"Cette idée
que notre monde serait constitué pour la plus grande
part d’objets laids et d’endroits laids, tandis
que les objets et endroits doués de beauté seraient
des plus rares et difficiles à rencontrer, je n’arrive
pas à la trouver très excitante. Il me semble
que l’Occident, à perdre cette idée, ne
ferait pas une grande perte." JEAN DUBUFFET
Nous levons l’ancre de
Mochima en compagnie de nos amis, l’équipage
de Mangaia. Nous rallions, ensemble, l’île de
Tortuga. Puis, nous faisons escale à Puerto la Cruz.
Nous logeons dans une marina surchauffée au sein d’une
mégapole témoin des injustices de ce pays. Nous
y restons 19 jours, c’est long ! Nous partons de Puerto
la Cruz en flottille, mais très vite, L’Etoile
de Lune joue les dissidents et reprend la mer, seule. Une
navigation musclée, dans des alizés bien réveillés,
nous mène à Porlamar où nous faisons
notre sortie officielle du Venezuela. Nous y rencontrons une
petite fille, qui sera porteuse d’un message d’espoir
pour ce pays que nous quittons.
Bonjour à tous,
A Mochima,
nos amis du bateau Mangaia viennent nous rejoindre. Une envie
commune nous anime : aller nous baigner ! Nous n’en
avons pas été privés pendant ces derniers
mois, mais les eaux des mouillages du continent sont glauques,
souvent d’un vert opaque. Il n’y a pas de danger
à s’y baigner, mais comme piscine, il y a mieux
! Du moins, nous l’espérons...
A
quelques cinquante milles au Nord, nous trouvons Tortuga.
Tous les "anciens " du Venez nous en parlaient comme
une escale à ne pas manquer ! Pourtant, l’île
ne présente pas un intérêt exceptionnel.
Plate, orientée d’Est en Ouest, les mouillages
sont parfois rouleurs, infestés de moustiques et l’île
manque singulièrement de reliefs et de cocotiers !
Peu importe, le Cap, pour donner de la perspective aux photos,
monte au mât ! Pour photographier quoi ? Pardi, la couleur
de l’eau ! Elle décline ces teintes si particulières
qui animent les discussions des cockpits pendant des heures.
Les marins n’ont-ils rien d’autre à faire
? Bien si ! Nos amis viennent nous chercher pour une plongée
en apnée. Sur le chemin, étoiles de mer et lambis
parsèment les fonds. En approchant du récif
la faune devient plus dense. Et c’est un régal
pour les yeux. Les petits et gros poissons sont tous là
et vivent tranquillement pendant que nous flottons au-dessus
d’eux...
Pendant la saison des cyclones, de
nombreux bateaux français se réunissent à
Tortuga. Ils s’organisent en petits comités de
pêcheurs, de joueurs de boule, d’apéro
dînatoire, de balades sur la plage... Il règne
à Tortuga une ambiance de vacances bien sympathique.
Après plusieurs jours de farniente, une méchante
houle de Nord-Est nous chasse de tous les mouillages de Tortuga.
Nous reprenons notre route vers le Sud, et partons pour Puerto
la Cruz. (PLC)
Comment décrire PLC ?
Il était une fois, une mangrove très profonde.
Elle renfermait de nombreux méandres qui formaient
autant d’abris contre la houle et le vent du large.
Un refuge idéal pour marin en quête d’eaux
calmes. Toute la mangrove avait été choisie
par la faune aquatique pour s’y reproduire. Au passage,
les oiseaux venaient y cueillir leur dîme. Un jour l’homme
passa par-là. Il imagina ce qu’il pouvait faire
de cet endroit. Instantanément des immeubles poussèrent
et la mangrove recula.
Le jour où nous pénétrons
dans le couloir balisé de béton de l’ancienne
mangrove, une nappe de gasoil s’étend sous notre
coque en guise de tapis de bienvenue. Les habitués
nous expliquerons plus tard, qu’un contrebandier en
carburants, avait balancé à l’eau toute
sa cargaison en voyant les autorités approcher de son
bateau... A
l’Est de l’entrée principale, une première
marina abrite des bateaux derrière un môle de
pierres. N’y risquez pas votre étrave avec un
bateau battant pavillon français, vous auriez à
rebrousser chemin. Les Américains ont fait de ce cite
une extension de leur territoire, leur fief en quelque sorte.
