Aujourd'hui, le 10 décembre 2005 - Mail 43
Nombre de milles parcourus : 6736 milles
Zone de navigation : Venezuela

HASTA LUEGO...

"Cette idée que notre monde serait constitué pour la plus grande part d’objets laids et d’endroits laids, tandis que les objets et endroits doués de beauté seraient des plus rares et difficiles à rencontrer, je n’arrive pas à la trouver très excitante. Il me semble que l’Occident, à perdre cette idée, ne ferait pas une grande perte." JEAN DUBUFFET


Nous levons l’ancre de Mochima en compagnie de nos amis, l’équipage de Mangaia. Nous rallions, ensemble, l’île de Tortuga. Puis, nous faisons escale à Puerto la Cruz. Nous logeons dans une marina surchauffée au sein d’une mégapole témoin des injustices de ce pays. Nous y restons 19 jours, c’est long ! Nous partons de Puerto la Cruz en flottille, mais très vite, L’Etoile de Lune joue les dissidents et reprend la mer, seule. Une navigation musclée, dans des alizés bien réveillés, nous mène à Porlamar où nous faisons notre sortie officielle du Venezuela. Nous y rencontrons une petite fille, qui sera porteuse d’un message d’espoir pour ce pays que nous quittons.


Bonjour à tous,

A Mochima, nos amis du bateau Mangaia viennent nous rejoindre. Une envie commune nous anime : aller nous baigner ! Nous n’en avons pas été privés pendant ces derniers mois, mais les eaux des mouillages du continent sont glauques, souvent d’un vert opaque. Il n’y a pas de danger à s’y baigner, mais comme piscine, il y a mieux ! Du moins, nous l’espérons...

A quelques cinquante milles au Nord, nous trouvons Tortuga. Tous les "anciens " du Venez nous en parlaient comme une escale à ne pas manquer ! Pourtant, l’île ne présente pas un intérêt exceptionnel. Plate, orientée d’Est en Ouest, les mouillages sont parfois rouleurs, infestés de moustiques et l’île manque singulièrement de reliefs et de cocotiers ! Peu importe, le Cap, pour donner de la perspective aux photos, monte au mât ! Pour photographier quoi ? Pardi, la couleur de l’eau ! Elle décline ces teintes si particulières qui animent les discussions des cockpits pendant des heures. Les marins n’ont-ils rien d’autre à faire ? Bien si ! Nos amis viennent nous chercher pour une plongée en apnée. Sur le chemin, étoiles de mer et lambis parsèment les fonds. En approchant du récif la faune devient plus dense. Et c’est un régal pour les yeux. Les petits et gros poissons sont tous là et vivent tranquillement pendant que nous flottons au-dessus d’eux...

Pendant la saison des cyclones, de nombreux bateaux français se réunissent à Tortuga. Ils s’organisent en petits comités de pêcheurs, de joueurs de boule, d’apéro dînatoire, de balades sur la plage... Il règne à Tortuga une ambiance de vacances bien sympathique. Après plusieurs jours de farniente, une méchante houle de Nord-Est nous chasse de tous les mouillages de Tortuga. Nous reprenons notre route vers le Sud, et partons pour Puerto la Cruz. (PLC)

Comment décrire PLC ?
Il était une fois, une mangrove très profonde. Elle renfermait de nombreux méandres qui formaient autant d’abris contre la houle et le vent du large. Un refuge idéal pour marin en quête d’eaux calmes. Toute la mangrove avait été choisie par la faune aquatique pour s’y reproduire. Au passage, les oiseaux venaient y cueillir leur dîme. Un jour l’homme passa par-là. Il imagina ce qu’il pouvait faire de cet endroit. Instantanément des immeubles poussèrent et la mangrove recula.

