Message 78 – écrit en juillet 2009
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Nombre de personnes inscrites à la lettre : 780
Position Etoile de Lune : A-B-C
Position équipage : Québec

Québec : Je me souviendrai toujours !

"Cette sensibilité qui rend apte à éprouver des sentiments devant les paysages, varie dans une gamme fort étendue, façonnée à partir de notre vécu. Il s'agira le plus souvent lorsque nous parlons d'un paysage, d'un sentiment d'admiration devant l'intimité qu'il dégage, ou devant son caractère grandiose"
Yves Laframboise : Circuit pittoresque du Québec.


Remerciements
Nous tenons à remercier chaleureusement Louise, Hélène et André, Adriana et Roger, Nycole, Hélène, Catherine et Jean-Yves, Pierre, Mona et Edouard, Denise et Robert... et tous nos amis québécois qui se reconnaîtront dans ces pages qui n'existeraient pas sans eux.

Nouveautés sur le site internet
Patience, patience... Le Québec ne se vit pas en quelques jours et il se raconte à l'aune de ses grands espaces. Nous ramenons plus de 3000 photos. Nous préparons un vaste dossier avec de nombreuses rubriques, il est en cours... Nous vous tiendrons au courant de son avancée. Comme un avant-goût, voici nos premiers albums :
Les maisons du Québec : diaporama
La faune du Québec : diaporama

Supplément du mois
Pendant le feuilleton sur le Québec, notre rubrique "astuces" prendra des vacances, et sera remplacée par un petit glossaire d'expressions québécoises.

Photos du mois : Hélène et Tonnerre; la maison croche.


Des nouvelles de l'Etoile de Lune

Un voyage au Québec ! Cela fait deux ans que je travaille au corps mon capitaine pour sortir de la ceinture tropicale et aller rejoindre nos amis de la radio. Ça y est, il cède et nous partons, mais sans l'Etoile de Lune. Valises et sacs à dos pour contenir, polaires, chandails, écharpes et mitaines et nous voici arrivés. Mon rêve plaçait-il la barre trop haut ? Au travers du feuilleton que nous ouvrons par cette lettre, vous trouverez sans nul doute, tous les ingrédients qui donnent du goût au bonheur...



Bonjour,

Rien ne prédestinait l'équipage de l'Etoile de Lune à monter aussi haut dans le nord. Le moussaillon, frileux comme personne, n'avait, en larguant les amarres, aucune intention d'aller se refroidir le bout du nez en dehors de la belle ceinture tropicale. En réalité, seul un sentiment fort était capable de m'attirer vers ces contrées si loin de notre Etoile.

Dans nos lettres, je vous ai maintes fois parlé de nos amis de la radio. Ceux que nous entendons chaque matin sur le Réseau du Capitaine. Ils émettent depuis la région de Montréal. Ils nous parlent, comme si nous étions tous à partager le petit déjeuner, à échanger des conseils, à recevoir des avis météo... Je vous assure que leur tâche est appréciée au plus haut point. Lorsque nous sommes au milieu de l'océan ou tout simplement en escale, loin de chez nous, seules ces voix ont le pouvoir magique de raccourcir les distances. Je ne pouvais pas imaginer, une seule seconde, passer dans le Pacifique, sans aller les voir et les serrer très fort dans mes bras pour leur témoigner ce sentiment fidèle et essentiel que nous partageons depuis tant d'années. Un beau titre pour ce message aurait été : "les copains d'abord", mais il était déjà pris...

Quelle sensation étrange que de rencontrer pour la première fois ces voix dont nous connaissions le timbre, mais pas l'enveloppe ! A l'aéroport nos amis, Louise et André sont là. Puis nous rencontrons Nycole, Pierre, Jean-Yves, Roger et leurs épouses. L'alchimie "clique" dès les premières embrassades, ça y est nous sommes au Québec !

Lors de la préparation de notre voyage, je désirais par-dessus tout, arriver comme une nouveau-née, vierge de tout cliché, l'âme ouverte afin que nos amis québécois, qui allaient nous guider, puissent y écrire leur page teintée de ce qu'ils aiment et connaissent de leur pays. Je ne voulais en rien coller à la caricature du Grand-Nord ou au mythe de la cabane au Canada.

Comment ? Vous n'êtes pas au courant ?

