Message 69 – écrit en janvier 2008
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Zone de navigation : Carthagène (Colombie)


"Dans la Grèce antique, les politiques étaient reconnus comme sages. Au fil des siècles, même si l’on trouve ici ou là, quelques exemples de sages politiques (Gandhi), de nos jours, sagesse et politique semblent présenter de réels signes d’incompatibilité." Yveline Brière

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Ceci n’est pas une chronique comme nous le faisons habituellement. C’est un bonus à nos lettres du mois. Un coup de chapeau simple pour une cité aux effluves de légende. Vous retrouverez nos astuces et nos fiches pratiques lors de notre prochaine chronique.


Résumé du message

Carthagène… Ha, que vous dire sur Carthagène ?
Tout semble déjà avoir été dit et pourtant, aujourd’hui je me sens incapable d’en partir sans vous confier les émotions qu’elle a suscitées en nous ! Il me semble que si nous levions l’ancre là, sans vous raconter notre séjour, je garderais à jamais le goût amer d’une frustration. Alors, acceptez cette balade au travers de la ville. Déambulez avec nous dans les ruelles étroites, retrouvez la fraîcheur de la pénombre des cloîtres, découvrez les masques en or des Taironas, réchauffez-vous au soleil des sourires des habitants, entendez les Carthaginois vous souhaiter la bienvenue… Cette ville est irrésistible ! Cette balade en mots vous conduira jusqu’au reportage en son et en images que le capitaine vous a concocté. Celui-ci vous entraînera dans chaque parcelle d’intimité de Carthagène.


Bonjour,

D’emblée, Carthagène surprend par son ambivalence. Sans parler de mystère, cette ville possède tout simplement une double face. À vrai dire, pour le marin, elle se présente, en premier lieu, sous son angle le plus rébarbatif !

Lorsque nous longeons la côte de Carthagène nous découvrons un mur d’immeubles tous plus haut les uns que les autres. Nous sommes stupéfaits… Est-ce bien ici cette ville enchanteresse dont nous ont parlé nos prédécesseurs ? Autrefois, par ses méandres lacustres, Carthagène était surnommée "la Venise des Antilles". Je pense qu'aujourd'hui il n'est pas usurpé de la qualifier de "petite New York caribéenne".

L’entrée est singulière… Le bateau doit passer par-dessus un mur « marin ». Il fut construit par les Espagnols qui désiraient empêcher l’accès de la baie aux navires indésirables. Carthagène possédait lors de sa colonisation deux voies d’accès. La plus large d’entre elles se nomme Bocagrande, la plus étroite est Bocachica. Craignant de ne pas assumer une surveillance suffisante sur Bocagrande, les Espagnoles bâtirent un mur sous-marin qui affleurait entre l’île de Tierra Bomba et la presqu’île de Boacagrande. Ils obligeaient ainsi les bateaux à entrer par la passe sud de Bocachica. Celle-ci par son étroitesse permettait un contrôle efficace des incursions dans la ville. Aujourd’hui encore, les bateaux de gros tonnage pénètrent dans la lagune de Carthagène par Bocachica.

Depuis plusieurs années, les Carthaginois se sont aménagé une brèche d’une trentaine de mètres de large et d’une profondeur de cinq mètres dans le mur de Bocagrande. C’est bien pratique et cela permet de raccourcir la route de quelque 13 milles. Expérience unique que de naviguer par-dessus un mur et au travers d’une porte nautique… Dès que cette porte est franchie, notre Étoile perd tout contact avec l’eau… Elle flotte toujours, mais la consistance et la couleur de ce sur quoi elle navigue ne s’apparentent en rien à la mer ! C’est tout bonnement immonde à la vue et à l’odorat.

Nous nous faufilons dans le chenal balisé. Un paquebot énorme nous croise en sens inverse. Au milieu des bouées un pêcheur dans une barque locale, héritage des Indiens, pagaie contre le vent. Quel mélange de genres ! Nous croisons le regard de la statue de la Vierge qui trône au croisement des bouées de balisage. Puis, nous découvrons le mouillage réservé aux bateaux de passage. Nous avons le choix de trouver une plac,e entre un quai qui accueille une dizaine de cargos par jour et une flottille garnie de destroyers de l'armée colombienne. Dans le lot on compte un sous-marin très prisé par les pélicans du coin.

