêtes, le manque de nourriture exacerbent les tensions à bord, et si jusqu'au cap de Bonne Espérance aucune punition n'a été infligée à l'équipage, dans l'Océan Indien, le fouet commence à se faire entendre.
Une douceur de vivre, pas au goût de tous
Le 26 Octobre 1788 la Bounty jette l'ancre sous la Point Venus, dans la baie de Matavai. A Tahiti, les tensions se relâchent quelque peu. Le chef local reconnaît Bligh et demande des nouvelles de Cook, apprécié de tous les chefs de Tahiti. Bligh n'a pas le courage de raconter ce qui s'est réellement passé aux îles Sandwich. Il reste évasif, laissant espérer un retour de Cook. Le départ tardif de la Bounty contraint l'équipage à attendre la bonne saison pour prélever les plants d'arbre à pain, soit cinq mois, pendant lesquels, l'ordre est difficile à maintenir dans les troupes.
Baie de Matavai |
Au cours de cette période, Christian et Peter Heywook seront, comme bon nombre de leurs collègues, traités contre les maladies vénériennes. Trois hommes tentent de déserter. Cette pratique était très répandue chez les marins débarquant à Tahiti. Tout au long de ses voyages, Cook, lui-même, avait du mal à repartir avec un équipage complet. Régulièrement, il devait demander de l'aide aux chefs locaux pour récupérer les fugitifs. La sanction était celle prévue par le code de la marine, soit 100 à 150 coups de fouet. Bligh, pour sa part, sévit en infligeant 48 coups de fouet, à deux des trois fugitifs retrouvés.
Enfin, le 5 avril 1789, la Bounty lève l'ancre. Ce séjour aura paru long au lieutenant Bligh soucieux de la réalisation de sa mission, et trop court aux membres d'équipage qui ont apprécié la douceur de vivre de Tahiti et en ont savouré chaque délice à pleines dents.
Le feu aux poudres
Sur la route des Tonga, la Bounty s'arrête, à Tofoa, pour faire provision d'eau, dans une île que Bligh sait difficile pour avoir rencontré des problèmes avec une population sujette aux chapardages et menaces diverses. Bligh envoie, avec l'ordre de ne pas porter d'armes à feu, Christian à terre. Pendant le ravitaillement, Christian est débordé par les insulaires. A son retour à bord, il se fait traiter de poltron par Bligh, le ton monte entre les deux hommes. Quelques jours plus tard, une autre altercation éclate, au sujet d'un tas de noix de coco, qui, selon Bligh, aurait diminué de moitié. Tandis que Christian admet en avoir pris une, il se voit traité de voleur devant l'équipage au complet. Les tensions entre les deux hommes sont à leur paroxysme, le 29 avril, la mutinerie éclate sur la Bounty.
3) Mutinerie ou l'histoire d'un record de la marine
Bligh est poussé dans une chaloupe non pontée, dix-huit membres d'équipage choisissent de partir avec lui. Christian garde contre leur gré, les charpentiers, car il aura besoin de leurs compétences. Avant de larguer les amarres, Bligh tente de ramener Fletcher Christian à la raison, voici les derniers mots (rapportés dans les carnets de Morrison) échangés entre Christian et Bligh :
Bligh : « Au nom du ciel, Monsieur Christian, réfléchissez à ce que vous faites. Renoncez à votre entreprise, et il ne sera plus question de rien ».
Christian : « C'est trop tard commandant ».
Bligh : « Non, il n'est pas encore trop tard. Je vous jure sur l'honneur que je ne dirai rien à personne de cette affaire. Je vous donne ma parole qu'on n'en entendra plus parler ». Christian : « Non, capitaine Bligh, si vous aviez eu quelque honneur, les choses n'en seraient pas là. Vous savez bien que vous m'avez traité comme un chien durant
tout le voyage. Depuis ces quinze derniers jours, ma vie a été un enfer et je suis décidé à ne plus le supporter ».
Les destins des deux hommes se scindent lorsque la chaloupe s'éloigne vers l'ouest et que la « Bounty » retourne dans l'est.
Le voyage de Bligh
Les mutinés laissent un équipage de dix-neuf personnes dans une chaloupe qui ne peut en contenir autant pour une route océanique. En effet, ce petit navire non ponté mesure seulement 23 pieds de long (7 mètres), 7 pieds de large (3 mètres) , et moins de 3 pieds de profondeur. Pour « améliorer » le sort des infortunés, Christian cède « deux mâts avec leurs voiles, quelques clous, une scie, une demi-pièce de toile à voile, quatre petites pièces contenant cent vingt-cinq litres d'eau, cent cinquante livres de biscuit, trente-deux livres de porc salé, six bouteilles de vin, six bouteilles de rhum, la cave à liqueurs du capitaine, voilà tout ce que les abandonnés eurent permission d'emporter. On leur jeta, en outre, deux ou trois vieux sabres, mais on leur refusa toute espèce d'armes à feu. » (extrait des voyages extraordinaires de Jules Vernes).
