Message 72 – écrit en juin 2008
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Zone de navigation : Puerto Escosés en Kuna Yala

Le regard de Nuelia
Une étincelle en Pays Kuna - Episode 2/4

"Le monde est notre cahier d'écolier, sur ses pages nous faisons notre exercice." - Richard Bach


Ceci est le deuxième épisode de notre saga sur les Kunas. Pour retrouver le début de l'histoire, consultez le message 71, intitulé, "le clan des irréductibles".

Résumé du message
Le mois dernier, nous vous racontions nos premières découvertes kunas. Un peuple étonnant, aux moeurs parfois déroutantes. Pénétrer en pays kuna c'est accrocher une expérience au mot "dépaysement". Ce mois-ci nous poursuivons avec vous, nos investigations. Nous trouvons une baie déserte immense, au creux d'une végétation inviolée. A Puerto Escosés nous sommes adoptés par la famille de Nuelia. Avec elle, nous apprendrons ce qu'est la vie à "El Monte". Nous nous familiarisons à un mode de vie complètement dépendant de la nature. Nous découvrons la gentillesse pure, le partage d'un quotidien qui se trouve à des années lumières de celui des Occidentaux.

En fin de message vous trouverez :
L'astuce du mois : Réponse à la question d'un lecteur concernant les bulletins météo que l'on peut récupérer "au grand large"
La photo du mois : Nuelia mon amie Kuna


Bonjour,

En pays Kuna, il y a toujours une île à portée d'étrave. Dans la partie sud de l'archipel, nous naviguons souvent contre le vent qui lève une mer cabossée. Bizarrement, ce sont des vents de Nord à Nord-Nord-Ouest qui soufflent. Les alizés (vents à dominante Est) se déforment sur les montagnes de l'isthme panaméen, et s'infléchissent pour pénétrer dans le fond du Golfe Darien. Notre deuxième étape, nous mène à Puerto Escosés. A l'entrée de la baie, de gros rouleaux d'écume se fracassent sur les récifs. Nous nous faufilons entre ceux-ci et nous pénétrons dans un vaste couloir dont les parois sont recouvertes d'une végétation inextricable. Je n'ai jamais vu plus vaste étendue sauvage. À perte de vue, des collines et des monts grimpent en étages sans que la moindre construction ne vienne dépareiller le vert profond de la forêt. Pour mouiller, nous n'avons que l'embarras du choix. Quelques huttes sont tapies à l'orée de la forêt, en bordure de rivage. Nous ne voulons pas gêner les habitants par notre présence impromptue, nous préférons nous établir à quelques encablures du village, et laisser libre leur vue sur l'horizon.

Nous arrivons au moment du soleil couchant et se produit un phénomène étrange. A l'instant où nous coupons le moteur, et que tout redevient calme, nous percevons une note émanant de la forêt. Une sorte de "la" permanent, presque imperceptible, et pourtant si présent qu'il envahit tout l'espace. A bord les spéculations vont bon train. Singes hurleurs? Sorte d'insecte chanteur? Oiseaux?

Patrick, notre ami du catamaran "Pierre-Gilles" nous ôte un doute, ce ne sont pas des singes hurleurs. Il en a entendu déjà, et ils ne sont pas dans la même gamme. Nous tendons l'oreille... Plus rien. Un mirage sonore dans cet océan de tranquillité ?

Pourtant, chaque soir de notre séjour, au moment du coucher du soleil, la forêt chante le "la". C'est un moment particulier, où les oiseaux qui se sont égosillés pendant toute la journée se taisent. Le temps suspendu au silence aspire toute sensation. Nous vivons en apesanteur dans une paix si intense qu'elle prend vie. Tandis que le soleil emporte ses rayons chauds derrière les collines, la forêt entonne chaque soir l'hymne de la fin du jour.

L'origine du nom, Puerto Escosés, est à trouver dans l'histoire. Les Écossais ont débarqué dans la baie en 1698. Ils étaient 3000 vaillants aventuriers et chercheurs d'or. Ils ont tenté de s'installer. Ils ont construit un fort... Croyant trouver ici, la richesse, ils n'ont accumulé que des tombes. Deux milles personnes ont trouvé la mort dans ce quotidien extrême que leur façonnaient le climat et la forêt. Mille survivants sont rentrés chez eux au bout de 4 ans d'une vie aux limites du supportable. Aujourd'hui, la nature n'a pas changé. Seule une dizaine de kunas viennent exploiter les cocoteraies. En général, ils ne se sont pas embarrassés, et au moment du premier recensement à Panama, comme ils devaient présenter un nom de famille, ils se sont octroyé les noms inscrits sur les tombes oubliées. Aujourd'hui, nous croisons beaucoup de Green, Robinson, et autres noms écossais.

