Mail 55 - Janvier 2007
Nombres de milles parcourus : 8567 milles
Zone de navigation : Venezuela - Martinique

Zébulon est de retour...

"Il n'y a point de vents favorables pour celui qui ne sait pas en quel port se rendre" Montaigne


Remonter du Venezuela vers l'Arc Antillais est une hérésie nautique pour qui a l'ambition de faire le tour de la planète en suivant les alizés. En effet, un tour du monde s'imagine toujours porté par les vents. La remontée du Venez se fait contre vents et courants. Laborieux si l'on n'a pas le temps d'attendre de bonnes conditions... Il faut en effet choisir une fenêtre météo adaptée au mieux de ce que chaque bateau et chaque équipage sait faire. L'Etoile nous entraîne au fil des vents et des courants de Margarita à Testigos que nous découvrons sous un angle nouveau. Puis fièrement, elle quitte les côtes rassurantes et s'en va au large. Happée par La Montagne Pelée, elle rejoint son amour de toujours : la Martinique.

En fin de mail vous trouverez :
La photo du mois : Aventuriers du temps perdu...
Le quatrième épisode du feuilleton de l'eau : Une douche solaire.

Sur le site retrouvez des articles inédits dans la rubrique "Science Nat" : "Nuestros amigos los pelicanos",  les fous. Découvrez également quelques panoramiques et animations associées.


Bonjour à tous,

Station Gazoil mobileQuelques préparatifs et le plein de gazoil, puis nous quittons Porlamar sur l'île de Margarita par une belle journée annoncée par la météo. En fait, nous nous retrouvons contre vents et courants. L'Etoile et notre Capitaine détestent ça. Phare de PampatarDès la sortie de Porlamar, une houle cassante assujettit l'étrave et freine le bateau qui s'empêtre dans chaque vague. Le moteur gronde et le capitaine grogne. Nous voyons avec dépit une dizaine de bateaux nous doubler tout au long de 14 heures douloureuses de navigation... Si l'on peut appeler cela de la "navigation". Impossible de faire de la voile pure. Il faut impérativement appuyer les voiles au moteur. Le courant porte à l'ouest à plus de 2,5 noeuds. A ce rythme avec un vent de face de plus de 20 à 25 noeuds, à la voile pure, nous tirons des bords carrés et nous sommes déportés dans l'ouest. En fait, nous trouverions cela génial si nous allions à Panama. Mais ce n'est pas encore pour cette année!

"Patience, mon Etoile! Nous t'y mènerons. Mais pour le moment, nous te demandons de gagner dans l'Est et dans le Nord pour rejoindre ces chères îles des Antilles pour une dernière saison."

A la tombée de la nuit, nous sommes seuls en mer, des dauphins viennent nous encourager. Ils jouent à l'étrave et nous ouvrent la route vers les Testigos. Nous posons l'ancre, fourbus devant la plage de Chonchon. ChonChonC'est un vieux monsieur : la figure emblématique des Testigos. Tous les marins le connaissent. Au lendemain de notre arrivée, la petite troupe fidèle au maître des lieux organise la fête de la pleine lune... Impossible à l'équipage de L'Etoile de Lune de décliner l'invitation. Nous nous retrouvons, Marins et Vénézuéliens autour d'un feu sur la plage. Chacun a amené de quoi boire et manger. Et, une fois de plus je regrette de parler si mal espagnol... De grands sourires et le langage des signes feront l'affaire... Franchement, il faudra que je pense à sortir ma méthode en 90 leçons. En deux ans, le placard dans lequel elle est rangée doit être devenu drôlement érudit! Je pense même que lorsque je me déciderai enfin à l'en sortir (le bouquin), je lui demanderai (au placard) de me l'enseigner (l'espagnol)... Bref...

Au lendemain de la fête, impression bizarre... Non, non, pas à cause des vapeurs résiduelles de la veille, en fait, nous tanguons, nous roulons... La mer, le vent sont en pleine forme. Cela nous décide de changer d'horizon.