Ce chargement aurait suffi pour atteindre les premières colonies espagnoles des parages. Mais Bligh, n'a qu'une idée en tête : rendre compte à l'amirauté britannique de la mutinerie et entamer des poursuites contre les révoltés. Il choisit donc, de rallier l'île de Timor à plus de 3600 milles nautiques des Tonga, première escale où il serait susceptible de trouver une nation alliée de l'Angleterre.
Le 29 avril, Bligh retourne sur l'île de Tofoa, où il veut compléter ses vivres, afin d'optimiser ses chances de réussite. La population, déjà mal disposée à l'égard de l'équipage de la Bounty, qui avait débarqué quelques jours plus tôt, se montre particulièrement vindicative à l'égard des occupants de la chaloupe. Finalement, le 2 mai, les autochtones se montrent si hostiles que Bligh ordonne de reprendre le large. Il laisse sur la plage, un marin, John Norton, lapidé par les insulaires. Les dix-sept marins survivants doivent souquer sur les avirons pour se dégager de la hargne des indigènes.
Bligh fait le compte des provisions. Il façonne à l'aide de noix de coco, une petite balance et dresse le menu draconien qu'il infligera à ses troupes jusqu'au Timor : 60 grammes de biscuit et un quart de litre d'eau par jour et par personne. La pêche reste infructueuse durant toute la traversée. Le manque de place, à bord est tel que Bligh divise ses hommes en deux bordées : une moitié des hommes se tiendra assis, pendant que l'autre moitié pourra se reposer en position couchée.
Le 3 mai, une tempête fait rage. L'embarcation, dont le franc-bord se trouve à fleur d'eau, manque plusieurs fois de couler. Il faut écoper en permanence, se séparer du peu d'affaires dont ils disposent. Le mauvais temps les assaille pendant plus de quinze jours, où l'équipage, trempé, épuisé de fatigue, grogne et demande des rations plus importantes de nourriture. Mais Bligh, au contraire, les restreint davantage.
Le 27 mai, Bligh et ses hommes franchissent la grande barrière de corail. Là, sur une île, ils chassent des oiseaux pélagiques et trouvent de nombreuses huîtres ainsi que de l'eau douce. Bligh reste ferme dans son commandement. Il est jugé si dur par certains de ses hommes qu'il manque de peu d'essuyer une deuxième mutinerie. Nombreux sont affaiblis par la traversée depuis les Tonga, ils auraient péri de faim sans cette escale. Ils n'ont pas tout a fait le temps de se remettre, et déjà, ils reprennent le large.
La traversée depuis Nouvelle-Hollande (l'actuelle Australie), vers Timor, n'est qu'une répétition des affres de la première. Enfin, le 12 juin, ils touchent Kupang au Timor. Ils y trouvent une petite colonie hollandaise qui met tout en oeuvre pour remettre sur pied les dix-huit hommes très affaiblis par les souffrances qu'ils viennent de subir pendant 43 jours.
Bligh par sa traversée établit un record. Sans jamais faillir, de mémoire, sans carte, sans boussole il a parcouru avec ses hommes 3620 milles nautiques, dans des conditions extrêmes, manquant d'abri, d'eau et de nourriture. Les rescapés ne doivent leur salut qu'aux qualités exceptionnelles d'un navigateur, qui a su trouver sa route, dans un océan méconnu et difficile. Ils doivent également leur survie à son caractère intransigeant et rude qui a su préserver l'essentiel pour ne pas céder au désespoir et à la panique, tout en maintenant une discipline inflexible.
En avril 2010, un lointain descendant de Bligh, Don McIntyre, originaire d'Australie, tenta de rééditer l'exploit. Il arma une chaloupe et partit des Tonga en direction du Timor, mais la mésentente, le manque de confort et de nourriture mit rapidement fin à « l'aventure »
Un record nautique, certes, mais un fiasco humanitaire certain
Ce record nautique ne doit pour autant pas masquer, les dégâts humanitaires. Si, Bligh ramène dix-sept hommes vivants au Timor, cinq d'entre eux meurent dans les semaines qui suivent leur atterrissage. Les causes des décès sont directement ou indirectement liées à un état d'affaiblissement subi pendant la navigation. Ainsi, le premier à passer, est le botaniste et ami fidèle de Bligh, David Nelson. Il meurt à Kupang le 20 juillet 1789.
Le 20 août, Bligh arme un petit navire à voiles, pour rallier un port où il aura plus de chance de trouver un embarquement vers l'Europe. Il effectue le trajet avec son équipage vers Batavia sur Jakarta. Ils y parviennent le 1er octobre 1789. L'équipage subit un climat si malsain que tous les membres y compris Bligh contractent le paludisme. Trois marins trop affaiblis n'en réchapperont pas : Peter Linkletter, Thomas Hall, William Elphinstone.
