Message 73 – écrit en juin 2008
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"Les Nourritures Kuna" - Episode 3/4

"C'est quasi le même de converser avec ceux des autres siècles que de voyager." Descartes, Discours de la méthode.


Ceci est le troisième épisode de notre saga sur les Kunas. Retrouvez le début de l'histoire et consultez les messages 71 et 72 respectivement intitulés, "le clan des irréductibles" et "Le regard de Nuelia - Une étincelle en Pays Kuna"

Résumé du message
Après l'escale de Anachukuna puis celle de Puerto Escosés, nous arrivons au coeur de Ustupu, le plus grand village kuna où, sur un îlot corallien, s'agglutinent 8000 personnes. Nous pensions faire une escale d'approvisionnement et repartir aussitôt les cales pleines. Mais, les habitants de Ustupu sont loquaces. Là, nous rencontrons German, Isabel, Romulo, Decio, et tant d'autres. Tous ont à coeur de nous enseigner un pan de la culture Kuna. Nous avons droit à des cours improvisés sur le fonctionnement de la société kuna. De l'éducation, à la politique panamo-kuna, en passant par les rites funéraires, tous nous aident à comprendre comment les kunas parviennent à préserver leur culture malgré les concessions consenties au 21e siècle.

En fin de message vous trouverez :
L'astuce du mois : Soignez vos plus petits bobos!
La photo du mois : La coupe Kuna


Bonjour,

Après Puerto Escosés, L'Etoile de Lune flâne du côté de Calédonia et de Pinos. Paysages tarabiscotés, faits de labyrinthes de récifs et de couleurs d'eau qui se jouent des ombres portées par les hauts-fonds. Sur les îlots, des cocoteraies immenses élancent leurs palmes hirsutes vers le ciel. Certains cocotiers plus trapus prennent la pose "carte postale" sur des plages de sable doré. Leur silhouette redessinée sur le sable par le soleil inspire les clichés. Leur courbure parfaite incite à une sieste bercée par le clapotis de l'eau et le souffle magique des alizés dans les palmes. Non loin des mouillages, les villages, où les huttes de roseaux et de palmes n'ont pas encore cédé au confort des maisons de pierre ou de béton. Au rythme de la curiosité des habitants, nous accueillons certaines familles à bord, le courant passe petit à petit entre les Kunas et nous.

Quelques semaines à ce rythme lascif a vite fait de nous vider les cales. Patrick notre ami du catamaran "Pierre-Gilles" manque de tout (eau, fruits, légumes et cigarettes). Nous pouvons l'aider, grâce à notre dessalinisateur, pour la fabrication d'eau potable, mais le reste nous fait défaut également. Notre avitaillement date de Carthagène dernière escale civilisée et cela remonte déjà à plus de 2 mois. Il semble que Patrick n'avait pas imaginé à quel point l'expression "faire un bout de chemin avec L'Etoile de Lune" signifiait "prendre son temps". Les deux équipages ont appris à manger "local". Nous trouvons facilement de la coco, des ignames, du poisson et de la langouste. Cette dernière n'est pas très chère, pour 5 dollars nous nous régalons pendant 2 à 3 repas. Si ce régime paraît paradisiaque, je vous assure qu'au bout d'un certain temps, vous commencez à rêver de belles tomates bien mures, d'avocats tendres, de salade croquante... J'arrête j'en salive !

Les capitaines décident de rallier le village de Ustupu. Là, ils ont l'espoir de refaire le plein. Nous ciblons ce village, car il est le plus gros du coin : 8000 habitants. Il est desservi par les lanchas colombiennes et panaméennes. Mais en plus il dispose d'un petit aérodrome. Cette débauche de moyens de communication devrait largement contribuer à nous aider à trouver tout ce que nous cherchons.

A l'arrivée, nous trouvons un mouillage glauque coincé entre un îlot corallien surpeuplé et un continent qui accroche dans ses montagnes de vilains nuages menaçants. Pour couronner le tout, nous sommes sous le vent du village et nous voyons défiler les sacs poubelles que les habitants jettent sans état d'âme à la mer. Le "ton sur ton" grisaille-sacs poubelle est démoralisant. Hauts les coeurs ! Nous ne sommes ici que pour 24 heures.