Nous poursuivons donc notre route vers l’intérieur
du port. Cette deuxième entrée se présente
comme un long couloir, dont chaque côté est tapissé
par des quais de béton. A bâbord, même
punition qu’à l’entrée on n’accepte
pas les Français. C’est une manie ??? Il n’y
a sans doute absolument rien à comprendre ...
Nous nous faufilons donc dans une place,
du côté qui accepte notre pavillon tricolore.
Cette marina se nomme Amerigo Vespucio. Ce côté
a été rendu agréable par l’initiative
des premiers marins qui sont passés par-là.
Ils ont planté des cocotiers, des hibiscus, des raisiniers,
qui aujourd’hui sont de taille à prodiguer une
ombre salutaire aux bateaux qui séjournent là.
Ceci dit, cet éventail de végétation
cache également les barreaux, les barrières
et les fils barbelés qui nous séparent des premières
habitations en bordure de marina. Qui protège-t-on,
et de quoi ???
En nous enfonçant toujours plus
loin dans la mangrove, nous découvrons une cité
lacustre inspirée de Port Grimaud. Le style hispanisant
présente de jolis balcons andalous qui se répondent
de façade en façade, les teintes joyeuses et
harmonieuses égayent l’ensemble, des bateaux
amarrés aux quais particuliers attendent leur sortie
hebdomadaire... C’est charmant...
Plus
loin, au cœur même de l’ancienne mangrove,
un palace au luxe tapageur accueille parfois le président
bolivarien, Monsieur Chavez. Ces jours-là, Puerto la
Cruz est transformé en camp retranché, sous
haute surveillance. Puis, au-delà de ce luxe, la démesure
! Des maisons "hollywoodiennes " ! Peu importe le
raffinement de l’architecture, pourvu que l’exubérance
et l’étalage de la richesse y soient. C’est
inouï, ce qu’ils aiment les colonnades, les cascades,
les sculptures criardes. Nous sommes au royaume du tape-à-l'œil!
Là aussi, les propriétés se finissent
par un quai où sont amarrés plusieurs yachts
aux normes des demeures qu’ils honorent. La promenade
s’achève par la visite du centre commercial de
Plaza Major. Ces galeries marchandes arborent un faste inégalé
dans nos villes européennes. Petit conseil judicieux,
si un jour il vous vient l’idée de faire du lèche-vitrines,
surtout pensez à prendre un pull ! Au Venez, on ne
climatise pas le client, on le congèle ! Votre regard,
repu d’étalages de chaussures, de vêtements,
de bijoux, se détournera finalement, et vous rentrerez
au bateau. Sur le chemin, vous croiserez la barge qui fait
traverser, d’une rive à l’autre, les habitants
des barios (quartiers pauvres). A ce moment là, l’écart
des ressources entre les habitants d’un même pays
est si flagrant qu’il paraît incompréhensible,
injuste et cynique... Comment un pays recelant tant de richesses
naturelles ne parvient-il pas à enrayer une telle pauvreté
? Oligarchie ??? Ce mot contient peut-être une bribe
de réponse...
Les marinas sont l’occasion de
se retrouver entre marins. Nous croisons des équipages
que nous n’avions plus vus depuis les Canaries ou Port
Camargue. Dès que les salutations sont passées,
un sujet commun anime les conversations de ceux qui ont choisi
Puerto la Cruz comme escale technique. Nous ne comptons plus
les déçus de cet Eldorado-de-la Plaisance-Promis.
Ils parlent tous le même langage : Pièces introuvables,
services désastreux, qualification douteuse des techniciens,
horaires aléatoires, finissions en perpétuel
devenir, délais de retard, coûts élevés
et en constante augmentation... Nous avons hâte de quitter
cette ambiance ainsi que la population féconde de moustiques
et de rongeurs prolifiques.