Le lendemain de notre arrivée, des enfants viennent au bateau. Dès l'âge le plus tendre, ils apprennent à manipuler de lourdes pagaies. A la façon de leurs ancêtres, ils ont appris ce geste exact qui permet de propulser le canoé sans jamais passer la pagaie d'un côté ou de l'autre de l'embarcation. Le petit Hader est accompagné de copines, il nous invite à venir voir ses parents au village. Une si gentille invitation ne se refuse pas. L' annexe mise à l'eau, nous allons chercher notre copain Patrick, et nous voici à l'approche d'un îlot minuscule. Il est visiblement artificiel. Les Kunas ont amassé du corail mort sur une remontée de fond. Là, ils ont construit un enchevêtrement de huttes. Plus loin, sur le rivage, une jeune femme nous fait de grands signes et nous invite à débarquer aux pieds de sa "casita".

Nuelia nous accueille. Elle me fait l'effet d'une étincelle. Je dirais plus que ça, d'une fleur au coeur même de ce peuple si particulier. Nuelia sourit, son regard tendre nous souhaite la bienvenue. Les présentations sont faciles. Mimiques, gestes, envie de communiquer, quelques mots rudimentaires d'espagnol, sont les précieuses aides pour initier un contact. Les seuls qui soient de mauvaise composition sont les moustiques et puces de sable qui s'attaquent sans vergogne aux chevilles. Nous comprenons dès lors pourquoi certaines familles choisissent de s'établir sur des îlots coralliens. Ce premier contact situe chacun. Nuelia, son mari et ses trois garçons, dont Hader habitent la communauté de Mulatupu, village de 2000 habitants situé à 8 milles de Puerto Escosés. Leurs huttes ne représentent ici que des campements sommaires. Ils exploitent les terres fertiles alentours. Ils produisent maïs, cocos, bananes plantains, ananas, manioc, ignames. La nature les aide aussi, par la présence naturelle d'avocatier, de manguiers et de calebassiers sur leur terrain. Les enfants aident les parents, ils partent à la pêche des journées entières et fument le poisson à leur retour.

Chez les kunas la terre appartient aux courageux. Il n'y a pas de plan cadastral. La forêt est suffisamment vaste pour que chaque famille kuna choisisse sa parcelle de terrain. La grandeur de la "propriété" est déterminée par la capacité de la famille à défricher. Celle-ci est délimitée par des palmes de cocotiers étendues sur le sol. Les kunas ne se volent pas entre eux. Si cela devait arriver, le fautif serait immédiatement conduit devant le "Puksu Kalu", tribunal kuna composé de 5 juges désignés par le sahila. La peine encourue peut mener le voleur au "Kala Boso"(prison). Ainsi, le fautif, placé dans un cachot sombre situé au centre du village, est invité à réfléchir pendant quelques jours, aux bonnes manières qu'il lui conviendra d'adopter dès qu'il sortira. Pas besoin de gardiens, tout le village se chargera de la surveillance.

Pour Nuelia et sa famille la vie à Puerto Escosès est rustique. Ils détiennent une parcelle de terrain coincée entre le rivage et la montagne. La famille va et vient entre "el Monte" et Mulatupu. "El Monte" est l'expression commune aux Kunas qui désigne le lieu d'exploitation vivrière. Nuelia remporte le fruit de son travail sur Mulatupu, afin de nourrir le reste de la famille.

J'ai souvent entendu dire que la société Kuna était une société matriarcale. Je ne suis personne pour contredire ce qui est écrit dans les encyclopédies, mais les femmes kunas ne dominent pas les hommes. Elles n'ont absolument aucun poids décisionnel dans la société. L'autorité se décline au masculin. Les mots caciques, sahilas et chefs de famille sont strictement réservés aux hommes. On me l'a suffisamment répété en terre Kuna pour que je le retienne ma vie entière!