Idée géniale! Nous nous retrouvons amarrés à la bahaméenne aux pieds de "La Dune des Testigos". Pour vous, exceptionnellement, j'expliquerai ce type de mouillage. En général ça commence de manière plutôt classique. Un voilier arrive, il voit un petit coin sympa, il s'approche. Il jette l'ancre...Jusque là pas de complication. Il se rend compte que la colline sous laquelle il a mouillé occasionne des vents tourbillonnants qui le placent en travers de la vague, d'où roulis. Il décide donc de frapper une amarre à l'arrière. C'est là que ça se complique. Le capitaine sort la plus longue amarre qu'il trouve à bord. Cent cinquante mètres devraient suffire. Il amarre au bateau la bobine sur laquelle le bout est enroulé. Il met ses palmes. Et, il part fièrement à la nage vers la rive. Avant de se mettre à l'eau il a pris la précaution de dire à son équipière qu'elle doit maintenir l'arrière du bateau face à la rive en s'aidant du moteur. Et voici notre capitaine arrivé à la rive avec son bout en main... Il fait un superbe noeud de chaise autour d'un cocotier... Et... Il tire... Sauf que la bobine s'est complètement dévidée et que l'autre bout est à l'eau. Bon OK... On va la refaire... Non! Heureusement, Daniel, sympa arrive tel Zorro sur son annexe. Il saisit l'extrémité volage et enfin nous pouvons l'amarrer au bateau pour le tirer dans l'alignement de la vague... (Je devine que certains se sentent moins seuls après cet aveu...)

Sous "La Dune", nous sommes au paradis. Le mouillage est calme et le vent qui sévit au large ne nous atteint que par bouffées chaudes et enveloppantes. Il règne ici une ambiance rurale. Une essence de simplicité. Quelque chose de particulièrement paisible. Un délice! La colline est tapissée d'arbres qui abritent une multitude de passereaux qui s'égosillent. Des coqs chantent selon leur bon vouloir de 2 heures du matin à 7 heures. Des grillons grésillent au petit bonheur. De grands hérons blancs trouvent le repos dans cette verdure. Tableau idéal de couleurs qui tranchent. Des biquettes appellent leur mère et jouent les acrobates à flan de colline. L'eau est translucide. A plus de 10 mètres on voit du haut du pont chaque détail des fonds sous-marins. Le soir des lucioles illuminent les arbres de la collines : de véritables sapins de Noël!

Un jour de grand courage, nous décidons de grimper en haut de la dune. Un ravissement! Une grimpette où les pieds attaquent, dans du sable mou, un angle de plus de 45 degrés. Autant dire que nous produisons beaucoup d'efforts pour nous enfoncer dans le sable et progresser avec lenteur vers le sommet, qui n'est pas trop haut, rassurez-vous. Mais là-haut, quelle récompense! Vue imprenable sur tout l'archipel et au-delà de l'horizon. Les dunes sont tapissées de cactus et de mancenilliers. Attentions! Cet arbre est toxique. Il ne faut pas toucher ses fruits, ni son écorce, ni ses feuilles. La sève provoque des brûlures. Cependant, ces arbres si dangereux pour l'homme se laissent apprivoisés par les alizés. Cette dune ressemble à un jardin paysager organisé à la française. On se figure qu'un jardinier vient chaque jour tailler des haies gigantesques, pas un brin ne dépasse. En fait, les vents taillent des arrondis et sculptent la végétation de main de maître. Le contraste entre le vert profond de la végétation et le blanc éclatant du sable est un régal pour les yeux. La nature possède un génie artistique inégalable!

Le Cap inspiré par les biquettes qui le narguent du haut de la colline entreprend d'y grimper. Nous nous retrouvons face à une rocaille naturelle où l'alternance d'énormes blocs rocheux, de cactus et d'épineux promettent une ascension douloureuse. Qu'importe, Dom est accroc des panoramas dominants. Là-haut nous sommes subjugués! Vue imprenable sur l'horizon. Un caméléon nous accueille et pose complaisamment pour notre objectif curieux. Un arbre chante et piaille tant qu'il peut... C'est le paradis des oiseaux. De là-haut nous photographions notre Etoile bien sagement ficelée à la bahaméenne. Curieux ces marins... Dès qu'ils sont à terre, ils ne pensent qu'à une chose : monter le plus haut possible pour photographier quoi??? Leur bateau!!! Incorrigibles!

Aux pieds de la dune, sur la plage immaculée, l'écume des rouleaux s'ébat sans relâche. Nous découvrons les traces de tortues venues pondre pendant la nuit. Malheureusement, nous ne pourrons attendre 90 jours pour voir sortir les bébés tortues. Nos regards se détournent et se portent à l'horizon. Nous réalisons tout à coup qu'il ne gondole plus. Nous l'observons mieux... Oui, la grosse écume blanche qui faisait recourber chaque vague depuis plusieurs jours est quasi inexistante. Sur l'horizon, en grosses lettres indigo, je lis ce message : "VIENS!" J'hallucine, les sirènes m'appellent... Je dis à mon Cap :
"Quand on voit la mer dans cet état là, on se demande franchement pourquoi on n'est pas dessus..."