Le jour où nous pénétrons dans le couloir balisé de béton de l’ancienne mangrove, une nappe de gasoil s’étend sous notre coque en guise de tapis de bienvenue. Les habitués nous expliquerons plus tard, qu’un contrebandier en carburants, avait balancé à l’eau toute sa cargaison en voyant les autorités approcher de son bateau... A l’Est de l’entrée principale, une première marina abrite des bateaux derrière un môle de pierres. N’y risquez pas votre étrave avec un bateau battant pavillon français, vous auriez à rebrousser chemin. Les Américains ont fait de ce cite une extension de leur territoire, leur fief en quelque sorte. Nous poursuivons donc notre route vers l’intérieur du port. Cette deuxième entrée se présente comme un long couloir, dont chaque côté est tapissé par des quais de béton. A bâbord, même punition qu’à l’entrée on n’accepte pas les Français. C’est une manie ??? Il n’y a sans doute absolument rien à comprendre ...

Nous nous faufilons donc dans une place, du côté qui accepte notre pavillon tricolore. Cette marina se nomme Amerigo Vespucio. Ce côté a été rendu agréable par l’initiative des premiers marins qui sont passés par-là. Ils ont planté des cocotiers, des hibiscus, des raisiniers, qui aujourd’hui sont de taille à prodiguer une ombre salutaire aux bateaux qui séjournent là. Ceci dit, cet éventail de végétation cache également les barreaux, les barrières et les fils barbelés qui nous séparent des premières habitations en bordure de marina. Qui protège-t-on, et de quoi ???

En nous enfonçant toujours plus loin dans la mangrove, nous découvrons une cité lacustre inspirée de Port Grimaud. Le style hispanisant présente de jolis balcons andalous qui se répondent de façade en façade, les teintes joyeuses et harmonieuses égayent l’ensemble, des bateaux amarrés aux quais particuliers attendent leur sortie hebdomadaire... C’est charmant...

Plus loin, au cœur même de l’ancienne mangrove, un palace au luxe tapageur accueille parfois le président bolivarien, Monsieur Chavez. Ces jours-là, Puerto la Cruz est transformé en camp retranché, sous haute surveillance. Puis, au-delà de ce luxe, la démesure ! Des maisons "hollywoodiennes " ! Peu importe le raffinement de l’architecture, pourvu que l’exubérance et l’étalage de la richesse y soient. C’est inouï, ce qu’ils aiment les colonnades, les cascades, les sculptures criardes. Nous sommes au royaume du tape-à-l'œil! Là aussi, les propriétés se finissent par un quai où sont amarrés plusieurs yachts aux normes des demeures qu’ils honorent. La promenade s’achève par la visite du centre commercial de Plaza Major. Ces galeries marchandes arborent un faste inégalé dans nos villes européennes. Petit conseil judicieux, si un jour il vous vient l’idée de faire du lèche-vitrines, surtout pensez à prendre un pull ! Au Venez, on ne climatise pas le client, on le congèle ! Votre regard, repu d’étalages de chaussures, de vêtements, de bijoux, se détournera finalement, et vous rentrerez au bateau. Sur le chemin, vous croiserez la barge qui fait traverser, d’une rive à l’autre, les habitants des barios (quartiers pauvres). A ce moment là, l’écart des ressources entre les habitants d’un même pays est si flagrant qu’il paraît incompréhensible, injuste et cynique... Comment un pays recelant tant de richesses naturelles ne parvient-il pas à enrayer une telle pauvreté ? Oligarchie ??? Ce mot contient peut-être une bribe de réponse...

Les marinas sont l’occasion de se retrouver entre marins. Nous croisons des équipages que nous n’avions plus vus depuis les Canaries ou Port Camargue. Dès que les salutations sont passées, un sujet commun anime les conversations de ceux qui ont choisi Puerto la Cruz comme escale technique. Nous ne comptons plus les déçus de cet Eldorado-de-la Plaisance-Promis. Ils parlent tous le même langage : Pièces introuvables, services désastreux, qualification douteuse des techniciens, horaires aléatoires, finissions en perpétuel devenir, délais de retard, coûts élevés et en constante augmentation... Nous avons hâte de quitter cette ambiance ainsi que la population féconde de moustiques et de rongeurs prolifiques.