Le père est donc le chef incontesté de la famille. Il est considéré comme un pilier, comme celui qui est le plus efficace à prendre des décisions pour le noyau familial. Il a toute autorité en matière d'éducation de ses enfants. La femme sera cantonnée à des travaux ménagers elle aidera aussi à la récolte quand l'homme le demandera. D'un point de vue économique, les tâches sont partagées entre l'homme et la femme. L'homme s'occupe des travaux des champs. Il va à la chasse et à la pêche. Il revendra la production qui ne sera pas nécessaire à nourrir sa famille. Tandis que la femme confectionnera à longueur de journée les fameux mollas et tentera de les vendre aux étrangers de passage.

Les Occidentaux ont sans doute pensé que les kunas formaient une société matriarcale parce que les filles, une fois mariées, emmènent leur mari au sein de leur cellule familiale. Dans certains villages reculés, c'est encore le père qui choisit le fiancé. Il sera sélectionné pour sa force, son courage, en gros son aptitude à travailler à "el Monte". La cérémonie de mariage est d'ailleurs très cocasse. La jeune fille est posée dans son hamac, au centre de la hutte familiale. Les hommes de la famille se rendent au domicile de "l'heureux élu". Ils le portent dans leur bras et l'entraînent ainsi à travers tout le village. Dans la hutte de la jeune fille, il fait un atterrissage forcé dans le hamac nuptial. On raconte que certains "fiancés", pas très consentants, tentent de s'échapper du hamac. Ils sont immédiatement retrouvés par la belle-famille et vertement reconduits dans le hamac. S'il devait fuir ainsi plusieurs fois, il serait banni du village. Cela dit, une nuit de noces dans un hamac doit être drôlement acrobatique...

Peu à peu les moeurs changent et rassurez-vous, la plupart du temps, c'est l'amour qui commande les mariages kunas. Le choix revient aux futurs époux. Par contre, les Kunas se marient le plus souvent entre eux. Seuls, les mariages intracommunautaires sont en général autorisés. Tous les villages de l'extrême sud du territoire sont encore sous le joug de cette règle. Cependant, peu à peu, les Kunas s'ouvrent à l'extérieur. Plus haut dans le nord du Kuna Yala, il existe quelques exemples, rares, de mariages entre Kunas et étrangers. Ces mariages sont le seul moyen de permettre aux étrangers d'acquérir, certaines terres, certains îlots. Ceux-ci sont alors exploitables pour le tourisme. Le cas existe, du côté d'Atchutupu, un couple mixte a construit un petit hôtel qui ne dépare en rien le milieu naturel, puisque les matériaux de construction ancestraux restent de mise. Ainsi, les touristes désireux de passer quelques jours en pays kuna adoptent non seulement leur mode de vie, mais aussi leur approche de confort. Dépaysement assuré !

Si les étrangers sont parfois admis dans une famille Kuna, l'organisation de la famille demeure immuable. Les gendres sont aux ordres de leur patron, qui n'est autre que leur beau-père. Plus il a de filles, moins il devra travailler lui-même, une fois ses filles mariées, car les gendres ramèneront de quoi manger à la maison. Un kuna qui ne va pas à la pêche ou à "el Monte" ne mange pas! Si les gendres doivent nourrir la famille, le beau-père quant à lui doit fournir un toit à chaque ménage. Ainsi à Mulatupu, Nuelia, Letiel et leurs trois enfants vivent dans "une Nega tumat" ou "maison familiale". Mais vous vous doutez qu'en pays Kuna, cette expression ne se traduit pas comme nous l'entendons. Le premier noyau familial grandit dans une hutte entourée de canisses. Chaque fois qu'une fille se marie, on construit une nouvelle hutte dans l'enceinte. A l'intérieur de celles-ci, le hamac est bien souvent le seul meuble. Les vêtements sont suspendus aux poutres. Pas de chaises, pas de table, tout se passe dans le hamac : manger, dormir, coudre des mollas, faire des bébés... En général, "la casa de fuego" ou cuisine est commune à toute la famille et fait l'objet d'une hutte particulière. Cette conception de la famille donne lieu à un enchevêtrement de huttes très particulier au centre duquel se retrouve toute la famille du plus ancien au plus jeune.