Le 16 octobre, Bligh trouve pour les 13 rescapés un embarquement à bord du navire hollandais, le SS Vlydte. En route vers le Cap de Bonne-Espérance, Bligh perd un cinquième marin : Robert Lamb.
Douze membres d'équipage de la Bounty, parviennent avec Bligh, à Portsmouth le 13 mars 1790.
Immédiatement, le récit des souffrances que l'équipage a enduré depuis les Tonga « excite la sympathie universelle et l'indignation de tous les gens de coeur. » (Jules Vernes)
Bligh est salué en héros par ses supérieurs, ainsi que par le public qui lit ces lignes dans le Gentleman's Magazine : "les malheurs qu'il a endurés lui donnent droit à toutes les récompenses".
Un navire « punitif » est dépêché à Tahiti. La Pandora est armée, à son bord, le commandant Edward Edwards a pour mission de ramener les mutinés en Angleterre.
Le destin de Bligh
Rapidement après son retour, Bligh se voit confier le commandement de la Povidence. Sa mission est la même que sur la Bounty. Il a la mène à bien en 1792, emportant vers la Jamïques, 3100 plants d'arbre à pain.
Quelques années plus tard, Bligh est envoyé en Nouvelle-Galles-du-Sud en Australie où pendant 18 mois, il assume les charges de gouverneur. Il se distingue une fois de plus, par son arrogance et sa brutalité qui lui valent une rébellion sanglante. Il s'en sort, et finit sa carrière en tant que vice amiral.
Il laisse de ses nombreux voyages, des carnets publiés par l'amirauté.
Après son demi-tour dans le Pacifique Sud, la première escale de la Bounty se nomme Tubuai, dans les Australes. Lors de leur premier passage, les mutinés prennent des repères pour un établissement futur. Puis, ils retournent sur Tahiti, où ils expliquent à la population qu'ils reviennent chercher des vivres pour James Cook (Bligh étant resté à ses côtés). Ce mensonge leur est facile, puisque Bligh ne leur avait pas appris sa mort. La Bounty est chargée de bétail que les insulaires sont heureux d'offrir à leur ami « immortel », le grand Cook.
Sur Tubuai, les insulaires diffèrent de ceux de Tahiti. L'accueil est plus rude, en outre, Fletcher Christian commet la maladresse de se faire « taio » (alliance solennelle) avec deux chefs ennemis de l'île, ce qui est perçu comme une trahison de part et d'autre. Alors que les mutins construisent un fort, les relations avec les autochtones se tendent. De provocations en échauffourées, Christian est forcé d'engager ses hommes dans un combat inégal. Soixante guerriers de Tubuai et six femmes trouvent la mort sur le site qui plus tard sera baptisé « la baie sanglante ». Les échanges sont désormais impossibles avec le peuple des îles australes, ceci force les mutins à un retour sur Tahiti.
Retour sur Tahiti et scission des mutinés
Le 22 septembre 1789, la Bounty revient s'ancrer dans la baie de Matavai à Tahiti. Elle y demeure moins de 24 heures. Le temps de débarquer 16 mutinés et d'embarquer 12 femmes tahitiennes ainsi que 8 Tahitiens. Christian coupe les amarres avec l'intention de découvrir un monde « à l'écart du genre humain ».
Les Mutinés de Tahiti, les jours heureux
Les révoltés bénéficient de 18 mois de « vacances » tahitiennes. Ils participent à l'activité des insulaires, découvrent un mode de vie hors des carcans de l'Occident et s'y conforment. Cette partie de l'aventure est contée par James Morisson. Il est le second-maître de la Bounty. Dans ses carnets, il s'emploie à décrire au quotidien la vie des Tahitiens. De l'avis des ethnologues ses récits surpassent ceux de ses prédécesseurs. James Morrison possède « un don d'observation et de compréhension en avance sur son époque ». Du fait de la longueur de son séjour, il a pu décrire des moeurs et coutumes aujourd'hui disparues, ses témoignages sont donc une source historique précieuse.
Le séjour des Anglais se déroule dans une bonne entente générale avec les Tahitiens, les mutinés reçoivent des égards tels que certains sont admis en tant que « taio » (ami intime) des chefs les plus puissants de Tahiti. Il en est ainsi pour Charles Chrurchill, adopté par Vehiatua II, l'un des descendants du grand chef qui avait supplanté le clan des Teva. Vehiatua II était le beau-frère de Pomare I. A sa mort, selon la coutume, son « taio » lui succède. Charles Churchill est alors promu chef d'un des clans les plus prestigieux de Tahiti. Ceci aurait pu marquer l'Histoire de Tahiti, si quelques jours après son « sacre » Churchill n'avait été abattu par Thomson, un comparse de la Bounty, jaloux des honneurs qui lui avaient été rendus. Par solidarité clanique, Thomson est à son tour, abattu par les Tahitiens.