Un vieil homme édenté, tout sourire et l'oeil espiègle se présente à notre bord comme le secrétaire du sahila. Débonnaire, il nous demande la traditionnelle taxe d'arrivage. Nous en profitons pour lui demander s'il y a de quoi faire les courses. Une très jolie jeune femme, visiblement engagée comme rameuse et comptable du vieux secrétaire, nous répond qu'il suffit d'attendre la lancha. En s'éloignant nous voyons le secrétaire esquisser un pas de danse allègre dans la barque sans même la faire vaciller. Visiblement, les 16 dollars qu'il vient de récupérer des deux équipages le rendent heureux. En nous quittant, il nous dit que la taxe est valable pour un séjour d'un mois.

Nous n'avons pas du tout l'intention de rester un mois dans ce décor!

Dès le lendemain, Patrick qui a repéré "LA lancha" vient nous chercher en annexe. A notre arrivée au quai nous nous ruons vers la lancha. Quelle déception ! Celle-ci est une "lancha descendante", elle n'est là que pour collecter les noix de coco à destination de la Colombie. Nous changeons de tactique et partons dans le village. Après une inspection sérieuse de toutes les tiendas (épiceries) nous ne trouvons rien d'autre que quelques conserves de thon à la tomate, des sauces mayonnaises ou ketchup, des horribles boissons gazeuses excessivement sucrées, et pas l'ombre d'une tomate, d'une feuille de salade ou d'une carotte même molle ! Rapidement nous nous rendons compte que malgré des possibilités de transport plus élargies, il règne partout en pays kuna, un hasard plus qu'aléatoire en matière d'approvisionnement. Il flotte une espèce d'incertitude permanente. Une potentialité approximative endémique. Un fatalisme auquel nul Occidental ne survivrait!

Des bonnes âmes compatissantes devant notre désarroi nous conduisent à la boulangerie d'Ustupu. En passant le portillon de bois, nous n'imaginons pas à quel point nous sommes en train de changer le cours de notre voyage! Là nous rencontrons le sourire enjôleur d'Isabel Bill et l'énergie incontrôlable de son petit fils Dylan. Le pain est encore dans le four. A moins qu'il ne soit encore à mettre dans le four??? Peu importe, Isabel nous installe dans son patio, devant un gaseosa (boisson gazeuse) elle engage la conversation :
"D'où venez-vous? Où allez-vous ?"
Elle s'intéresse à notre voyage, nous demande comment nous vivons à bord... Sa curiosité assouvie, elle pointe du doigt mon appareil photo et me demande s'il est possible de faire quelques clichés de son petit fils, d'elle, de sa soeur Maribel.

Dès ce jour, quand le pain est presque sorti du four, mais pas encore... Et, ... que le client lui aussi se fait attendre, Isabel s'adonne à un loisir qu'elle affectionne particulièrement. Elle revêt ses plus beaux vêtements, elle me demande de sortir mon appareil photo... Et nous voici partis pour la séance du jour : Isabel sous l'hibiscus en fleur, Mirabel avec Dillan, Anna avec Mesalina, Yariadni (la plus jolie) et Wiglidir ... J'ai ainsi tiré le portrait de toute la famille et sans doute d'une bonne partie de la garde-robe. Tout est gravé sur disques durs et imprimé sur papier... Car évidemment, elles raffolent de recevoir leurs photos.

Elles ont raison de vouloir des photos. Modernes ou traditionnelles, les femmes kunas sont coquettes, élégantes et belles. Les femmes mariées respectent plus la tradition que les jeunes filles. Chaque jour nous les voyons revêtir un autre molla. Haut et bas font un mélange de couleurs impensables! Froufrous et paréos font un ensemble inimitable, c'est l'image même de l'originalité, celle qui fait la célébrité des femmes kunas partout dans le monde! L'habillement des jeunes filles est plus aléatoire ! Tee-shirt et short le week-end.. Dans les premiers jours de nos séances photos, je n'avais droit qu'à des masques. Ces demoiselles riaient montrant toutes leurs dents jusqu'aux oreilles avant la photo, après la photo... et pendant : rien! Le masque! Corps rigide et regards sérieux style 1910. Alors, à force, j'ai fait le clown, prétextant que j'avais bougé, que la photo était ratée, et du coup tout le monde s'ébaudit, et surtout l'objectif capte de belles expressions spontanées. Lorsque ces dames reçoivent le résultat, c'est à peine si je n'ai pas reçu la fessée en remerciement... Mais avec le sourire!