Pendant notre séjour, chaque visite rendue à Nuelia est un réel bonheur. Elle est patiente et me montre une foule de choses. Elle m'entraîne dans sa hutte, pour m'expliquer, le fumage du poisson. Le foyer se trouve à même la terre. Les enfants passent de hutte en hutte pour transmettre le brasier. Aucune sortie aérienne n'est prévue pour la fumée. Elle s'évacue au travers du toit de palme qui noircit d'année en année. Nuelia m'explique aussi la composition de la chicha de maïs et sa fabrication... La chicha est une boisson typiquement kuna. Et je vous assure qu'il faut un certain entraînement pour un jour parvenir à y prendre plaisir en tant qu'Occidental !

Nous passons le plus de temps possible avec la famille de Nuelia. Letiel, son mari est fier de montrer aux capitaines la fabrication d'une nouvelle pagaie. Et Nuelia m'entraîne souvent à prendre des photos de ses enfants. Un jour je reviens avec les photos imprimées sur papier. Toute la famille se les passe de mains en mains. Des éclats de rires, des regards humides, en disent long sur ce qu'ils ressentent. Les enfants qui se prennent au jeu, nous sortent tous leurs petits copains. Hader prend son chien à bras le corps, tandis que son petit frère, Blanclin pose avec sa poule. Ils partagent avec une telle générosité leur vie de famille, leur quotidien qu'une affection sincère naît entre nous. Je prends un tel plaisir en compagnie de Nuelia que j'imagine sans peine que nous deviendrions amies si le voyage, ne me faisait pas partir sans cesse plus loin...

Un jour, les capitaines inspirés ont des envies bucoliques et décident de jouer les "aventuriers de Puerto Escosés à la recherche des tombes perdues". Nous nous enfonçons dans la forêt, lorsqu'un cousin de Nuelia nous rattrape par la manche pour nous proposer de nous guider. Les capitaines bombent le torse, et répondent d'un seul homme, qu'ils n'ont besoin de personne pour se balader. Le petit Hader, nous suit néanmoins. Il m'apprend des mots kunas en me montrant une fleur, il me dit "tut", un pélican c'est "gorgui"... La première partie de la balade aboutit sur une plage balayée par les flots.

"Que c'est beau! Et les tombes?"

Sans doute, les capitaines ont-ils décelé comme une pointe de sarcasme, et ... je les soupçonne d'avoir voulu se venger en perdant le Mouss dans la forêt! Pour le retour, au lieu de prendre le même chemin qu'à l'aller, nous voici à prendre un autre sentier, qui se finit dans un marécage, qui se poursuit au creux de hautes plantes qui s'enchevêtrent dans les racines tarabiscotées de je ne sais quel arbre qui présente des épines menaçantes... Bref, il nous faut pas moins d'une heure pour nous perdre complètement. Le soleil décline rapidement, les capitaines ont beau me dire qu'ils savent où ils sont, on y voit de moins en moins. Hader, nous suit toujours. Je me demande pourquoi, il ne prend pas les opérations en main ce petit??? Je lui demande plusieurs fois si nous sommes sur le bon chemin. Mais il ne répond pas vraiment, je mets un temps infini à comprendre qu'il ne me comprend pas. Les kunas apprennent le kuna avant d'apprendre l'espagnol. Ils n'apprennent ce dernier qu'à l'école, et visiblement le petit Hader, n'y va pas souvent.
Je finis par lui demander : "donde esta tu mama?" (Où est ta maman?)

Il comprend enfin, qu'on ne sait plus très bien par où aller. Là, il file comme l'éclair au travers du marécage, les "herbes à éléphant". Il court, il se faufile entre des racines immenses, il saute par dessus des rus, il cavale dans le marécage. Bref, il passe au travers d'une végétation inextricable! Une première pour nous! En une demi-heure, il nous retrouve le rivage, il n'y a plus qu'à suivre la mer! Ouf, le soleil n'est plus là, et la pénombre s'installe quand nous arrivons au village.

Boussole, j'ai rebaptisé, le petit Hader, Boussole! Merci Hader...

Résultat de l'opération, le petit Hader est blessé. Le Mouss est blessé et Nuelia ne nous en veut pas! Le lendemain alors que la plaie du petit Hader est déjà guérie, la mienne s'infecte. Il me faudra plus de trois semaines et des antibiotiques pour arriver à cicatriser. Je repense à l'hécatombe des Écossais. Heureusement qu'au 21e siècle nous voyageons vaccinés, emportant avec nous une pharmacie digne d'un hôpital de campagne, notre "manger", "notre boire" et "notre confort". Voilà de quoi survivre à peu près partout. À condition de ne jamais suivre 2 capitaines en forêt!