Saviez-vous que les petits Français passent pour de doux rêveurs bien sympathiques aux yeux des Québécois? Les Européens souffrent, au sein de leurs frontières étroites et surpeuplées du complexe des grands espaces. Lorsqu'ils rêvent du Québec, ils s'imaginent passer l'hiver, dans une bonne grosse cabane en bois rond, d'où ils sortent en raquettes, pour rejoindre leur attelage de chiens de traîneau qui les emmène dans les fins fonds d'une forêt enneigée ou au bord du fleuve de glace à la rencontre des derniers Amérindiens à plumes...

"Peuchère... Je crois rêver !" Nos amis sont morts de rire ! Et mon capitaine colle assez bien au prototype !

Peu importe, les Québécois nous accueillent avec humour et une grande tolérance pour notre accent un peu pointu, un peu aride et parfois chantant. Très vite nous mélangeons nos francophonies pour apprendre que ça "clique" entre nous, que la vie au Québec est "tiguidou", qu'il en faut peu pour "être aux petits oiseaux" et beaucoup pour les "mettre en beau fusil". Et puis dans les expressions que je préfère au Québec, il y a celle que vous reconnaîtrez sans difficulté : "bienvenue".

Au Québec, nous sommes accueillis. Que dis-je? A C C U E I L L I S!!! Je vous entends d'ici : "c'est normal, nous atterrissons chez nos amis..." Oui, nos amis sont des guides incomparables pour découvrir en profondeur toutes les subtilités de la Belle Province. Mais en plus, sachez que partout, les habitants sont affables et souriants. Quelles que soient l'heure et la couleur du ciel, ils prennent le temps de discuter et de passer un moment agréable avec l'étranger de passage. La gentillesse est reine dans l'âme des Québécois. C'est le pays de la convivialité par excellence. J'en ai perdu toute crainte du froid tant je m'y suis réchauffé le coeur !

Un autre sentiment très présent est le respect. Pour les êtres, les choses, la nature... Tout le Québec est empreint de la bienveillance et des égards apportés chaque jour, par chaque habitant à son environnement. Ce comportement est répandu dans toutes les couches de la société ainsi qu'au travers de toutes les générations. Partout la propreté règne, du fin fond des sous-bois aux rues et jardins des villes, en passant par les plages et les bords de routes, pas un papier, pas un plastique, pas la moindre trace de pollution ne traînent. Les villes ne sont pas, non plus, devenues le théâtre de graffitis subversifs. Les jeunes, conscients que l'avenir de la planète repose sur leurs épaules, se sentent responsables. L'instinct de protection de la nature ne se limite pas au plan individuel, il s'étend au niveau national. Les Québécois livrent une guerre sans merci contre la pollution. Ils subissent l'invisible et ignoble dégradation que leur inflige leur grand voisin du sud, mais ils ne baissent pas les bras. Ils s'attèlent à combattre et agissent en amont en veillant à ce que les industries cessent leurs activités polluantes et que les habitants soient informés de tout acte pouvant causer l'altération du milieu naturel. Ils mériteraient d'être pris en exemple, la planète ne s'en sentirait que mieux !

Il y a là, une grande leçon à prendre!

Une autre leçon à apprendre est celle de la navigation sur le fleuve. Dès le lendemain de notre arrivée, nous mesurons à quel point nous avons eu raison de laisser notre Etoile bien ficelée entre quatre amarres à Curaçao. Nous sommes à la marina Chaudière, au sud de la ville de Québec. J'assiste à un étrange spectacle. Un bateau toutes voiles gonflées, moteur à plein régime recule. C'est vraiment extraordinaire à voir ! Le capitaine fait de la voile comme un sportif court sur un tapis de salle de gymnastique. Au mieux, il reste à la même place, au pire, il perd du terrain. Cela demande une certaine abnégation, une patience et un sens de l'humour nautique qui n'existent nulle part ailleurs ! Ces conditions sont engendrées par un phénomène de marée qui, à certains endroits, dépasse 18 pieds et un courant de renverse qui atteint 5 noeuds. A voir ce voilier peiner contre la puissance implacable du fleuve, j'assiste à l'une des navigations les plus difficiles au monde. Aujourd'hui le soleil brille et le vent n'est pas méchant. J'imagine avec peine les conditions par vent debout déchaîné, brume froide et neige ! Non vraiment, je n'ai pas la "couenne" assez épaisse pour naviguer sur le fleuve du Saint-Laurent.