En 18 mois, les mutinés parviennent, avec l'aide des Tahitiens, à construire une goélette, gréée de voiles en écorce de « purau » (le tapa) qu'ils nomment « Matavai ». Je raconterai le destin de ce navire plus loin, il vaut le coup!
Les mutinés de Tahiti, le pain noir
Le 23 mars 1791, l'arrivée de la Pandora sonne le glas du bonheur des mutinés. Le commandant Edwards Edwards récupère les 14 marins anglais survivants. Tous ne s'étaient pas mutinés, puisque certains d'entre eux, dont Peter Heywood avaient été retenus contre leur gré sur la Bounty. La liste de ces hommes loyaux avait été transmise par Bligh, mais Edwards n'en tient pas compte et inflige le même traitement à l'ensemble des marins. Il enferme les 14 fautifs dans une cage en fer de 5,4m sur 3,6m. Ils y croupissent, nus et enchaînés pendant cinq mois.
Le commandant Edwards est, non seulement, plus tyrannique que Bligh, mais il est, en prime, piètre navigateur. Il dirige son navire sur les récifs d'Australie. Trente et un membres d'équipages périssent noyés ainsi que quatre prisonniers dont deux portent encore des menottes. Tous auraient péris, sans la pitié du second maître d'équipage, William Moulter, qui, contre les ordres de son supérieur, libère les prisonniers de leurs chaînes alors que le bateau sombre.
Le 29 août 1791, Skinner, Sumner, Stewart et Hillbrandt périssent noyés. Le reste de l'équipage parvient, à l'aide de quatre chaloupes, à gagner le Timor.
Une goélette solide!
Les mutins ont l'immense joie d'y retrouver leur goélette : « Matavai », construite lors de leur séjour à Tahiti. Le commandant Edwards avait voulu s'en servir comme gabarre. Elle avait été rebaptisée Résolution, et navigua de conserve avec la Pandora jusqu'aux Samoa. Mais une tempête sépara les navires. Les dix hommes d'équipage échappèrent de justesse aux ambitions carnassières d'un groupe de Samoans. Par la suite, ils naviguèrent à l'écart de toute terre, ils arrivèrent assoiffés, à moitié morts de faim au Timor. L'ex-Matavai était un bon bateau qui eut un bien meilleur sort que ses concepteurs. Elle fut offerte au gouverneur du Timor qui la vendit à un trafiquant de fourrure qui sévissait entre l'Amérique et la Chine. En 1797, la goélette servit de bâtiment hydrographique, et sauva l'équipage du Providence, navire en perdition au large de Formose... Ironie de l'histoire : la Providence était le navire qui emmena Bligh, en 1792, à Tahiti, lors de ce second voyage, il réussit sa mission et amena en Jamaïque 3100 plants d'arbres à pain.
La cour martiale de Londres
En 1792, dix mutins de la Bounty parviennent à Londres. Leur procès en cour martiale commence immédiatement. Bligh en est le seul et unique témoin. Ses carnets faisant foi, les mutinés n'ont que peu d'arguments pour se défendre. Les récits de Bligh, ne font, naturellement, pas état de sa tyrannie. Cependant, les témoignages à ce sujet, et surtout ceux de James Morrison ou du vieux Adams, divergent sensiblement en la matière. Mais Adams a disparu et Morrison est muselé dans sa cellule.
Le jugement est rendu le 18 septembre.
Thomas Ellison, Thomas Burkett, John Millward et William Mispratt sont pendus. Quatre hommes (Charles Norman, Joseph Coleman, Thomas Macintosh et Michael Byrn), que Bligh avait désignés comme innocents, sont acquittés. Peter Heywood, le fil de son ami, est jugé coupable, mais pardonné. Plus tard, il assumera le grade de capitaine. James Morrison est déclaré coupable, mais il sauve sa peau, de justesse, brandissant ses notes prises au cours du voyage. Il menace de les publier et de dévoiler, sur la place publique les dessous de l'affaire, les agissements de Bligh et sa responsabilité dans la mutinerie. Il est finalement gracié, et reprend du service dans la marine britannique. Il sera porté disparu en 1807, à 46 ans, lors du naufrage du Bleinheim. Ses écrits, censurés par Bligh, puis par la marine nationale ne seront publiés et traduits que tardivement, soit en 1966, par la Société des Océanistes.
Lorsqu'il quitte Tahiti, en septembre 1789, pour trouver une île « hors du genre humain », Fletcher Christian est accompagné de 8 mutins dont les tempéraments très différents vont sceller le destin de la future colonie :
Jonathan Mills,
Isaac Martin,
William Brown,
Edward Young,
William McCoy,
Jonathan Williams,
Mathew Quintrell,
Alexander Smith
Douze Tahitiennes et huit Tahitiens embarquent aussi à bord de la Bounty. Certains témoignages laissent entendre, que les autochtones, surpris par le départ rapide de la Bounty, n'avaient pas choisi de quitter leur île définitivement. Ils parlent donc de « kidnapping ».
