Mail 57– écrit en mars 2007
Nombres de milles parcourus: 8706 milles
Zone de navigation: Nord des petites Antille

Le Feuilleton des Vierges
Episode n°1
Vierges... Croyez-vous qu’elles le soient encore?

"La fidélité en se définissant dans et par le temps se définit contre lui...être fidèle c'est faire comme si le temps n'existait pas." Michel Sauvage


Résumé:
Il est des contrées dont nous n’avons pas encore eu le temps de vous parler. Leur nom résonne comme un rêve virginal. Le marin les imagine, comme un trait d’union posé entre l’arc antillais et les grandes Antilles. Qui sont-elles réellement? Voilà ce que vous découvrirez dans ce premier épisode du feuilleton des Vierges...

En fin de mail vous trouverez :
La photo du mois: "L'Etoile de Lune a parfois de drôles de fréquentations!
L'astuce du mois : "N'oubliez pas votre brosse à dents!"

Sur le site ce mois-ci : Le capitaine vous a concocté une nouvelle page d'accueil découvrez-la sur www.etoiledelune.net, ainsi qu'une nouvelle intro pour les Antilles. Découvrez les nouveaux albums photo.
Dans la presse : Loisirs Nautiques 423 donne de nos nouvelles en page 32.


Bonjour à tous,

Posées à la sortie nord des petites Antilles, les Vierges se partagent entre trois nations. En venant du Sud-Est, l’étrave pénètre d’abord dans le domaine des Vierges britanniques. Poursuivant leur route, les navigateurs découvrent ensuite les Vierges américaines. Leur course au trésor se finit au sein des Vierges espagnoles, qui dépendent de Porto Rico. L'ensemble des Vierges se compose d'une trentaine d'îles.

Les premières vierges que nous trouvons sur notre chemin sont donc britanniques. Dites BVI : British Virgin Islands. Elles sont organisées en bassin, au centre de celui-ci trône Tortola. Fervente admiratrice de films de pirates, je rêvais de Tortola… L’île de la Tortue, celle des boucaniers. L’antre légendaire de la flibuste! J'imaginais mon capitaine, bandeau sur l’oeil et le sabre à la main s’élançant par-dessus les filières de notre fidèle esquif au secours de Mary Read et de Anne Bonny! Quoique, ces deux illustres pirates ont plus marqué les esprits pour leur barbarie que pour une quelconque fragilité féminine... Hum...Autant pour moi… Je m'égare!

Nous tombons bien dans un repaire, mais pas dans celui des hommes au caractère d'acier trempé et à la jambe debois! Ici, nous sommes au royaume de la plaisance. Au paradis du «bare boat»! Expression anglaise qui signifie littéralement «bateau nu» : nom donné aux voiliers de locations parce qu’ils n’ont pratiquement pas d’équipement à bord. Par opposition aux TDM ou bateaux de Tour-Du-Mondistes. Ainsi, deux mondes se côtoient dans le bassin des BVI. L’un, composé de gens conditionnés par un impératif incompressible qui se nomme facteur temps. L’autre monde est fait d'escargots. Ils entraînent leur carapace au fil de l'eau. Ils tracent leur sillage avec indolence. Ils passent leur temps à dénicher les cailloux les plus insignifiants qui affleurent à la surface de la mer des Caraïbes. Bref, rien sur cette planète n'est propice à la réunion de ces deux mondes. Sauf... Les Vierges britanniques! J'en conviens, peu de TDM se risquent, sur zone. Et, ceux qui s'y aventurent en reviennent d'humeur bizarre...

Il est vrai que les premiers mouillages suscitent immédiatement une impression de surcharge, un sentiment d'excès et même d'exubérante animation! Dès, les premiers moments de surprise passés, nous prenons notre bâton de pèlerin et tentons de comprendre.