En réalité, j'oublie très vite notre Etoile et je me plonge à corps perdu dans la symphonie des paysages orchestrée par le puissant Saint-Laurent. D'une rive à l'autre, il joue ses accords majeurs, il égraine son chapelet d'îles qui fredonnent leurs gammes bucoliques. Qu'y a-t-il de plus harmonieux que ce feston de villes et de villages qui ornent ses rives? Les jardins sans barrière sortent de leur torpeur hivernale et célèbrent l'hymne au printemps, l'éveil à la vie. Les maisons de bois peintes posent, sur le choeur des monts, des notes aux couleurs vives. Un soupire de cimes parcourt l'espace vierge, immense, jusqu'aux confins du Grand-Nord. Le chant cristallin des cascades et des rivières survole l'écho des vallées et s'efface en un murmure tranquille devant le silence des Grands Lacs.

Faisons ensemble quelques gammes... et en route pour la grande boucle québécoise!

Au nord de la ville de Québec, le massif de Charlevoix nous séduit par ses beautés douces et rondes. Un impressionniste marin traverserait, sans nul doute, l'Atlantique pour consacrer ses pinceaux à la palette de lumières de Charlevoix. Sur les contreforts du Bouclier canadien, une chaîne de vallons court et caresse les rives du fleuve. Ses rondeurs habillées d'un manteau printanier intronisent le vert. Tout le monde parle de la polychromie automnale du Québec... et le printemps alors ? Il amorce, après un long hiver, la renaissance de la forêt. Ce moment est puissant et d'autant plus beau qu'il est éphémère. Il faut une chance inouïe pour se retrouver en phase avec la transformation foisonnante de la nature. Je me souvenais des printemps en Europe, mais je n'avais pas en tête cette variété de teintes. Ici, au Québec, la forêt zébrée passe du vert doré, au vert tendre, au vert jaune, au vert cru, au vert vif, au vert brillant, au vert profond... gravissant à chaque nuance une échelle chromatique sans rivale. Soudain, le paysage s'arrête. Confiant, il se jette dans le fleuve, la montagne s'offre aux glaces du Saint-Laurent en glissades vertigineuses et pistes de ski. Vous imaginez-vous dévalant les pentes du massif de Charlevoix en admirant les glaces roulées par le courant? Aujourd'hui, il fait frais, mais pas assez pour que subsiste la neige. Un beau tapis vert glisse, savoureux, vers l'île aux Coudres.

Ha... L'île aux Coudres!

Hélène nous accueille dans sa maison, aux couleurs de notre Etoile de Lune, bleue et jaune, au bord de fleuve. Elle est comme un bateau tranquille, qui n'a plus besoin de lever l'ancre. Car, elle sait! Elle sait où c'est bien. Où c'est beau ! Trois fenêtres s'ouvrent sur les monts de Charlevoix qui se mirent dans le fleuve. Trois fenêtres, pour prendre le temps de regarder les rayons du soleil dessiner la silhouette du massif. Trois fenêtres, pour mesurer toute l'étendue de l'insouciance et de la beauté. Mais, une seule soirée pour graver dans ma mémoire, la puissance du goût du bonheur.

Le Saint-Laurent, rythme la vie des îles au gré de ses humeurs et de ses marées. Aujourd'hui le vent est calme, le fleuve se pare de reflets anthracite. Demain, pour le vent de nord-ouest, il s'habillera de sa toge brune. Excité par les rafales, il décochera des flèches d'écume blanche et menaçante. A la fois tendre et colérique, il fascine parce qu'il est lunatique. Hélène vient me rejoindre sur la berge. Elle me dit :
"Pour ce soir j'ai pris des billets!"
"Des billets de quoi?"
"Des billets pour le coucher du soleil" me répond-elle dans un grand sourire.
Je suis conquise! Elle me donne un cours accéléré de la vie sur cette île qui se décrit à peine tant le charme y est épais. Hélène me murmure :
"Ici, il faut savoir s'abandonner".
Elle me parle des quatre saisons, de l'hiver où le bruit des glaces la tient réveillée, non par peur, mais parce que c'est "trop beau!". Le soleil disparaît dans un camaïeu de bleu de Prusse. Le phare indique le chenal aux bateaux, les nuages soulignent les ombres à contre-jour, des faisceaux de lumière crue dessinent la silhouette vaporeuse du massif. Moment de bonheur sans égal ! Une chance phénoménale que d'être là! Comme par magie, le temps s'arrête. Hélène a raison :"Ici, il ne compte pas pareil".