Mon capitaine fuit les cargos. Il a raison, celui qui est à quai engloutit des conteneurs plus rapidement que Gargantua n’avale ses repas. Les grues couinent et grincent, les tôles cognent et résonnent.
Très peu pour nous, non merci !
Nous effectuons pas loin de dix tours pour enfin décider de jeter l’ancre non loin du sous-marin. Après tout, notre Étoile restera sous bonne garde le temps de notre séjour. D’emblée le Capitaine sécurise le mouillage par deux ancres. Heureusement, car la tenue des fonds est plus qu’approximative. Dès que le vent se lève au-delà de 20 nœuds, les bateaux dérapent. Nous avons ainsi vécu une journée mémorable. Nous avons vu 7 bateaux déraper en moins d’une heure. L’un d’eux n’a jamais trouvé le moyen de se « fixer solidement », dérapant 6 fois en 24 heures et ne s’arrêtant qu’avec la disparition du vent.
De quoi rendre fou, le plus zen des capitaines !

Voici un tableau bien négatif ! À vrai dire, il traduit l’exact état d’esprit des premiers jours. Les plus assidus d’entre vous, qui ont compris notre mode de voyage, se diront que L’Étoile de Lune n’a pas dû rester bien longtemps dans un tel environnement.

Hé bien, nous allons vous surprendre ! Nous sommes restés pas moins de 32 jours ! Jours pendant lesquels notre Étoile s’est nantie d’un très original manteau de bernacles ! Mais, si L’Étoile de Lune a été pénalisée par une telle escale, l’équipage en revanche s’est régalé  trente-deux jours pendant lesquels l’émerveillement a fait partie de notre quotidien !

Le mouillage n’est en fait que l’arbre qui cache la forêt.

Il suffit de descendre à terre, de marcher un petit quart d’heure et de traverser le pont Roman pour se retrouver aux portes de la vieille ville. Murs d’enceinte, échauguettes, portes de bois sculptées donnent le ton. Nous pénétrons dans un autre monde. Plus rien n’existe, le temps perd son pouvoir, nous marchons le nez en l’air, l’appareil photo prêt à saisir en rafales les infinis sujets d’enchantements. Nous sommes réellement au cœur d’un miracle architectural. Aidée par L’UNESCO, Cartagena de Indias prend soin d’elle et semble bénéficier d’une éternelle jeunesse. Façades reliftées, peintures fraîches, balcons retravaillés, toitures entretenues. Rares sont les maisons qui tombent en décrépitude. Édifiée en 1533, Carthagène ne paraît pas son âge !

Les grandes artères sillonnées par des taxis jaunes et qui pénètrent dans la ville, mènent au palais des congrès. Dès votre arrivée sur l’esplanade des martyres vous serez attirés par les statues des Pegazos, et surtout par la porte de l’horloge. Pourtant, avant de traverser cette porte mythique retenez l’ardeur de votre curiosité et passez par le parc Centenario. Il est ceinturé de huit portes magistrales qui méritent chacune une photo. À l’intérieur, si l’esthétique du jardin laisse à désirer, vous ferez des rencontres surprenantes. Outre les habitants qui se comportent comme s’ils étaient à la Cour des Miracles, vous croiserez des écureuils chapardeurs et des singes turbulents. Ces derniers ne cessent de me fasciner, gros comme des chats, ils sont gris et roux, leur tête est la reproduction lilliputienne d’une gueule de lion. Ils sautent de branche en branche avec une vivacité unique. Ces petits êtres sont vraiment spéciaux, surtout au cœur d’une telle ville !

À la sortie nord-est de ce parc, nous tombons nez à nez sur une vieille connaissance : Miguel de Cervantes Saavedra, en plein travail d’écriture, est assis sur ses moulins à vent. Puis happés par les cris de la ville, nous pénétrons dans l’antre par la porte de l’horloge. La ville crie… Oui, elle crie de couleurs, elle crie du haut des dômes de ses églises, elle crie de ses demeures incroyables. Cependant au passage de la porte, les rumeurs de la circulation automobile cessent. Le trottinement de chevaux résonne. Rendez-vous fortuit avec l’un des moments les plus romantiques de notre vie. Nous sommes au soir de la Saint Sylvestre.

Un coché nous hèle, il nous propose un tour de la ville en calèche. Quelle merveilleuse idée pour marquer la fin de cette année 2007. Ici, plus qu'ailleurs, une telle balade se charge d'une valeur émotive intense. Les ruelles se dévoilent à la tombée de la nuit.

Au travers des barreaux de bois qui protègent les fenêtres des maisons basses, les lumières des sapins de Noël nous enchantent. La transition entre la rue et l'intérieur des maisons des quartiers populaires est mal définie. Ces gens vivent-ils chez eux ou dehors ? Je me pose encore la question. Ces maisons me font penser aux photos que j'ai vues sur La Havane. Des maisons basses qui n'ont qu'un rez-de-chaussée, des fenêtres hautes, des barreaux de bois, des couleurs vives. Les ruelles du nord de la ville, autour du quartier de las Bovedas, sont toutes agencées autour de ce type de maisons. Ici personne ne voit la mer. Tout le monde vit à l'abri des remparts qui jadis protégeaient la ville de l'avidité violente des pirates.