Pour nous faire pardonner, nous irons chercher les enfants, dès le lendemain et nous les emmenons en annexe. Hader s'éclate, le capitaine lui a cédé le manche du moteur hors bord! Nous tournicotons dans la baie, puis, il nous demande de le déposer chez sa petite copine qui habite l'îlot corallien. Il est fier de débarquer devant le regard épaté de sa petite amie. Ces signes de la mains, ces grands sourires, et ce bonheur renouvelé de moments partagés en toute simplicité resteront à jamais gravés dans notre mémoire.

Quelques jours plus tard, nous levons l'ancre, le coeur se sert à l'idée de quitter une famille adorable pour laquelle nous nous sommes pris d'affection. Nous saluons au passage Nuelia et son mari qui nous font de grands signes depuis le rivage. A quelques milles de là, les deux ainés sont au milieu de l'eau. Ils pêchent. Dans leur barque, ils semblent démesurément petits au creux de la longue houle. Plus loin encore, qu’elle n'est pas notre surprise, de croiser la grande barque familiale. Elle regorge de fruits, de légumes, de poissons fumés, d'enfants, de chatons, mais aussi d'adultes dont le vieux grand-père. La mer est belle, le vent n'est pas trop fort. Mais, si le voyage vers Puerto Escosés est aisé car poussé par les vents. Le retour, chargé de fruits et de légumes, se fait à la rame. Il leur faut parfois plus de 6 heures pour rentrer sur Mulatupu. En passant le long de leur bord, nous ralentissons l'allure et nous leur lançons une amarre. Le grand-père la saisit au vol et attache l'embarcation à L'Etoile de Lune. Toute la famille sourit. Ils veulent tous rester à bord de LEUR bateau. Je reste assise sur la jupe arrière pour m'assurer que tout se passe bien. Ils brandissent le chaton, la petite fille éclate de rire, le grand-père prend ses aises et simule de faire la sieste sur un nid de cocos, Hader n'arrête pas de me faire des petits signes de la main. Ils sont heureux comme des gamins. Puis, l'un des adultes m'interpelle, il crie : "photos, photos!!!" Ils veulent immortaliser l'action. Revenir au village, sans ramer est si exceptionnel !

S'ils économisent de cette manière beaucoup de peine, cela ne les dispensera pas, d'être soumis dès leur arrivée à Mulatupu à la taxe communautaire. Une jeune femme se tient sur le quai d'accès au village et compte chaque fruit, chaque légume, chaque poisson que la famille ramène. La taxe se paye en nature et surtout en cocos. Les cocos, qui leur restent après taxation, permettent à la famille de gagner un peu d'argent, car elles sont vendues aux Colombiens. La Colombie manque de cocos et un commerce s'est instauré entre Kunas et Colombiens. Chaque semaine, des lanchas viennent de Carthagène chargées de produits manufacturés (tels que des vêtements, des outils, des fournitures d'école...) mais aussi des aliments en conserve, des "pastillas" (chips, gâteaux), de "gaseosas" (boissons gazeuses de toute couleur et aux goûts douteux). Les lanchas remontent le long de la côte panaméenne jusqu'à Porvenir et parfois Colon. Lors de la remontée, les Colombiens revendent le produit de leur cargaison aux Kunas. A la descente vers la Colombie, les lanchas repassent dans les villages Kunas. Là, elles chargent la coco qui se paye 15 cents (de dollars) la pièce. La coco est une source de revenus importante en pays Kunas.