Pendant plus de 20 ans, personne n'aura la moindre nouvelle les concernant. En 1809, un bateau de Boston, la Topaze, fait escale à Pitcairn et raconte, à son retour, avoir rencontré la descendance des mutinés de la Bounty. En 1814, d'autres récits analogues parviennent à l'amirauté par l'entremise des équipages de deux navires de guerre anglais. Finalement, en 1825, Frederick Beechey, le commandant du Blossom, explore le Pacifique Sud en détail et cartographie correctement Pitcairn, où il accueille à son bord, Alexander Smith, âgé de 65 ans. Il est le patriarche d'une communauté modèle et paisible de 66 habitants. Il raconte l'épopée des mutinés du Bounty.
Une société modèle sur les bases de destins troublés
Après avoir quitté Tahiti, Fletcher Christian hésite entre les Marquises et Pitcairn. Il choisit cette dernière, qu'il rallie en quelques jours. L'île présente plusieurs avantages. Elle est mal cartographiée, et donc, presque « invisible » aux pourchasseurs des mutins. L'île est inhabitée et fertile. La petite colonie s'installe et brûle la Bounty le 23 janvier 1790.
Les mutins se partagent l'île en neuf parts égales. Ce qui représente une première frustration pour les Tahitiens, réduits quant à eux, à des tâches subalternes sans possession de terrain. La deuxième frustration est à mettre sur le compte du nombre de femmes. Chaque blanc se met en couple avec une Tahitienne, tandis que les Tahitiens se partagent trois femmes pour huit hommes. Néanmoins, la communauté fonctionne sous les meilleurs auspices pendant plus de deux ans. Christian, en chef de clan, se montre toujours gai et son exemple de bonnes manières contribuent à inciter ses compagnons au travail. Il est décrit par Smith, comme « un caractère heureux et ouvert qui sait tout au long de l'établissement de la petite colonie, attirer à lui l'estime et le respect de tous. »
1793 Pitcairn : la mutinerie des Tahitiens
L'un des mutinés, nommé Jonathan Williams, perd sa femme à la suite d'une chute. Il manifeste sa frustration et oblige la communauté à lui livrer une autre femme. Christian se voit forcé de demander à un Tahitien se se sacrifier pour lui donner sa propre femme. Cette injustice supplémentaire à l'égard des Tahitiens met le feu aux poudres. Après un attentat raté contre les blancs, un autre survient où cette fois, les Tahitiens ne manquent pas leur coup. Cinq des mutinés sont exterminés, dont Fletcher Christian. Les Tahitiennes ne supportant pas le geste de leurs compatriotes s'emparent à leur tour des armes. Il ne reste au bout de leur vengeance plus un seul Tahitien vivant sur l'île.
Au bout de cette journée du 3 octobre 1793, il ne reste alors sur l'île que dix femmes et quatre blancs (Young, Smith, Quintal et Mac Coy) ainsi que quelques enfants. L'ironie de ce carnage transparaît dans le décompte des survivants. Car les pires oppresseurs des Tahitiens, Quintal et Mac Coy, n'ont pas péri. La leçon ne les atteint pas, car ils continuent après cette mauvaise expérience de maltraiter leurs femmes, qui plusieurs fois, formulent le désir de construire une pirogue pour regagner Tahiti.
Jusqu'en 1798, Alexander Smith et Young gèrent au mieux la petite colonie. Une paix s'installe, une routine du quotidien permet à chacun de vivre de sa production. Mais, Mac Coy qui avait travaillé, avant de s'embarquer sur la Bounty, dans une distillerie d'Ecosse, trouve cette année-là le moyen de fabriquer un alambic et de l'alcool. Mac Coy, dans un de ses accès de delirium tremens, se jette du haut d'une falaise. La communauté, sous le choc de cet épisode meurtrier, décidera de ne plus jamais boire une goutte d'alcool.
L'établissement d'une société idéale
Quintal pour sa part, se révèle le seul élément perturbateur de la colonie. Il persécute Young et Smith, intente plusieurs fois à leur vie, pour des raisons fantaisistes. Young et Smith, soucieux de préserver leur colonie se voient obligés de l'exécuter en 1799.
Le dix-huitième siècle s'achève, sur Pitcairn, donc avec une colonie nantie de deux mutins survivants, de quelques femmes et de multiples enfants. L'équilibre est désormais possible. Young et Smith s'acharnent à bâtir une société exemplaire. Ils commencent par instaurer un office religieux dominical. Young, issu d'une famille, jugée respectable par Smith, fort d'une éducation sérieuse, met en place une sorte de système d'éducation destiné à faire grandir les descendants de ses compagnons dans une atmosphère de respect et de travail communautaire. Malheureusement, pris d'une affection pulmonaire, il s'éteint le 25 décembre 1800. Smith, nanti d'un coeur de patriarche, s'évertue dès lors à mener toute la colonie vers un destin serein, une vie tranquille et bien menée dans le respect de leur environnement et de chacun.