Notre "coché" ne parle qu'espagnol. Il crie à tue-tête les noms des édifices et des places devant lesquels nous passons : Iglesias San Pedro Claver, Plaza Bolivar, museo del oro, Palacio de la Inquisition, calle de las damas… Le trottinement de notre mule résonne et rebondit sur les murs de la ville. Nous revenons vers le cœur historique de Carthagène qui pour cette fin d’année s’habille de lumières.

Quelles splendeurs !

La fête de Nouvel An se prépare. De nombreuses ruelles sont encombrées de tables et de chaises. Des nappes blanches couvertes de bougies, de cotillons et de vaisselles attendent les Colombiens qui affluent pour passer ce réveillon tous ensemble. J'ai la sensation que la ville entière ne forme qu'une immense et belle famille. A minuit, c'est la débauche totale. Toutes les sirènes des bateaux de la baie résonnent d'un seul son puissant et insistant. Au même instant, plus de dix feux d'artifice illuminent la ville. Les gens crient, sautent, dansent et chantent. Tout le monde se congratule. C'est la nouvelle année ! C'est le moment de grâce où chacun souhaite à l'inconnu qui passe le meilleur et plus encore...

Au lendemain des fêtes nous nous baladons dans les ruelles de la ville. Le soleil levant anime peu à peu les couleurs des façades. Un couple de perroquets jase comme s’ils étaient seuls au monde. Mais ils ne parviennent pas à réveiller la ville endormie. Un vautour plane au-dessus des toits. Seul Sixto paraît réveillé. Sixto est « el limpiador de la Gorda ». Il vient à moi avec un grand sourire. Il me dit qu’il me voit chaque matin prendre des photos de la Plaza Santo Domingo et qu’il aimerait que je dise qu’il se nomme Sixto Santoya. Il précise qu’il est là tous les matins pour que la Gorda, offerte par Franciso Botero, soit belle et brillante lorsque les touristes viendront la photographier. Il a l’allure fière et droite, le sourire affable.

Jour après jour, la ville nous ensorcelle. Nous ne nous lassons pas d’admirer les vedettes de Carthagène : les balcons. Nus ou habillés des mille teintes d’une végétation tropicale, de style andalou ou colonial, de pierre ou de bois, pastels ou de couleurs vives, vus de la rue ou des hauteurs des fortifications qui ceinturent la ville, chaque balcon mérite que l’on s’y attarde. Ces balcons donnent aux promeneurs l’occasion de saisir des scènes du quotidien carthaginois. Ici, une femme se fait livrer son courrier au gré du voyage ascensionnel d’un panier en osier, là un grand père mesure l’ampleur de sa vie au rythme des mouvements de sa chaise à bascule, plus loin un enfant dort dans les bras de sa mère... Chaque balcon par son identité confère à la ville son atmosphère unique.

Au-delà de ses musées, de son château, de sa Popa, de ses églises et de sa cathédrale, Carthagène est faite d’habitants chaleureux : Pedro le vendeur de musique ; Éloi le vendeur d’émeraudes ; Lillo qui façonne des sacs andins ; Lorenzo le chauffeur de taxi philosophe qui se rit de la politique ; David le grand organisateur des marins de passage ; Alberto, son sourire et sa grosse voix, qui nous accueille chaque midi pour déguster les meilleurs plats de poisson de la planète ; Maria qui nous montre ses deux bébés chats de 14 jours… Et el abuelo (le grand-père) du coin de la rue, au départ il mendiait un peu, puis les grands bonjours fusent et il nous adopte. Tous avaient au départ quelque chose à vendre, puis c’est le plaisir d’un rapport désintéressé qui devient roi. A Carthagène, lorsque vous refusez d’acheter, vous vous entendez dire : « Bienvenido en Cartagena ! »

Décidément, les Colombiens sont inimitables ! Une fois de plus nous sommes pris par le cœur. Et nous remettons de jour en jour notre départ. Mais, le temps perfide gagne toujours. Il nous rappelle à l’ordre et nous fait comprendre que la saison avance. Nous laisserons une fois de plus ces visages et ces sourires derrière nous. Mais pas avant de vous avoir entraîné avec nous au cœur de l’émotion que suscite cette ville.
L’expérience vous tente ?
Cliquez sur le lien ci-dessous. Installez-vous, confortablement une telle visite ne se bâcle pas en quelques minutes. Prenez votre temps … Ça y est, vous êtes, pour de bon, à Carthagène !
Un recueil de photos dans ce diaporama
N’oubliez pas de brancher le son de votre ordinateur…

Amitiés marines
Nat et Dom de L'Étoile de Lune

Texte écrit par Nathalie Cathala et mis en page par Dominique Cathala en janvier 2008 - Tous droits réservés
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