Une autre source de revenus est le molla. Toutes les jeunes filles apprennent dès leur plus jeune âge à confectionner des mollas. C'est un empilement de tissus colorés, ils sont cousus dans un ordre précis qui au final représentera des formes géométriques ou figuratives. Une méthode simple et unique au monde qui fait la réputation de l'art Kuna. Personne n'a été capable de me dire à quand remonte le premier molla. Ou, ce qui a donné l'idée à la première femme d'utiliser fils, tissus, couleurs de cette manière. Le molla est en général fait en double. Il est de taille rectangulaire et suffisamment grand pour recouvrir l'abdomen et le dos des femmes. Cousus ensemble ils sont les éléments des blouses traditionnellement portées par les femmes kunas. En guise de jupe, un paréo. Le tout scintille de couleurs vives. Un molla de la taille d'un ordinateur portable se paye en général 20 dollars. Mais certains mollas sont considérés comme de véritables chefs-d'oeuvre et le prix grimpe en fonction du nombre d'heures de travail. Un molla de qualité ne devrait laisser voir aucun fil et comporter au moins 5 couches de tissus et peut demander jusqu'à trois mois de travail. En général, le temps consacré à la façon du molla varie de quelques heures savamment orchestrées à plusieurs semaines. Les femmes passent leur vie entière à coudre sur le pas de leur hutte. Ce sont elles qui sont en charge de la vente des mollas. Elles viennent aux bateaux en barque ou vendent à la sauvette dans les ruelles des villages. Chaque année les San Blas accueillent plus de visiteurs étrangers, ce qui donne à ce commerce une envolée exponentielle.

Nuelia est sans doute la seule jeune femme Kuna qui ne m'ait jamais demandé de lui acheter un molla. Par contre, quelques jours après l'avoir quittée à Puerto Escossès, elle est repassée au bateau. Nous étions à quelques milles de son village natal. Ayant repéré L'étoile de lune, elle a entraîné Letiel à venir nous rejoindre. Pour l'occasion elle avait revêtu son molla traditionnel. Elle a frappé à la coque, m'appelant à tue-tête, puis lorsque j'ai passé la tête par le hublot, elle s'est levée dans sa barque. Au risque de chavirer, elle voulait à tout prix me montrer sa tenue traditionnelle. Je suis immédiatement sortie, pour la congratuler et l'inviter à bord. Mais il fallait qu'elle rentre avant la nuit, il lui restait trop de chemin à refaire en sens inverse à la rame.

Elle est venue, en toute amitié ...

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Étoile de Lune


La question d'un lecteur concernant la météo

"Pourriez-vous me conseiller sur quels types d'appareils l'on peut utiliser au grand large pour recevoir la météo d'une façon simple et fiable, en dehors de la VHF, du navetex et des satellites (abonnement)."

Au programme de cette réponse :

Préparez votre navigation

Avant de partir "au grand large", préparez votre navigation. Vous avez plusieurs sites Internet à votre disposition pour recueillir les informations nécessaires à votre programme.

Pour vous faciliter la tâche sur le site internet : http://www.etoiledelune.net , nous avons créé une page qui reprend l'ensemble des prévisions pour le bassin atlantique. Sans devoir "courir" d'un site internet à l'autre, d'un seul clic, vous pourrez télécharger toutes les photos satellites, les cartes de prévision vents/vagues jusqu'à 72h. et les bulletins afférents à la zone qui vous intéresse.
Pour atteindre la page météo: http://perso.wanadoo.fr/etoiledelune/divers/meteo_locale.htm

(une page pour le Pacifique est en cours de préparation)

Une fois que vous êtes au large, le moyen le plus économique serait l'inséparable pendule du professeur Tournesol. Pour assumer untel choix, nous vous suggérons d'emportez également la bouteille du capitaine Haddock!
Hum, ...
Soyons sérieux!
Une réponse simple à votre question : Le moyen le plus économique et le plus fiable est la BLU.

Avec licence de radio amateur
Si vous avez passé la licence et si vous possédez une radio BLU émettrice et réceptrice, vous pouvez dans l'Atlantique rentrer en contact avec le Réseau du Capitaine. Des animateurs sont présents tous les matins sur le réseau québécois. Nycole, Jean-Yves, Pierre et André (VE2KOU, VE2NOR, VE2VO, VA2AF) émettent sur le 14 118 kHz à 11 heures TU en hiver et à 12 TU en été. A 13 heures TU le long des côtes des États Unis, Jean Yves assure un bulletin sur le 7140 kHz. Vous pouvez rentrer en contact avec eux, donner votre position, et il vous donneront un bulletin personnalisé. A 21 heures TU le réseau est repris par une station française dans le bassin d'Arcachon avec Jean-Claude aux commandes (F1EWN) et Raymond (FM5FM) qui vous dépannera aussi avec de la météo. Ceci est la méthode LA PLUS FIABLE et la plus économique. Rendez-vous sur le site internet : http://lereseauducapitaine.qc.ca

Il est bon également de coupler sa BLU à un modem de type PTC2 lui-même relié à un ordinateur où vous installerez un logiciel de compression (Pactor3). Ce système vous permettra de communiquer par courrier électronique. (voir rubrique "astuce du mois" du mail 65)

Dans le cas où vous avez la licence de RA vous pourrez vous inscrire gratuitement au réseau winlink. Via cette messagerie consultée à bord, vous pourrez recevoir des bulletins précis et sur mesure envoyés par les animateurs du réseau.