Il y parvient fort bien, et Alexander Smith peut être fier de laisser en 1829, à l'âge de 69 ans, une colonie de 86 insulaires dont tous les enfants nés après 1800 sont les siens.
Le devenir de la descendance des mutinés
En 1831, « le gouvernement anglais, craignant que le sol de Pitcairn (île de 5 km²) ne pût nourrir ses habitants, envoya deux navires avec ordre d'expatrier à Tahiti une partie de la population. » Mais, les enfants de Pitcairn tombent au pire moment de l'Histoire de Tahiti. Les autochtones, chamboulés dans leurs valeurs par l'établissement des blancs, se perdent dans un monde de dépravation, où les femmes se prostituent avec les marins des baleiniers et où les hommes meurent d'alcoolisme ou de maladies vénériennes. Beaucoup ne supportent pas ce monde de « scandales » et demandent à rentrer chez eux. Leur séjour tahitien ne dure que sept mois (de mars à septembre 1831).
En 1856, la petite île compte 200 habitants, ce qui décide le gouvernement de Nouvelle-Zélande à réitérer l'opération d'expatriation vers Norfolk, île à 3220 milles nautiques de Pitcairn, perdue dans le Pacifique Sud-ouest au coeur d'une triangle dont les sommets sont la Nouvelle-Zélande, l'Australie et la Nouvelle-Calédonie. Le 8 juin, 194 habitants de Pitcairn y accostent. Les nouveaux venus occupent, dans un premier temps, les bâtiments désaffectés d'une colonie pénitentiaire qui y séjourna jusqu'en 1847. Les descendants des mutinés poursuivent à Norfolk, les deux activités principales qu’ils menaient à Pitcairn : l’agriculture et la pêche à la baleine.
En 1858 et 1863, quelques familles retournent sur Pitcairn. Tandis que la population de Norfolk croît lentement et jusqu'à compter aujourd'hui 2000 habitants, celle de Pitcairn se stabilise autour d'une cinquantaine d'occupants. Actuellement, Pitcairn, territoire britannique est administré par la Nouvelle-Zélande. Tandis que Norfolk est un territoire autonome placé sous la houlette australienne en ce qui concerne ses relations extérieures.
Les descendants des mutinés à fond dans le 21ième siècle
Un souffle d'indépendance
Récemment les descendants des mutinés ont été mis à l'honneur dans les médias. En 2005, le 27 octobre, à la Pointe Vénus, qui se situe à quelques petits kilomètres de la commune d'Arue, le ministre de la Culture de Polynésie, Tauhiti Nena, invitait 200 descendants des mutinés venus des quatre coins de la planète, à commémorer, l'arrivée 217 ans plus tôt, en baie de Matavai du navire de leurs illustres ancêtres : La Bounty.
Lors de son discours d'inauguration, il prononça cette phrase ;
« Ces hommes en se révoltant contre l'injustice et la tyrannie s'inscrivaient dans la logique de l'esprit de liberté et de justice incarné un an plus tard par la révolution française »
On y sentirait, comme un très léger air d'indépendantisme...
Un souffle d'air pur
Un article du Monde de novembre 2010, évoquait lui aussi la descendance des mutinés. A Norfolk, l'année 2011 sera pionnière. En effet, une expérience unique dans le domaine du « marché du carbone » y est mise en oeuvre. Gary Egger, chercheur à l'université de Southern Cross dans le nord de la nouvelle galles en Australie est l'initiateur de ce projet. Il a ciblé l'île de Norfolk, pour son éloignement et la taille de sa population, afin de réaliser une étude grandeur nature.
Durant trois ans, les habitants qui le souhaitent recevront une « carte carbone ». Elle fonctionne comme une carte de « crédit » ou de « débit », avec un code secret et une unités de décompte en carbone. Chaque fois que les propriétaires de la carte achètent du carburant ou toute autre combustible, ils utilisent cette « carte carbone », qui déduit le nombre d'unités équivalent à l'achat énergétique. Au fur et à mesure de l'année qui passe, les habitants devront gérer leur dépense, pour que leur carte reste « positive ». Dans le cas où la totalité des unités seraient consommées, ils devraient en racheter. Par contre, en substituants leurs habitudes de dépenses énergétiques par des nouveaux réflexes plus écologiques, ils épargnent les unités de la carte, qui transformera en fin d'année, les unités carbones en espèces monnayables. Soit, un joli cadeau de fin d'année.