Echaudés par notre expérience
du mois de septembre (voir mail 41), nous décidons
de partir en "petit comité ". Ainsi, à
la sortie de PLC, l’Etoile de Lune se joint à
une petite troupe de voiliers. Dès la sortie du port,
le capitaine et son Etoile s’ébrouent dans la
vague et l’alizé. Plaisir de courte durée...
Le chef de file de la "flottille " décide
de faire escale à 5 milles de là : Chimana secunda.
C’est joli, dans son genre, mais franchement, nous sentons
que L’Etoile de Lune trépigne, le capitaine reste
sur sa faim. Nous n’allons pas nous éterniser
à regarder passer, dans le chenal qui nous sépare
du continent, les cargos et les "Con Ferry " (nom
de la compagnie maritime, je ne me permettrais pas...). Nous
saluons donc nos compagnons de route et EDL part, en dissident,
vers le Nord.
Les alizés sont au rendez-vous
! Cette navigation n’est jamais une partie de plaisir,
il faut négocier des vents et des courants contraires.
Si d’aventure, vous trouviez des vents favorables sur
ce parcours, dès votre arrivée courez chez le
buraliste le plus proche, prenez un billet de loterie, c’est
votre jour de chance !!! La plupart des équipages décident
de subir au moteur ces soixante milles fastidieux. Pour les
voileux, le sort en est jeté : Ils tireront des bords
carrés et mettront 24 heures pour couvrir une navigation
qui au portant aurait pris 12 heures à peine... A l’arrivée,
l’équipage arrive vanné, et mieux vaut
se taire dans le cockpit, plutôt que de s’aboyer
dessus en raison d’une humeur aux relents de marée
descendante.
Nous effectuons rapidement nos formalités
de sortie du Venezuela. Porlamar,
vous le savez déjà, est une escale alimentaire
et douanière, où l’Etoile de Lune n’aime
pas s’éterniser. Pourtant, même dans les
endroits les moins attrayants, il y a toujours une note, une
touche de joie. Cette petite lumière se manifeste à
nous sous les traits d’une petite fille.
La veille de notre départ, nous
faisons quelques pas sur la plage. Une petite fille a les
yeux pleins de larmes, un gros chagrin anime sa petite frimousse.
Je la regarde et je lui fais quelques grimaces. Aussitôt
elle me tend les bras. Nous nous attablons dans une posada
du bord de mer, je la prends sur mes genoux. Je ne parle pas
espagnol. Ou uniquement sous la torture : aïe, aïe,
aïe ! Ce petit bout de fille, l’avenir du Venez,
semble pourtant comprendre mes intentions. Un sourire illumine
son visage. Nous la divertissons en construisant des avions
de serviettes en papier. Ils ne décollent pas comme
il le faudrait. A l’image du Venez qui a tant à
offrir et tant à faire encore. Le pays possède
des ressources inestimables en matières premières.
Il détient tous les atouts pour décoller fier
et droit. Il doit trouver la juste mesure, la compréhension
de ce qu’il convient de faire pour expérimenter
les possibilités de ce 21ième siècle.
Ses
dirigeants ont la volonté de rétablir l’équilibre
entre les différentes couches de la population. Et
si le Venez montrait l’exemple ? S’il trouvait
le chemin vers l’humanité et la justice. Utopie
?!? Le Venez est pourtant à la croisée des chemins.
Il peut sombrer dans plus de violence et plus d’irrespect
d’autrui. Mais il est à l’exact moment,
où pris d’une conscience visionnaire, il relèverait
la tête pour n’écouter que ces gens nombreux,
aux initiatives positives et tenaces qui jalonnent le pays.
Le pays s’envolerait dès lors vers une vie où
l’âme en paix n’a plus peur du lendemain.
La petite graine du Venez de demain
qui se tient aujourd’hui si gentiment sur mes genoux
parviendra-t-elle, en grandissant, à faire décoller
son avion en papier ?
Amitiés marines
L’Etoile de Lune
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