Autre méthode, vous pouvez commander vous-même des bulletins météo via un catalogue compris dans le logiciel de messagerie conçu pour winlink (Airmail). Vous pourrez selon les besoins commander des cartes de vent, de surface, de vagues, voire des cartes satellites de votre zone. Vous pourrez également commander des bulletins météo écrits. Ces bulletins et cartes couvrent la zone Atlantique Caraïbe, et une bonne partie du Pacifique. Ces requêtes sont totalement gratuites.
Renseignements supplémentaires sur le site internet : http://lereseauducapitaine.qc.ca

Exemple de bulletin reçu via le catalogue airmail pour winlink :
"AMZ086-051530-
E CARIBBEAN E OF 75W TO LEEWARD AND WINDWARD ISLANDS
530 AM EDT THU JUN 05 2008
.TODAY THROUGH FRI NIGHT...S OF 17N W OF 70W E WINDS 20 TO 25 KT
EXCEPT TO 30 KT NEAR THE COAST OF COLOMBIA. SEAS 8 TO 12 FT.
ELSEWHERE E TO SE WINDS 15 TO 20 KT. SEAS 4 TO 7 FT.
.SAT THROUGH MON...S OF 15N W OF 70W E WINDS 20 TO 25 KT. SEAS 6
TO 9 FT. ELSEWHERE S OF 17N E WINDS 15 TO 20 KT. SEAS 4 TO 7 FT.
N OF 17N E TO SE WINDS 10 TO 15 KT. SEAS 3 TO 5 FT."

Sans licence de RA
Dans le cas où vous n'avez pas passé votre licence de radio amateur. Vous pouvez également utiliser la BLU. Mais pas tout à fait de la même manière. En effet, si la licence vous permet d'émettre, lorsque vous ne l'avez pas, en principe, vous ne pourrez pas vous exprimer sur les ondes. Par contre, vous pourrez vous inscrire au réseau Sailmail. Ceci est un système de messagerie qui fonctionne de la même manière que winlink, mais qui est payant. Le logiciel (airmail) de sailmail possède également un catalogue qui vous permet de faire des requêtes météo. En revanche vous ne pourrez pas recevoir de cartes météo à la commande, car ce système n'admet pas les fichiers joints.
Site internet : http://www.sailmail.com

Un logiciel utile : Mscan
Pour obtenir les cartes sans passer par une messagerie, vous devrez passer par un logiciel type Mscan Météo Pro. Via un cardon à prises jack, relié à la prise son de votre BLU d'une part et à la prise micro de votre ordinateur vous pourrez télécharger les cartes météo, via les stations émettrices. Par exemple, sur la Caraïbe la station de la Nouvelle-Orléans émet 4 fois par jour pendant 2 heures trente. Elle vous livre des cartes de prévisions pour des période de 24 H, 48H et 72 H pour une zone comprise entre les longitudes 0°N et 50°N et entre les latitudes 0°W et 125°W. Outre les cartes de prévision de vents, de vagues et de surface, en hiver, une carte d'avis de vents forts est émise. En période cyclonique cette dernière est remplacée par la carte de "danger area" carte de zone de danger concernée par un éventuel développement cyclonique. Les stations émettent en fin de bulletin une photo satellite.

Le chargement des cartes prend environ 10 à 15 minutes par carte. Vous trouverez les horaires de diverses stations en fin de rubrique.

Consultation des Fichiers Grib
Via le réseau Winlink ou le réseau Sailmail vous pouvez également demander des fichiers grib. Vous recevrez dans ce cas des cartes de vents et de vagues limitées à la zone de navigation que vous aurez défénie lors de vos requêtes.