Le pain n'est toujours pas sorti du four. Peu importe, nous sommes entraînés à aller faire la sortie des classes d'où reviennent les nièces d'Isabel, Yariani et Wiglidir. En chemin, nous croisons des dizaines d'écoliers qui deviennent quasiment hystériques en voyant mon appareil photo. Les capitaines, qui savent que je suis incapable de refuser quoique ce soit aux enfants, se doutent de la suite des événements. Résignés ils trouvent un coin à l'ombre. Là, commence une de ces séances de photos qui dépasse toutes celles que j'ai pu faire ces dernières semaines! Les enfants se passent le mot. C'est une avalanche de requêtes.
"Patience, patience ... les capitaines, je ne suis pas sortie de ce coup là!"

Incroyable! Les gamins ont trouvé "dieu seul sait où" des attitudes de ninjas... J'avoue qu'il a fallu mettre un peu de discipline dans les rangs pour ne pas me sentir littéralement submergée de rires, de cris, de tiraillements de manche, et de :
"miro, miro!!!"(je regarde!).
Car ils font tout ce cinéma pour se voir sur le petit écran de l'appareil! Ambiance extraordinaire de sortie des classes! Autre fait remarquable, à l'occasion de ces rencontres, nous côtoyons une proportion particulièrement importante d'enfants albinos. Loin d'être catalogués "anormaux", les enfants ne font pas la différence entre eux. Les groupes se mélangent dans une symphonie de rires heureux.

A la fin des séances, une petite s'accroche à mon doigt. Yoanne Gidili, une petite dissidente. Toutes ses copines d'école revêtent l'uniforme. Elles suivent l'école en jupe et chemisier ou en paréo et blouse molla traditionnelle. Chaque classe reçoit un code de couleur à respecter. Yoanne, par contre, ne sort de chez elle qu'en jeans et tee-shirt. Elle est espiègle et adorable à la fois. Je suppose que les professeurs ne résistent pas à son sourire enjôleur... Chaque fois qu'elle n'a pas classe, elle se débrouille pour me retrouver dans le village et m'accompagne partout, glissant sa petite main dans la mienne.

Yoanne a été d'une grande aide, pendant notre séjour. Elle a bien souvent remis de l'ordre dans les troupes pour canaliser les énergies de ses petits copains. Mais, elle a fait plus que cela ! Un jour, elle m'a ouvert les portes de la banque. Nous manquions de change. Les Kunas n'ont étrangement jamais de quoi vous rendre la monnaie. Il est impératif d'avoir une réserve importante de petites coupures (1, 5 et 10 dollars). Un billet de vingt dollars représente toute une fortune en pays Kuna! Ustupu est l'un des seuls villages à disposer d'une banque. Une banque Kuna qui ressemble en tout point à celles que l'on pouvait imaginer dans le "Far West" américain. Porte en grillage, vaste comptoir de bois, comptes écrits à la main dans de grands livres à colonnes. Murs et sol en bois craquant. Le préposé de la banque ne peut effectuer de transaction avec un étranger, il refuse de me changer mon billet de 100 dollars. A la sortie de la banque, Yoanne, m'emmène de main de maître, à la coopérative. Bien que fermée elle passe la tête par la fenêtre. Elle explique en kuna mon désarroi au receveur, qui très gentiment ouvre sa porte et me dépanne! Merveilleuse petite Yoanne...

A la sortie des classes, nous croisons aussi German, un des professeurs d'anglais du collège. Il est Panaméen et heureux de rencontrer des étrangers. Il nous accompagne et déambule avec nous dans les rues d'Ustupu. Chemin faisant, il nous explique le fonctionnement du village.