Gary Egger, ne se limite pas au problème des émanations de CO2 tant décriés sur notre planète, mais également à celui de la « mal-bouffe » (Junk food), cette carte prétendra aussi être utilisée lors des achats de « cuisine rapide », et décomptera des unités, tandis que ceux qui s'alimenteront de façon saine, mangeant des produits du terroir, gagneront des unités.
Les trente milles touristes qui viennent chaque année sur Norfolk, participeront, eux aussi, à l'expérience... Rendez-vous dans trois ans, pour voir si les familles Christian, Young, Adams... Smith, ..., assumeront le rôle de pionniers que les scientifiques leur offre...
La Bounty et ses mutinés ont de tout temps attisé l'imagination des créatifs. Ils intéressent d'abord, les écrivains, dont Jules Vernes qui écrit en 1879 « Les révoltés de la Bounty », un texte éducatif, illustré par L. Benett, publié dans la collection « Voyages extraordinaires » de la Bibliothèque d'éducation et de récréation des éditions H Hetzel. Puis, en matière de littérature, on connaît le succès retentissant de la trilogie écrite à quatre mains par Nordhoff et Hall.
Mais avant qu'ils ne pensent à écrire ce « best-seller », pendant la Première Guerre mondiale, en 1916, Raymond Longford, un réalisateur australien sort une première version cinématographique muette : « the mutiny of the bounty ». Film de 55 minutes où des acteurs pionniers tels que Gwill Adams, Mere Amohau, défendent la cause de Christian et soulignent la tyrannie de Bligh.
Dans les années 1930, le sujet est mûr et les réalisateurs le croquent à pleines dents.
En 1933, alors que « Les révoltés » de Hall et Nordhoff viennent à peine d'être édités, Charles Chauvel, considéré aujourd'hui comme le père du cinéma australien, réalise une production australienne : « In the wake of the Bounty ». Errol Flynn y incarne Fletcher Christian, tandis que Mayne Linton lui donne la réplique dans la jaquette de Bligh. Pour la petite histoire, la mère de Flynn était une descendante de Edward Young. Le second maître et ami de Christian, qui partit avec lui sur Pitcairn. Il résista aux attaques des Tahitiens, mais mourut d'un problème pulmonaire. Il est l'un des fondateurs ayant établi les premières règles éducatives dans la colonie.
En 1935, les Américains s'emparent du sujet. Pour un budget de 2 000 000 de dollars, Frank Lloyd réalise « Mutiny of the Bounty ». Charles Laughton, a la tête de l'emploi pour endosser le rôle de l'infâme Bligh et Clark Gable prend celui Christian Fletcher au grand coeur. C'est Movita Castaneda, qui lui donne la réplique en tant que Tehanni, la fille d'un chef indigène de Tahiti. Bizarrerie des destins croisés : elle sera la seconde femme de Marlon Brando, dont elle aura deux enfants.
En 1962, la MGM démarre une super production, dont Marlon Brando est la « super star ».
Le film dure 3h07, il est d'abord réalisé par Carol Reed, puis Lewis Milestone prend le relais. Le scénario est largement inspiré du roman de Charles Nordhoff et James Norman Hall. Marlon Brando est Fletcher Christian, tandis que Trevor Howard joue William Bligh. Tarita, une Tahitienne engagée sur place est la partenaire de Marlon Brando.
Cette réalisation bouleversera le quotidien des Tahitiens, ainsi que celui de Marlon Brando. (Nous y revenons dans la rubrique suivante)
En 1974, un réalisateur italien s'attaque, à son tour, au sujet. Sous le titre "Noa Noa" The survivors of the Bounty », Hugo Liberatore tourne en République dominicaine, il ne marque pas profondément les esprits.
En 1984, une nouvelle équipe de tournage américaine dirigée par Roger Donaldson débarque à Tahiti. Dans ce film, Mel Gibson donne la réplique à Anthony Hopkins. Moorea est choisie pour décor. Préservée et plus sauvage que Tahiti devenue trop urbanisée, elle offre un décor superbe, qui correspond exactement à l'image féérique qu'ont véhiculée les marins de passage. Pour cette production, la Bounty a été reconstruite à l'identique. Elle est, aujourd'hui, conservée au musée flottant de Sydney.
L'épopée tahitienne autour de la Bounty
Si le premier passage de la Bounty en 1789 ne bouleverse que la vie d'une dizaine de Tahitiens, son retour en 1960 ne passe pas inaperçu.
A cette époque, Tahiti vit endormie au coeur du Pacifique. Elle est possession des Français, mais trop loin, la Métropole s'y fait discrète. Les insulaires vivent de leur production locale, peu aidés de la patrie mère. Des Allemands et des Américains se sont installés, ils ont établi des plantations ou créent du négoce. Ils prospèrent à leur rythme. Le 15 octobre 1960, marque le grand tournant de Tahiti. Celui qui bouleversera tout le système de valeur de la population.
Ce jour, l'équipe de tournage de la MGM débarque à Papeete, avec tout son clinquant et tous ses millions : 18 en tout.