Traces de ponte d'une tortueCa y est Zébulon est sorti de sa boîte! Vous vous souvenez de ce personnage de dessin animé qui bondissait sur ressorts aux côtés de Polux? Paul, le capitaine d'un bateau ami m'a surnommé, Dieu seul sait pourquoi (???), comme cet animal impétueux... Hum, hum. En rentrant au bateau je consulte la météo. Cela fait des jours que je la lorgne en quête d'une ouverture pour partir vers le Nord-Est. Rien ne s'annonçait de bon. Une onde tropicale paraissait nous narguer. Des vents prévus, trop forts, trop Nord et trop Est!!!. Rien franchement d'alléchant. Pourtant, la vue de cet horizon calme ne me quitte plus. Je le sens, c'est là, c'est maintenant! Je trépigne. Je fais des requêtes météo auprès du NHC, la grande instance américaine du genre... Les cartes sont bonnes, l'onde a disparu, comme par enchantement. Les vents faiblissent. Aucune raison de rester! Le Cap, lui, ne voit aucune raison de se précipiter! En fait, il aimerait faire une seconde randonnée. Il y a un phare qui domine l'île. Et... Non, non, non!!! Une fenêtre météo lorsqu'elle s'ouvre, c'est une chance à prendre, car elle peut, à n'importe quel moment, décider de se refermer! Tergiversations... Négociations. Capitulation. Nous partons dès le lendemain matin. Nous ne sommes pas les seuls à lever l'ancre. Comme si la mer avait parlé à chaque marin du coin...

Sur ce type de navigation, chacun met au point sa stratégie. Chaque capitaine, seul maître après Dieu, évalue selon la météo donnée, les capacités du bateau et de l'équipage ce qui est possible de faire. Toutes les copains mettent le cap sur Grenade dans notre Nord-Est, bout au vent, ils bataillent au moteur contre les courants. Ceux qui possèdent un moteur puissant passent bien, les autres se découragent parfois.

Le Capitaine n'envisage rien d'autre que l'option voile. "Nous sommes sur un voilier, Nom de Nom"... (ça c'est le Cap qui parle!)

Seul un autre copain tente lui aussi le coup. Mais il se décourage dans la première journée et repart dans le rang des voileux mécaniques. Le courant est fort : 2 à 3 noeuds. Il nous entraîne à l'ouest. Le cap qu'il faudrait suivre pour aller en Martinique serait de 49 degrés. Nous parvenons au mieux à tenir le 33... Autant dire que nous partons dès le départ trop au Nord et que nous arriverions sans tirer de bord au mieux à Saint Martin. Tant pis, lorsqu'on choisit la mer, il faut sacrifier à ses propres volontés pour se soumettre à ce qu'elle veut faire de ses hôtes!

Nous vivons sur la tranche. C'est-à-dire que le plancher du bateau n'est pas vraiment plat, pas vraiment stable, pas franchement praticable pour une partie de Scrabble, de domino ou de cartes... Alors, pour nous occuper, nous jouons avec les voiles. Démarrage sur les chapeaux de roues, grand voile haute et génois complètement déroulé. Mer maniable, vent correct... Evidemment, à la nuit tombée, le vent fraîchit. La nuit! C'est toujours la nuit que ça le fait! On se débrouille quand même pour enrouler le génois et envoyer le foc avec un résidu de lumière du jour. On prend un ris, un deuxième ris. L'Etoile file à plus de 7 noeuds. Plaisir!