La vie à Ustupu est joyeuse, les gens y sont plus détendus que dans les premiers villages du Sud. Ustupu est LE village à partir duquel tout change. En tant qu'étrangers nous pouvons débarquer dans le village sans payer de taxe, sans nous sentir "extra-terrestres". Les hommes parlent l'anglais et ils viennent vers nous pour nous demander d'où nous venons, mais aussi, tout simplement, pour échanger quelques mots. Les anciens ont travaillé au canal, les plus jeunes sont curieux des autres cultures et ont appris l'anglais pour converser avec l'étranger. La majorité des habitants parle l'espagnol, seules les femmes âgées et les jeunes enfants ne parlent que le kuna. Nous avons même trouvé quelques jeunes qui nous lancent fièrement en français : "Bonjour! Comment allez-vous?". Quel changement. Ici, enfin nous pouvons entrer en contact avec la population, parler avec eux, comprendre qui ils sont.

A Ustupu, le sahila est progressiste. Il n'y a, par exemple, pas d'obligation à se présenter chaque jour au congresso. Les femmes sont libres de s'habiller comme elles l'entendent, elles ont accès au congresso chaque samedi matin. L'ambiance est complètement libérée dans les ruelles d'Ustupu. La ville ne tourne pas le dos à ses valeurs traditionnelles pour autant, car la communauté s'est construit un petit musée où sont consignées toutes les valeurs de la révolution Kuna. Des objets traditionnels kunas sont exposés (biigbi ou éventail pour attiser le feu, jarres en terre cuite, pipes de "divinadora"...). Si Ustupu est plus détendu, ce village n'est pourtant pas laxiste. Le traditionnel puksu kalu (tribunal) et le kala boso (la prison) sont au centre du village et rappellent aux habitants qu'il faut rester sobre et respectueux des règles. Nous y trouvons aussi le premier poste de police de la région. Le policier en faction est Kuna. Il a suivi six années d'études au Panama. Il traite les délits qui dépassent les compétences du Puksu kalu c'est-à-dire les cas aggravés de délinquances. Mais ceux-ci ne l'occupent visiblement pas souvent. Le policier est toujours assis dehors sur la place, disposé à discuter avec le badaud qui passe.

Pour bien nous faire comprendre toute la subtilité du peuple Kuna, German nous entraîne à Ogopsucun, village mitoyen de Ustupu. L'îlot corallien est divisé en deux entités distinctes. D'une part Ustupu compte 8000 habitants et d'autre part Ogopsucun abrite 2000 habitants. Les deux villages sont reliés par des petits ponts, ce qui donne une impression de cité lacustre. Une Venise Kuna. Où les barques se faufilent entre les maisons.

Au coeur du village, une frontière invisible sépare les deux communautés qui ne se mélangent sous aucun prétexte ! Est-elle si invisible, cette frontière ?

En pénétrant dans Ogopsucun, German me conseille de ranger mon appareil photo. Ici c'est strictement interdit. Immédiatement, l'ambiance devient épaisse et inconfortable. Il n'y a plus de cris d'enfants, les huttes serrées les unes contre les autres ne laissent plus la place aux cocotiers, aux bananiers et aux arbres à pain qui s'épanouissent à Ustupu. Les cochons laissés libres à Ustupu, sont ici encagés sur pilotis. Les petits jardinets coquets et fleuris qui entourent les maisons sont bannis. Les regards sont fermés, cela ne sent pas le bon pain sorti du four... Le sahila d'Ogoscupun est conservateur. Ses ouailles, sous peine de lourdes amendes, sont tenues d'appliquer à la lettre les préceptes de la culture kuna. L'atmosphère est pesante, elle devient carrément lugubre lorsque nous découvrons pour décor d'une porte de hutte, des crânes de chiens enfilés en chapelet.

Retour à Ustupu, par la cathédrale.