Dans les profondeurs de la baie de Road Town, nous trouvons des éléments de réponse. Dans la partie Nord-Est du port, cent cinquante voiliers à l'effigie du même loueur tirent sur leurs amarres. Trois bases équivalentes existent sur l'île. Ce samedi, il est 7 heures du matin. Un ronronnement obsédant emplit l'atmosphère. Sur les quais A et B, plus de 80 bateaux, moteurs en marche, attendent leurs hôtes. Les équipes du loueur s'affairent à nettoyer et à faire l'avitaillement des bateaux. Les quais sont encombrés de monticules de caisses de bières et de sodas. Les bateaux, tels des sprinters sont calés dans les starting-blocks. OK, les anglicismes sont de sorties!!! Mais ici, vous avouerez que c'est légitimement contagieux!

Sous la cocoteraie en bordure de la marina, un ballet de taxis et de cars déversent une horde de Ti Blancs "coming direct from America". Dès leur sortie, ils sont canalisés vers la "briefing room". Là, un gentil organisateur leur indique le sens giratoire de la visite des îles. Vrai! Tout ce petit monde va se retrouver aux mêmes escales chaque soir!

- Chouette! "Ah, les jolies colonies de vacances..."

En outre, tout le bassin est classé réserve naturelle. La pêche est autorisée sous certaines conditions à respecter sous peine d'amendes sévères. Tout au long de la présentation, un mot revient en permanence: "buoys". Prononcez avec l'accent local : "bouillie". En insistant énergiquement sur l’iiii! C'est le mot magique. Le sésame du mouillage dans les BVI. Les "bouillies" répondent à un code de couleurs. Blanches pour la nuit, rouges pour le jour, jaunes pour les professionnels. Un vrai parcours fléché. Ici, les guindeaux, les ancres et les chaînes sont à la retraite! Les équipages sont les rois de la gaffe! Matériel indispensable pour attraper un corps-mort et y arrimer un bateau. Pour couronner le tout, ces "bouillies" sont payantes. En somme, vous apportez votre coucher, votre manger et ... c'est vous qui payez! L'argent est récolté au bénéfice des associations protectrices de la nature. Les bouées portent toutes le nom de l'association qui s'en occupe: Moor Seacure. Jeu de mots qui signifient à la fois que les fonds marins sont protégés et que le bateau est en sécurité.

Dernière étape de ce "briefing" : les plaisanciers reçoivent une carte adaptée aux connaissances maritimes moyennes des locataires. En fait, près 40 pour cent des zones de mouillages sont rougies. Cela signifie que ces sites sont absolument "forbidden" (interdits) aux voiliers de location. La confiance règne! Et voilà, comment on éduque quatre-vingts équipages en moins d'une demi-heure! Quelle efficacité! En un battement de cil, les Ti Blancs sortent de la salle. Ils attrapent leurs effets. Ils montent à bord de leur bateau. Ils lâchent les amarres. Et, dans un bourdonnement de ruche, ils sortent du port. Déjà, ils tirent des bords dans le Sir Francis Drake Channel. (Encore un nom célèbre dans la flibuste.) Les quais de la marina sombrent ensuite dans la torpeur sourde des heures chaudes de la journée.

Nous sommes exténués! Il va falloir nous organiser si nous voulons trouver dans ce tumulte des enclaves de tranquillité! Soudain, une lueur d'espoir! Nous repensons à la carte et au sens giratoire... Il suffira donc d'inverser le sens de la visite et de louvoyer entre les récifs et les zones rouges pour trouver le secret des Vierges?

Plein d'espoir, nous levons l'ancre pour Jost Van Dyck. Les îles des BVI ne sont pas très éloignées les unes des autres. Des canaux d'à peine 5 milles les séparent. Ici les navigations ne durent jamais plus d'une demi-journée. Du vrai cabotage, donc! Le regard se pose toujours sur un morne, un caillou, une plage ou un cocotier. Vue sur Terre assurée! L'horizon quant à lui, n'est pas le panorama le plus classique des Vierges. C'est un peu comme si l'on naviguait sur une mer intérieure.