Echaudés par notre expérience du mois de septembre (voir mail 41), nous décidons de partir en "petit comité ". Ainsi, à la sortie de PLC, l’Etoile de Lune se joint à une petite troupe de voiliers. Dès la sortie du port, le capitaine et son Etoile s’ébrouent dans la vague et l’alizé. Plaisir de courte durée... Le chef de file de la "flottille " décide de faire escale à 5 milles de là : Chimana secunda. C’est joli, dans son genre, mais franchement, nous sentons que L’Etoile de Lune trépigne, le capitaine reste sur sa faim. Nous n’allons pas nous éterniser à regarder passer, dans le chenal qui nous sépare du continent, les cargos et les "Con Ferry " (nom de la compagnie maritime, je ne me permettrais pas...). Nous saluons donc nos compagnons de route et EDL part, en dissident, vers le Nord.

Les alizés sont au rendez-vous ! Cette navigation n’est jamais une partie de plaisir, il faut négocier des vents et des courants contraires. Si d’aventure, vous trouviez des vents favorables sur ce parcours, dès votre arrivée courez chez le buraliste le plus proche, prenez un billet de loterie, c’est votre jour de chance !!! La plupart des équipages décident de subir au moteur ces soixante milles fastidieux. Pour les voileux, le sort en est jeté : Ils tireront des bords carrés et mettront 24 heures pour couvrir une navigation qui au portant aurait pris 12 heures à peine... A l’arrivée, l’équipage arrive vanné, et mieux vaut se taire dans le cockpit, plutôt que de s’aboyer dessus en raison d’une humeur aux relents de marée descendante.

Nous effectuons rapidement nos formalités de sortie du Venezuela. Porlamar, vous le savez déjà, est une escale alimentaire et douanière, où l’Etoile de Lune n’aime pas s’éterniser. Pourtant, même dans les endroits les moins attrayants, il y a toujours une note, une touche de joie. Cette petite lumière se manifeste à nous sous les traits d’une petite fille.

La veille de notre départ, nous faisons quelques pas sur la plage. Une petite fille a les yeux pleins de larmes, un gros chagrin anime sa petite frimousse. Je la regarde et je lui fais quelques grimaces. Aussitôt elle me tend les bras. Nous nous attablons dans une posada du bord de mer, je la prends sur mes genoux. Je ne parle pas espagnol. Ou uniquement sous la torture : aïe, aïe, aïe ! Ce petit bout de fille, l’avenir du Venez, semble pourtant comprendre mes intentions. Un sourire illumine son visage. Nous la divertissons en construisant des avions de serviettes en papier. Ils ne décollent pas comme il le faudrait. A l’image du Venez qui a tant à offrir et tant à faire encore. Le pays possède des ressources inestimables en matières premières. Il détient tous les atouts pour décoller fier et droit. Il doit trouver la juste mesure, la compréhension de ce qu’il convient de faire pour expérimenter les possibilités de ce 21ième siècle. Ses dirigeants ont la volonté de rétablir l’équilibre entre les différentes couches de la population. Et si le Venez montrait l’exemple ? S’il trouvait le chemin vers l’humanité et la justice. Utopie ?!? Le Venez est pourtant à la croisée des chemins. Il peut sombrer dans plus de violence et plus d’irrespect d’autrui. Mais il est à l’exact moment, où pris d’une conscience visionnaire, il relèverait la tête pour n’écouter que ces gens nombreux, aux initiatives positives et tenaces qui jalonnent le pays. Le pays s’envolerait dès lors vers une vie où l’âme en paix n’a plus peur du lendemain.

La petite graine du Venez de demain qui se tient aujourd’hui si gentiment sur mes genoux parviendra-t-elle, en grandissant, à faire décoller son avion en papier ?

 

Amitiés marines
L’Etoile de Lune

IMPORTANT: Si vous souhaitez répondre à ce mail, merci de ne pas nous retourner le message d'origine et d'utiliser de préférence notre adresse suivante: etoile-de-lune@wanadoo.fr

Si vous ne souhaitez plus recevoir ces messages périodiques, merci de vous désinscrire dans la rubrique "Nos Messages". Pensez par ailleurs à nous signaler vos éventuels changements d'adresse.
Bonne navigation à bord du site de l' Etoile de Lune