Les catholiques ont tenté dans les siècles passés d'imposer leur religion. Aujourd'hui, la lourde église aux deux clochers écrase de sa hauteur de pierre les huttes faites de roseau et de palmes. Mais, ses portes restent généralement closes. Son aspect écaillé en dit long sur le peu d'entretien qu'elle reçoit. Elle semble mise en quarantaine. Le coeur névralgique de Ustupu s'organise essentiellement autour d'une vaste esplanade où trône la statue un peu kitch du cacique, Nele Kantule. Il fut l'un des pères fondateurs de la révolution de 1925. Derrière la statue, l'imposant congresso garde ses portes ouvertes au peuple kuna. Pas loin, les cabines téléphoniques font office de lieu de rassemblement du peuple d'Ustupu. Outre cette concession au modernisme, Ustupu comprend une clinique et une grande école qui accepte les enfants dès les classes primaires et jusqu'aux classes préparatoires à l'université. L'école de Ustupu est à l'aube d'une grande révolution. Le projet "conectate" est à l'essai dans ses classes. D'ici 2010, toutes les écoles kuna seront connectées à Internet. De quoi accélérer les bouleversements au sein de la société kuna.

L'école partage ses compétences entre des professeurs panaméens et des professeurs kunas. Lorsqu'ils sortent de l'université les jeunes professeurs panaméens s'engagent à fournir trois années de leur carrière à l'éducation des enfants indigènes. Ils ont le choix entre les cinq communautés indiennes reconnues au Panama : les Kunas, les Chocos, les Guaymies, les Teribes, les Bokotas. German a choisi d'être affecté à Ustupu. Il vit ici depuis deux ans. Sa famille est restée à Panama City. Il rentre chez lui en moyenne 2 fois par an, mais le trajet reste cher (120 dollars aller/retour). Pour se loger il a le choix entre le presbytère ou une famille kuna qui l'accueille. Pendant ses premiers mois ici, il avait choisi cette dernière solution. Mais il nous avoua que le quotidien d'une hutte familiale kuna est difficile à vivre pour une personne née dans un certain confort. Aujourd'hui, il partage le presbytère avec ses collègues. Il nous emmène voir son logement. Il nous présente les conditions d'hébergement comme bien supérieures aux huttes kunas. Pourtant German dispose d'un lit, d'une table et d'une chaise, les vêtements sont suspendus à une poutre. Des palissades en carton-pâte figurent les murs de séparation entre les "chambres". Des portes incertaines assurent une intimité allégorique. Les sanitaires et la cuisine sont d'un confort ascétique. Pas d''eau courante ni d'électricité en permanence. Loyer 25 dollars, rémunération moins de 600 dollars par mois. Un fossé nous sépare, et pourtant la gentillesse et la disponibilité de German jettent un pont entre nous.

Je vous rassure. Nous n'avons pas complètement perdu de vue notre but initial qui était, au départ, strictement alimentaire. Mais chaque jour au rythme des rencontres, nous prenons plaisir à rallonger cette escale.

Un jour alors que nous attendons, comme d'habitude, que le pain sorte du four chez Isabel, nous faisons la connaissance de Decio Martinez. Avec lui, nous avons droit à un cours de politique panamo-kuna. En mai 2009 le Panama élira un nouveau président de la République. Si le vote se fait à bulletin secret, l'affichage de la couleur politique de chaque famille s'exprime hauts en couleur à l'aide de drapeaux qui fleurissent par-dessus les toits des huttes. Les villages kunas démontrent un engouement totalement inattendu pour les élections. Les rues et les ruelles sont tapissées de drapeaux. Le week-end, des pirogues partent en croisade électorale affichant le drapeau de leur parti politique en guise de figure de proue. Decio déplore cet enthousiasme exacerbé. Il nous dit que cela sème une zizanie sans précédent au sein même de la communauté Kuna. Il dénonce aussi les changements dans leur société. Il nous dit que les responsables de la mutation en cours sont les caciques.