Récolte des Buoyweathers
Autre moyen pour se faire livrer de la météo sur le bateau, via la messagerie : s'abonner au système de buoyweather. L'abonnement coûte 60 dollars par an. Il vous permettra de vous faire livrer, sur simple requête, un bulletin de prévision à 7 jours pour une position donnée. Ci-dessous exemple sur 24 heures.

BUOYWEATHER.COM Virtual Buoy Forecast
Location : 12.4N 70.54W
Model Cycle: 2008 JUN 01 06Z
UTC - 5 Hours
----------------------------------------------------
WIND SEAS
DATE HR dir/deg range(kt) dir/per range(ft)
---- --- ------------------ -------------------
6/1 01 E 97 17 - 23 ENE 5sec 4 - 7
6/1 07 E 99 18 - 25 ENE 5sec 4 - 7
6/1 13 E 89 19 - 26 ENE 5sec 5 - 8
6/1 19 E 91 21 - 28 ENE 6sec 6 - 9

Pour tout renseignement : http://www.buoyweather.com

Un copain qui vous veut du bien
Quel que soit le réseau de messagerie embarqué à bord, vous aurez aussi la solution de choisir parmi vos amis "terriens" une personne toute dévouée à votre cause. Elle peut via courrier électronique vous envoyer toutes les informations qu'elle trouvera via internet. Nous avons testé cette formule au début de notre voyage. Pour tout vous dire, si les motivations sont intactes lors des premières navigations, elles s'émoussent par la force des choses et vous laissent parfois dans le flou total à la merci du manque d'expérience et des contre-temps terriens. Lorsqu'on part en mer, il faut à tout point de vue être le plus autonome possible et ne s'appuyer que sur des réseaux fiables et disponibles. Cette règle est une réelle garantie de réussite pour vos navigations futures.

Horaires et stations émettrices de météo selon la zone où vous vous trouvez.

Pour les navigations en Atlantique et la partie ouest de la méditerranée.
Boston
Fréquences ( les fréquences des porteuses sont décalées de 1.9kHz au-dessous des fréquences indiquées (réception en mode BLU ou SSB)
4235 kHz - 6340.5 kHz - 9110 kHz - 12750 kHz

Heures d'émissions en TU
2 H 30, 7 H 45, 14 H 0, 17 H 20, 19 H 0

Zone couverte selon les cartes
15°N_65°N ; 10°E_95°W

Pour les navigations entre Canaries et la mer des Caraïbes y compris le golfe du Mexique et le golfe Darien côté Pacifique.
La Nouvelle-Orléans
Fréquences ( les fréquences des porteuses sont décalées de 1.9kHz au-dessous des fréquences indiquées (réception en mode BLU ou SSB)

4217.9kHz - 8503.9 kHz - 12789.9kHz - 17144.5 kHz

Heures d'émissions en TU
0 H 0, 6 H 0, 12 H 0, 18 H 0

Zone couverte selon les cartes
15°N_40°N ; 0°W_100°W

Zone pacifique Est
Honolulu
Fréquences ( les fréquences des porteuses sont décalées de 1.9kHz au-dessous des fréquences indiquées (réception en mode BLU ou SSB)

9982.5 kHz 0519-1556 (heure UTC)
11090 kHz ALL BROADCAST TIMES
16135 kHz 1719-0356 (heure UTC)

Zone couverte selon les cartes:
20S - 30N, à l'Est du 145W

Références
Vous trouverez la liste complète des stations émettrices dans les guides édités par SHOM
"Service Hydrographique et Océanographique de la marine"
Stations radiométéorologiques
Deux volumes couvrent toute la planète.

Réseaux de langue anglaise sur la Caraïbe

Heure UTC Fréquence Mode Nom de la station et description
10H30 3815 LSB/HAM Carib emergency et weather net
11H00 8137 USB Chris, ne traite que les cas de tempête, pas le dimanche
11H15 7241 LSB/HAM George maritime mobile net
11H30 7086 LSB/HAM George météo (voix suivie de fax, pas le dimanche)
12H30 8104 USB Chris, ne traite que les cas de tempête, pas le dimanche
20H00 12 359 USB Hurb
20H30 7086 LSB/HAM George, carib, cocktail, weather Net

Pour plus de renseignements : http://www.caribwx.com/ssb.html


La photo du mois

Nuelia mon amie Kuna


Texte écrit par Nathalie Cathala et mis en page par Dominique Cathala en juin 2008 - Tous droits réservés
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