Jost Van Dyck se situe dans le nord-ouest de Tortola. A l'extrême ouest de l'île, deux mouillages libres de corps-morts s'offrent à nous : White bay et Great Harbour. Nous choisissons, dans un premier temps, Great Harbour. La baie est vaste, mais l'espace de mouillage est réduit par la présence d'un récif qui tapisse le fond de la baie. Nous prenons garde à l'éviter. Un bateau de location (tiens un évadé du contingentement locatif?) confiant, nous double. Il arbore un énorme drapeau du Texas. Il y va de bon coeur! Et, ... Un bruit sourd se propage à son bord. Son mât vibre jusqu'à la girouette! Il vient de faire connaissance avec le récif. A fond les manettes, il recule dans un nuage de fumée noire et sur un tapis de poussière de corail arrachée au récif par sa quille... Tss, tss, tss... Pauvre bateau!

A la nuit tombée, la mélodie d'un steel band parvient jusque dans le cockpit. Intrigués, nous enfourchons notre annexe: direction la plage. Au fin fond de la partie Est de la baie, sous une touffe de cocotiers, une cahute aux aplombs incertains abrite un bar-restaurant. C'est LE FOXY! Au plafond, nous remarquons des choses étranges. Des drapeaux... jusque-là rien d'étonnant! Des tee-shirts, rien encore de très extravagant! Mais également des soutiens-gorge et des petites culottes. Hum, dans quel état les propriétaires de ces sous-vêtements sont-elles parties? A côté du bar, nous retrouvons Foxy. Figure emblématique de Jost Van Dyck. Il y a quelques années encore, il chantait lui-même dans son bar. Une guitare bien apprivoisée, une voix nonchalante, des chansons candides et quelques vapeurs de rhum : c'est Foxy qui nous parle avec bonhomie de son attachement à son île. La plus belle du monde. Of course! Avec le temps, la notoriété a été au rendez-vous. Un producteur américain est passé par là. Il a enregistré, à la bonne franquette, un CD sur place. Aujourd'hui, le CD est disponible dans la boutique qui jouxte le petit restaurant. Ce soir, c'est Elvis qui se lance dans la chansonnette. Il vient de Sainte Lucie et il tente sa chance au Foxy.

D'une oreille distraite, nous sirotons un Pain Killer. C'est un jus indéfinissable, à base de rhum. Le col du verre est garni d'une barbe épaisse de mousse blanche tapissée de noix de muscade où barbote une de ces effroyables cerises confites. En fait, ce breuvage possède toutes les caractéristiques de l'étrangeté culinaire anglo-saxonne. A consommer, sans se forcer, avec modération... A côté de nous, un guitariste attend son tour. Il engage la conversation. Dès ses premières phrases, je m'étonne. Je le comprends à merveille! Il me rassure tout de suite! Il me dit en anglais :
- Moi non plus je ne comprends pas bien les gens d'ici!
- Tu te fiches de moi! Toi, tu es anglophone.
- Oui, mais je viens de Montserrat! me dit-il en marquant d'une expression fière tout ce que cela signifiait pour lui. J'ai mis près de trois ans à comprendre ce qu'ils me disaient ici. Nous là-bas, nous apprenons l'anglais, le vrai. Ici, ils parlent vite. En plus, ils mélangent l'accent créole à ce qu'ils pensent être l'accent américain. Ils se comportent comme s'ils parlaient l'anglais universel. Et puis, crois-moi... Ils se vexent si on ne les comprend pas.

Je me sens rassurée, en effet. Ce gars nous parle pendant un long moment. Il nous décrit Montserrat qui est juste au nord de la Guadeloupe. Il a dû quitter son île au moment où le volcan a commencé à se fâcher. Il habitait Plymouth. Il a été évacué par les Britanniques. Il s'est retrouvé à Londres, mais il ne s'est jamais acclimaté au "fog" ambiant. Alors, il a voulu retourner sur son île. Mais sa maison était complètement engloutie sous la cendre. Il s'est procuré un tout petit bateau. Il a navigué jusqu'ici, où il a trouvé ce job de guitariste au Foxy's bar. C'est à lui de jouer à présent. Nous l'écoutons, songeurs...