Les caciques sont les représentants politiques des Kunas. Ils se situent au-dessus des sahilas qui eux sont les représentants spirituels dirigeant chaque village. Tous les quatre ans le peuple Kuna éli trois caciques. Ceux-ci partent après leur nomination à Panama City. Ils sont installés par le gouvernement panaméen, dans de beaux appartements climatisés. Ils ont à leur disposition, un superbe bureau, toute la technologie nécessaire et bien sûr de jolies secrétaires. Deux fois par an, tous les sahilas sont convoqués par les caciques à Panama City. Chaque sahila part en compagnie de ses secrétaires. Pour les plus gros villages cela représente cinq personnes en plus du sahila. Il y a près de 60 villages kunas. Pendant ces congrès semestriels, tous les sahilas présentent leur rapport sur la vie quotidienne de leur village (production vivrière, taxation, problèmes éventuels, méfaits,...). Ils listent également les revendications du peuple kuna. Par la suite, les caciques font un résumé de l'ensemble et soumettent les revendications au gouvernement panaméen. Si jusque-là, la machinerie semble bien huilée, d'après Decio c'est à partir de ce moment-là que les choses se gâtent. Les caciques trop bien installés par le gouvernement panaméen auraient tendance à lisser les aspérités politiques. A ses yeux, ils ne représentent plus le peuple aussi fermement qu'ils le faisaient par le passé. Si Decio a la critique acerbe envers les caciques actuels, il est pourtant fier de nous dire qu'il y a déjà eu 4 ministres kunas en poste au niveau national, l'un d'eux fut affecté à la Justice. De plus, en 2008 le gouvernement panaméen compte 5 représentants Kunas et 2 députés kunas.

Si Décio n'a toujours pas résolu notre problème alimentaire du bord, il nous a nourris intellectuellement. Et le pain ? Aujourd'hui, la boulangère a un retard substantiel, car il n'est pas encore entré dans le four à la fin de la leçon. Sur le chemin du retour, nous croisons German, qui nous dit avoir une idée pour nous, celle-ci s'appelle Romulo. Romulo, un grand ami kuna à lui, revient de "el Monte", il aura certainement de quoi nous dépanner. Dans sa hutte Romulo nous accueille, il parle un anglais parfait, il est affable, il nous présente à toute sa famille, mais il est en période de semailles. La récolte se fera dans plusieurs semaines. Quelques bananes plantains trop mûres nous sont offertes. Comprenant notre malaise, Romulo remise ses bananes et nous propose d'aller voir ses ancêtres.

Dès le lendemain, Romulo, nous consacre sa journée entière. Patrick va le chercher en annexe, nous partons vers la rivière avec eux. Cette rivière est vraiment très belle, sur un plan d'eau lisse se reflètent la végétation, les montagnes et les nuages. Sur les rives, nous dérangeons des hérons et des rapaces en plein festin. Des arbres immenses présentent une frondaison de fleurs fines et roses. A mesure que nous nous enfonçons nous trouvons de chaque côté de la rivière des huttes. Ce n'est pas une annexe du village. Ici reposent les ancêtres. Romulo nous conduit sur la berge. Nous nous arrêtons sous un appentis de palmes. Ici est rassemblée toute la famille de sa femme. Chez les Kunas, le passage d'un monde à l'autre fait l'objet d'une cérémonie simple et belle. Le mort est installé dans son hamac. Il est veillé par le shaman et sa famille, puis il est conduit, entre deux hommes, dans son hamac vers sa dernière demeure. Un cimetière kuna ressemble réellement à un village. Chaque hutte rassemble les membres d'une même famille. Chacun sera enterré dans son hamac, avec ses habits les plus beaux. Sur les parois de terre qui l'entourent, ses habits, et traditionnels mollas sont encastrés dans la terre. Un peu comme des tableaux suspendus au mur. Puis le mort est recouvert de terre, rarement d'une dalle. Sur la tombe sont rassemblés ses affaires, ses ustensiles de cuisine, son siège, sa table, ses chaussures, sa pipe... tous les objets auxquels il tenait ou qui le représentaient le mieux. Curieux, cet agencement donne une atmosphère bien vivante. La famille vient entretenir la hutte au même titre que la leur dans le village. La mort en pays Kuna est quelque chose de simple, une acceptation épurée de tout sentiment.