Au petit matin, Hélène nous présente Rosaire. Un octogénaire, l'oeil vif tourné vers le passé, mais sa vie accrochée au présent, à profiter d'aujourd'hui, parce que c'est le printemps. Il nous parle de sa jeunesse. De ce temps où le traversier n'existait pas. De ces jours, où parce que le fleuve était contrarié, il attendait sur l'autre rive son père, qui venait le chercher en barque à la rame. Lorsque Rosaire arrivait en face, sur le continent, il allumait un feu. Son père, à la force de ses bras, lorsque le courant, le vent, les glaces le permettaient venait le chercher. Sinon, Rosaire attendait dans un bivouac. Rosaire, n'aime plus son nom. Il préfère qu'on l'appelle Tonnerre, parce qu'il est, dit-il, toujours en colère. Aujourd'hui, il est un vieux "chum" d'Hélène. Il nous raconte la vie des années 30 sur les quais de Montréal où il était débardeur. La paye du vendredi servait à écluser les bars, mais "les maudites filles" prenaient tout son argent. C'était au temps où le patron de la pègre, Cotroni, se servait de la prohibition pour se remplir les poches. Tonnerre, quoiqu'il dise à propos de son humeur, a le regard honnête, une fierté qui le tient droit.

Quand nous lui demandons comment se passe l'hiver sur l'île aux Coudres. Il nous répond : "Fait frette en tabarouette et c'est pas riche". Il a l'accent fleuri de "r" ronds et tendres. Dommage que nous ne puissions rester auprès du beau sourire d'Hélène à écouter les histoires laconiques de Tonnerre... Ils sont si... Ils me manquent déjà...

A suivre...

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Etoile de Lune


Supplément du mois

Le petit glossaire des expressions savoureuses

Au Québec, le Français qui débarque découvre que son accent est repéré dès les premières syllabes. Très vite, il apprend à savourer les expressions québécoises, leur timbre moelleux et rond. Je ne prétends pas parler comme nos amis québécois. Le petit texte ci-dessous vous livre un condensé des expressions que j'ai aimées. Je vous avouerais qu'il faudrait que nous pensions à mélanger nos francophonies, car il manque dans le vocabulaire de l'Hexagone des mots et des expressions qui sont imagés, souvent si efficaces et clairs, qu'ils nous manquent farouchement!

Quand ça "clique" entre nous(bonnes affinités), on se fait une "petite jasette" et là... là! C'est "tiguidou" (génial, super)!

Lorsqu'on se lève de bon matin et que le soleil brille, "on est aux petits oiseaux".
S'il fait "frette en maudit" (très froid) , on met sa tuque (bonnet) et ses culottes à grandes manches" (pantalons) pour aller déjeuner (petit-déjeuner) des rôties (tranches de pain grillées) sur la galerie(la terrasse). Si à table, votre hôte vous sert des pépites d'érable, là c'est cochon! Et s'il y a, en plus, du beurre d'érable, là ça très cochon! (trop bon!)

Le ciel menace, mais "y a pas de trouble" (problème), on "met son chapelet sur la corde à linge" pour éloigner la pluie et faire que le soleil soit de la partie toute la journée. Je pourrai alors mettre mon "chandail" (tee-shirt) pour aller me promener dans la minoune (vieille voiture) de mon chum (copain). Mais elle n'arrive pas au coin de la rue, elle est "brisée"... Mon chum est en beau fusil! (en colère) Et je l'entends "crisser" (jurer). Nous revenons vers la maison à pied. Mais, que nous sommes donc "niaiseux"! Nous avons oublié les clés dans la minoune et la porte est barrée (fermée).

Pas besoin de se chicaner (disputer), nous irons manger sul'pouce, une poutine et une stime all dressed... et après nous irons au bar laitier (marchand de glace) qui se trouve à côté du dépanneur. (épicerie à heures d'ouverture prolongées)

Niaiseux : maladroit, peu dégourdi, idiot
Poutine : Frites garnies de fromage en grains et d’une sauce brune.
Stime all dressed : un hamburger à la vapeur avec tous les condiments.
Pour ces deux derniers, ce ne sont pas les spécialités culinaires du Québec. Rassurez-vous, ce ne sont que des nourritures rapides, pas tellement appréciées par nos amis québécois. Car, je vous le dis, au Québec on sait manger!

Voilà... il vous faudra attendre le prochain courrier, pour continuer la leçon...


Photos du mois

1 ) A l'île aux Coudres, Hélène nous accueille et nous présente Tonnerre. Moments inoubliables, une générosité si chaude qu'elle nourrit les coeurs pour la vie.

2 ) La maison croche : Voici encore une belle expression. "C'est croche"! On peut tout avoir de croche, les yeux, les jambes, les pensées... Quand c'est croche c'est pas droit, et plutôt qu'un gros discours, voici une maison qui en dit long!

 

 
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