Ces îles sont belles, mais qu'elles peuvent être cruelles!

Un peu plus tard, nous voyons débarquer toute la famille texane. Vous vous souvenez? ...Celle qui aime tant les récifs ... Le capitaine, sans doute lassé de faire chanter son mât, demande s'il peut emprunter la guitare de notre nouvel ami. Celui-ci accepte. L'ambiance devient texane. Tout le monde tape dans les mains avec entrain. Des refrains incompréhensibles fédèrent le public. Ils sont repris à l'unisson tandis que la lune éclaire un hamac qui unit deux troncs de cocotiers. C'est ça le cocktail Foxy! Une rincée d'improvisation, un doigt de convivialité ajoutez-y une pincée d'espièglerie dans des vapeurs chaudes et épicées... Voilà les ingrédients de la réussite de ce bar unique en son genre!

Ne croyez pas que la notoriété de Jost Van Dyck se limite au seul Foxy's bar. Dès le lendemain, nous nous mettons en quête de ses autres facettes. White bay en est une. C'est une baie qui fait partie des zones rouges de la carte des loueurs. Nous ne sommes donc pas trop nombreux dans ce tout petit lagon desservi par deux passes mal balisées. L'eau est cristalline. Nous logeons sur un tapis d'émeraudes étincelantes. Sur la plage de petits lolos improvisent des restaurants sous les cocotiers. Un vrai décor de carte postale!

Nous laissons le bateau pour découvrir l'île à pied. En fait, il n'y a rien sur Jost Van Dyck... C'est une île de 6,4 kilomètres carrés. Cent cinquante habitants s'y sont tout de même installés. Cela fait peu de maisons, peu de voitures. Pas une ruine... Quelques sentiers de randonnées, larges comme des routes de camions, traversent les flancs des mornes. On peut y marche des heures sans rencontrer d'autres âmes que celles des lézards ou des pagures terrestres. Bien souvent, les chemins ne sont pas ombragés. Il faut donc se résoudre à progresser sous le soleil de plomb. Vous me demanderez donc:
"Mais pourquoi marcher dans de telles conditions?"

"Hé bien... Pour le panorama!"

Chaque sommet de morne offre une vue plongeante sur tout l'archipel. Là haut, on se croirait seul au monde. Comme dans un avion, nous survolons du regard les canaux inter-îles. De là-haut, l'affluence touristique paraît insignifiante. Je vous assure que cette seule image nous ravigote et nous incite à poursuivre notre visite des Vierges.

Alors... à bientôt!
Amitiés marines

Nat et Dom de "L'Etoile de Lune"


La photo du mois: "Un cargo pour dessert!


"N'oubliez pas votre brosse à dents!"


Il est des objets à usage quotidien que l'on jette, croyant que leur vie est finie. Sur un bateau beaucoup de ces objets trouvent une deuxième vie. Bon, OK, cette propension conservatrice peut nuire si elle tombe dans l'excès. Un bateau a une capacité de charge maximale à respecter. Cependant, ce n'est pas votre vieille brosse à dents qui va causer tout l'embonpoint de votre monture. Par contre, elle sert à de multiples usages parmi lesquels :
-nettoyage de cosses oxydées d'alternateur, ou de toute autre pièce mécanique qui se laissera gratouiller pour mieux fonctionner ensuite.
- nettoyage des recoins des réservoirs d'eau et de tout coffre difficilement accessible.
- récurage des soudures dans un bateau en aluminium
- elle se faufile dans les tuyaux pour leur donner une seconde jeunesse
- elle passe partout et retire les impuretés
- c'est elle que j'utilise pour appliquer la vaseline dans les replis des boiseries pour empêcher les craquements (voir mail 56)

La brosse à dents est le tout-terrain des endroits inaccessibles. Elle peut tout faire : nettoyer, gratter, sonder...

Alors..., n'oubliez pas votre brosse à dents!


Texte écrit par Nathalie Cathala et mis en page par Dominique Cathala en Mars 2007 - Tous droits réservés
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