A la fin de la journée, Romulo nous aide à amener le catamaran de Patrick au quai. Romulo est fier de ce travail de "marinero", bon nombre de ses voisins sont rassemblés sur le quai. Un catamaran qui s'amarre à Ustupu, n'est pas légion. Le secrétaire du Sahila, nous accueille et se met en quatre pour servir Patrick, dont les cuves d'eau sont vides. L'eau est récoltée dans les nombreuses rivières de la montagne. Elle est acheminée par une succession de tuyaux qui serpentent la forêt et passent dans la lagune jusqu'à Ustupu. L'eau est purifiée grâce à des filtres à sable. Puis un groupe électrogène et une pompe assurent la pression. Moyen ingénieux qui permet à tout le village de bénéficier d'eau douce à certaines heures définies de la journée. Lorsque Patrick finit de remplir ses cuves d'une capacité de 400 litres, il demande la facture au secrétaire. Ce dernier tout surpris, lui dit qu'il peut donner ce qu'il veut, mais qu'ayant payé le droit communautaire, il a le droit de disposer des avantages du village, au même titre qu'un natif d'ici. Quelle leçon! Quelle logique en pays kuna!

Quant à nos légumes et nos fruits, ils viendront finalement par avion, en direct depuis Panama City. Le patron de la cantine d'Ustupu a des accords avec la compagnie aérienne qui dessert le village. Il partage l'arrivage du jour entre nous et lui. Nous aurons une salade, 4 tomates, 1 cocombre, 1 céleri pour la modique somme de 21 dollars. Nous ne récidiverons pas en la matière, et nous passerons les semaines suivantes à nous contenter d'ignames et de cocos.

Le temps passe et je ne vous ai pas parlé encore de la merveilleuse Lucie, et de son mari peintre Alek. Mais ne vous en faites pas, nous repasserons à Ustupu, et vous découvrirez d'autres merveilles.

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Étoile de Lune


Soignez vos plus petits bobos!

Ne négligez aucune blessure, le moindre bobo s'infecte sous les tropiques. Ainsi en revenant d'une balade dans la forêt tropicale, je m'étais égratignée. Une petite plaie, pas plus grande qu'un centimètre et demi de long. Je ne l'ai pas désinfectée tout de suite en rentrant au bateau. Pour en rajouter sur cette première erreur, j'ai continué à me baigner. Deux jours plus tard, je ne pouvais plus poser le pied par terre. La plaie n'était plus rouge, mais mauve, le pied avait gonflé. L'infection était telle que du simple désinfectant ne suffisait plus. Seuls les antibiotiques sont arrivés à bout de l'infection.

Le premier conseil est donc de désinfecter immédiatement toute plaie. Si vous n'avez pas de bétadine ou de produit équivalent. "Aux grands maux, les grands remèdes": utilisez de l'alcool à 90°. Il vaut mieux que ça pique un bon coup, plutôt que ça ne dégénère plus tard.

Le second conseil est de toujours avoir à bord, le traitement approprié au cas où cela s'infecterait.
Dans le cas de plaies surinfectées, il vous faudra :
- de la bétadine (jaune)
- de la fucidine en crème
- de l'amoxocilline (antibiotique à large spectre)
Pour ce dernier, veillez à avoir un traitement de 7 jours au moins. Dans le cas d'infection grave, il vous faudra peut-être prendre la dose maximale prescrite. Ainsi veillez aussi à avoir la dose nécessaire. Je ne sais pas pourquoi, mais les laboratoires pharmaceutiques se débrouillent toujours pour que le compte ne soit jamais bon. Par exemple dans un traitement de 7 jours, à raison d'un cachet par jour, ils vendent des boîtes de 6 cachets. Que vous preniez 1, 2 ou 3 cachets par jour pendant 7 jours, le compte ne sera jamais bon. Prévoyez donc large.

Tant que la plaie n'est pas cicatrisée, plus de baignade, plus d'eau salée, plus de sable.

Veillez aussi de ne pas dépasser les dates de péremption. Mais si c'est le cas, mieux vaut prendre un antibiotique "allégé par l'âge" que rien du tout. Le dépassement en date, altère l'efficacité des antibiotiques. Par contre, il vaut mieux utiliser des crèmes dans les limites des dates préconisées.


La photo du mois

La coupe Kuna : Notre ami Patrick passe devant une hutte où une femme coiffe sa cousine. Il demande si lui aussi peut se faire coiffer. La porte s'ouvre en grand et voici la hutte improvisée en salon de coiffure...

Texte écrit par Nathalie Cathala et mis en page par Dominique Cathala en juin 2008 - Tous droits réservés
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