Pour l'époque cela représente un budget gigantesque. Le bateau a coûté 750 000 dollars. Le cachet de Brando est de 500 000 dollars, plus dix pour cent sur les recettes, plus 5000 dollars par jour de dépassement. Pour la réalisation du film, des centaines de danseurs et de figurants sont engagés, des tonnes de fleurs sont commandées chaque jour. A Tahiti, l'argent facile coule à flot. Un pêcheur reçoit pour quelques coups de pagaies dans sa pirogue, l'équivalent d'un mois de pêche. Dans la dépêche du Midi, l'on raconte « qu'une femme qui s'occupa de la confection de colliers de fleurs pour le tournage, s'acheta à la fin de la superproduction trois maisons! »
(Je dois vous dire, que les Tahitiens ont une légère et très sympathique propension à l'exagération), mais malgré cette disposition, l'on imagine à quel point le tournage du film bouleverse le quotidien des insulaires.
Sur le tournage, tout n'est pas aussi rose que ce l'est pour Tahiti qui engrange les millions. Excédé par le comportement erratique de Marlon Brando, le réalisateur Carol Reed rentre aux Etats-Unis. Est dépêché, sur place, en tant que remplaçant, Lewis Milestone qui tourne son dernier film. La dernière image révèle toute la démesure du tournage et nécessite 100 kg de glaces (dans un climat torride) afin d'aider Fletcher Christian à simuler parfaitement les tremblements de son agonie.
Dès sa sortie en salle, les Américains affluent pour découvrir les somptueux paysages. Le mythe est réveillé, il ne s'éteindra plus. Tahiti devient aux yeux du monde, la coqueluche du rêve d'ailleurs, « bien meilleur que chez soi! »
Marlon Brando à Tahiti et Tetiaroa
L'équipe du film a plié bagage, mais Marlon Brando, reste accroché à Tahiti. Il épouse la belle Tatira avec laquelle il a deux enfants, dont Cheyenne, qui malheureusement se suicidera après la sordide affaire d'assassinat de son fiancé par son demi-frère, Christian.
Le nom de Marlon Brando, reste intimement lié à celui de Tahiti, et à une île toute proche, celle de Tetiaroa. Elle était la résidence « secondaire » des Pomare. En 1904, les descendants de la famille royale offrent l’atoll au Dr Johnston Walter Williams. Cet Anglais était, alors, le seul dentiste de Polynésie. En 1965, Marlon Brando découvre l'atoll et négocie un bail emphytéotique (pour 99 ans).
En 1966, l'acteur parvient à transformer le bail en achat. Il acquiert pour la somme de 17 942 000 de XPF (150 000 euros) l'atoll de Tetiaroa. Il y fait tracer une piste pour petits avions, puis il fait construire un hôtel tenu par sa femme Tarita. Plus tard, leur fils en prendra les rênes.
Le 1er juillet 2004, la mort de Marlon Brando sonne le glas de la tranquillité sur Tetiaroa. L'atoll, avec son hôtel discret, en matières naturelles n'avait pas défiguré l'environnement. Le respect de la faune et de la flore terrestres et aquatiques était roi. Mais la succession découvre des charognards qui rôdent.
Les autorités polynésiennes, parties prenantes dans la succession, ne respectent pas les désirs de Brando de laisser l'atoll « propre ». Elles cèdent aux offres d'un habitué du tourisme à Tahiti, Richard Bailey, il fait main basse sur l'île aux oiseaux de Brando. A l'heure actuelle, il y déploie à coups de bulldozers une structure hôtelière de luxe "propre". Un « Eco-Resort de luxe" sous le nom de "The Brando".
Le résultat aura sans doute des allures « propres », mais la construction, elle a déjà bel et bien détruit une partie du récif corallien...
7) Sources bibliographiques sur Internet (et d'images ou dessins anciens)
- http://www.jamesnormanhallhome.pf
- http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-32627428.html
- http://www.chroniquemichelandre.com
- http://expo-recits-de-voyage.edel.univ-poitiers.fr/index.html
- http://prisme.blog.lemonde.fr/2008/04/20/le-songe-du-conservateur/
- http://www.courrierinternational.com
- http://dansletempsjadis.canalblog.com
- http://pgosse.chez.com/maquette/story.htm
Livres
- Jean-Jo Scemla « Le voyage en Polynésie »
- Le Journal de James Morrison, second maître à bord de la Bounty Publications de la Société des océanites.
- Carnet de bord du capitaine Lafond de Lurcy
- 101 mots La Polynésie française
- Préfaces de Michel Le Bris de la trilogie de Norman Hall et Charles Nordhoff éditions Phébus Libretto
J. N. Hall jeune
Chez l'écrivain
William BLIGH
Fletcher Christian
PITCAIRN : Baie Bounty
Stèle commémorative
(Tahiti - Pointe Venus)