A partir de là, s'organise une chorégraphie dictée par les éléments. Le pilote automatique cède la barre au Capitaine. Qui, entre nous soit dit, manie beaucoup plus finement le bateau dans ce type de temps. Le Cap m'envoie en pied de mât avec une régularité de métronome. Nous comptons les milles qui s'allongent dans notre sillage au rythme des manoeuvres. Renvoyer grand voile. Affaler le foc. Renvoyer le génois. Virement de bord... Zut, c'est notre mauvais bord! Le bateau se comporte mal et il ne nous emmène guère à l'Est comme nous le désirons. Ce n'est pas bon! On va le refaire... Retour sur l'autre bord. Prise de ris. Rentrer génois. Envoi du foc. Renvoi grand voile. Renvoi du génois... Oui, je sais, pour les plus attentifs, dans le cas présent nous nous retrouvons avec trois voiles... Grand voile, génois, foc... On a essayé. Comme ça. Ben, ça ne marche pas bien du tout. L'air circule mal entre les deux voiles d'avant et au lieu d'avancer plus vite, cela nous handicape. Il faudrait une voile yankee pour cette figure de style là. On ne l'a pas! Donc, qui c'est qu'on envoie à l'avant pour affaler le foc??? Pom pom pom, là, là, là... Un petit tour sur le pont, ça dégourdit les gambettes. Une troupe de dauphins amusés par notre manège vient s'ébaudir à notre étrave. Visiblement, ils s'éclatent!

Le Capitaine vérifie notre position et le cap que nous visons. Nous n'allons plus à Saint Martin, bonne nouvelle! Nous visons la Guadeloupe... Je nous imagine déjà, arriver au beau milieu des festivités de la Course du Rhum.

Au bout de 50 heures à ce rythme, le vent nous abandonne lâchement! L'affreux, ce n'est pas mérité!!! Nous attendons voiles battantes au milieu de l'eau. Sans air, l'attente est étouffante. Nous sommes à 30 milles de La Montagne Pelée. Si nous continuons à attendre, le courant, même s'il est affaibli, va nous entraîner trop à l'ouest. Nous démarrons le moteur. Sans vent et sur une mer d'huile, notre Etoile marche à 6 noeuds. Waouh! Elle file! Comme si la Pelée nous avait lancé un filin de remorquage, celle-ci nous attire à elle. En cinq heures de moteur nous rallions Saint Pierre au Nord de la Martinique. Nous sommes satisfaits de nos performances. En 55 heures nous avons parcourus 230 milles à la voile et 30 milles au moteur. Ce qui donne une moyenne de 4,7 noeuds. Bien sûr, à comparer avec le vainqueur de la course du rhum qui marche à 19,11 noeuds de moyenne et qui traverse l'Atlantique en 7 jours et 17 heures. Cela paraît risible. Car nous parcourrions, à notre rythme, le même trajet en 31 jours!!! Mais nous ne faisons pas la course. Nous trimbalons notre caravane sur les océans. Et que les régatiers se rassurent, nous demeurerons fiers et droits dans notre couloir à roulottes!

Cul de sac du Marin

Nous avons été heureux cette année au Venezuela. Et, nous sommes également heureux de retrouver ce petit bout de France tropicale qu'est la Martinique. Le bateau permet d'approcher une terre avec lenteur. La voir grossir sur l'horizon : quelle magie! Voir sa Majesté la Pelée dévoiler ses contours, sa végétation au rythme de notre avancée procure un bonheur délectable (pléonasme révélateur!). Avec elle, nous retrouvons la dimension du relief. Peu à peu les odeurs, les couleurs se révèlent. Chose exceptionnelle, le mouillage est tranquille, pas de roulis, pas de tangage... Rien, plus de mouvements. Notre Etoile se pose aux pieds de la Pelée, au creux de cette bonne ville de Saint Pierre qui nous accueille.
Merci pour tout!

Amitié marine
Nat et Dom de L'Etoile de Lune


La photo du mois: "Capitaines explorateurs du temps perdu"
Dom et J-Nono de Balade aux Testigos


Quatrième épisode : Une douche solaire

Toujours dans le cadre de l'économie de l'eau, nous avons installé sous le portique une douche solaire. C'est une poche en plastique qui contient 15 litres d'eau. Celle-ci devrait suffire à 4 voire 5 douches. La poche est transparente, ce qui permet de visualiser la consommation à tout moment. Pour utiliser moins d'eau, nous nous savonnons à l'eau de mer, cheveux y compris. Rien de tel qu'un bain à une température comprise entre 26 et 29 degrés. Une salle de bain immense où nous invitent les petits poissons... Pour les plus gros : attendez que nous soyons revenus sur la plage arrière de l'Etoile, où nous nous rincerons à l'eau douce que le soleil aura réchauffé tout au long de la journée.


Texte écrit par Nathalie Cathala et mis en page par Dominique Cathala en Décembre 2006 - Tous droits réservés Pour toute utilisation de cette article ou des photos contactez-nous à l'adresse suivante : etoile-de-lune@wanadoo.fr
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