Lettre d'escale 101– écrite en mai 2012
Nombres de milles parcourus : 20 746 milles
Nombre de visiteurs sur le site : 827 000
Nombre de personnes inscrites à la lettre : 1143
Récit : traversée Bora-Wallis et séjour à Wallis
Timbre commémoratif de l'arrivée de Wallis sur Uvea |
"Le roi Niuliki inquiet de la raréfaction de ses sujets qui disparaissaient en festins prit en 1830, l'initiative courageuse d'en interdire (…) la consommation"
Extrait des souvenirs du Résident David à Wallis et Futuna en 1933/1938
PROGRAMME DE NAVIGATION
Attente d'une ouverture météo pour départ sur Vanuatu puis direction Port Moresby (Papouasie Nouvelle-Guinée). Environ 2000 milles nautiques.
Rendez-vous quotidiens
Sur le Blog : voyage.nat-et-dom.fr/
Sur Facebook
Sur notre site internet : http://www.etoiledelune.net
Deux albums photo en musique sur Wallis :
EN FIN DE MESSAGE :
La photo du mois : Nos Saint-Bernards de Wallis...
La légende de la cérémonie du kava
Résumé
Cap à l'ouest à la tombée du jour |
En passant de la Polynésie vers la frontière de la Mélanésie, nous remontons le temps. Non seulement, parce que nous passons la ligne de changement de date, mais aussi, par l'aspect historique des deux TOM Pouce français que sont Wallis et Futuna. Toutes deux sont enchâssées dans une gangue d'us et de coutumes séculaires ou se mêlent un paganisme diffus et une ferveur catholique touchante. Nous assistons à l'incroyable conservation d'une mémoire ancestrale grâce à une fidélité solide à la tradition orale. Celle-ci a survécu pendant plus de 3000 ans. Creuser leur Histoire, c'est ouvrir nos âmes, trop dressées par l'occidentalisme, au plus profond dépaysement.
Nous vous emmenons au pays des descendants des navigateurs du Grand Sud, des guerriers cannibales, des conquérants acharnés, mais avant de pénétrer dans la passe de Honikulu, il vous faudra, comme nous, passer par une épreuve initiatique : la traversée de la zone de convergence du Pacifique Sud Ouest.
Bonjour,
1500 milles de navigation vers Wallis |
Pendant la traversée entre Bora Bora et Wallis le vent a revêtu toutes les composantes de sa rose préférée. Il est resté raisonnable en force et n'a pas dépassé 35 nœuds dans les rafales. Il nous a souvent laissés, voiles pantelantes dans une mer brouillon, où les vagues perdant leur sens de l'orientation se croisaient sous notre coque. Finalement ce qui nous a gênés le plus c'est la zone de convergence du Pacifique Sud. Elle engendre d'immenses nappes d'orages qu'il faut au pire traverser, au mieux contourner. Dans les zones orageuses, on s'attend à tout : forces et directions de vent aléatoires et spectacle pyrotechnique gratuit. Certains flashs nous ont rasé "les moustaches" de près. Je vous assure que dans ces moments, on tomberait presque à genou dans le carré pour prier tous les éléments de la nature de cesser de nous prendre à témoins de leurs sempiternelles querelles domestiques. Six jours, sept nuits d'orages, gros stress à bord, car chaque fois, nous pensons à l'électronique, et toutes ces aides à la navigation qu'une seconde de malversation orageuse pourrait anéantir.
Bref, un coup de foudre, oui, mais pas entre le ciel et notre Etoile !
Une fois de plus, la chance est avec nous, et nous nous présentons, notre Etoile et nous, au mieux de notre forme, au bout de treize jours de navigation face à la passe de Honikulu au sud du lagon de Wallis.
Arrivée à Wallis en compagnie des dauphins |
En jetant l'ancre, nous retrouvons un plancher aussi plat que du carrelage. Et nous réalisons que nous sommes « au bout de la Terre ». Nous sommes exactement à 180° de notre point de départ. Impossible d'aller plus loin, et Dom, dans son grand esprit cartésien me dit :
« A partir de maintenant nous cessons de nous éloigner, la prochaine nave nous nous rapprocherons ! ».
Cette observation nous plonge dans une réflexion sur notre voyage. Lorsque les gens nous parlent de notre navigation, ils disent souvent « votre tour du monde ». Pour être francs, nous n'avons jamais eu l'idée de faire un tour du monde, car cet itinéraire mènerait forcément notre étrave à revenir vers son port d'attache (qui porte trop bien son nom!). Cela me fait penser à une soustraction 1-1=0 ou 180°-180°= retour à la case départ. Il n'y a rien de plus triste que de faire autant de chemin pour rentrer chez soi.
Ne trouvez-vous pas ?
La passe de Wallis après 13 jours de navigation |
Dès la deuxième année de notre voyage, nous savions que nous ne voulions pas « rentrer ». Cette constatation au lieu de nous projeter en « mode retour » pour les prochaines navigations nous pose sur les rails d'une nouvelle quête, celle qui nous permettra d'assouvir le plus longtemps possible notre curiosité de notre belle planète.
Peut-être pour passer à une autre formule de voyage ?
Céder à l'appel de l'Asie...
Entrée dans le lagon de Wallis |
Nous ne sommes qu'au début de notre réflexion, et nous verrons où elle nous mènera.
En attendant, nous sommes à Wallis.
Escale désirée depuis l'Europe, cette île était pour nous le « must » du Pacifique. De fait, elle est légèrement décentrée par rapport aux grands sillages tracés par nos collègues marins. Seule une vingtaine de voiliers y font escale chaque année, nous sommes le troisième bateau à pénétrer dans la passe en 2012. Avant nous, un catamaran japonais est resté deux jours, et un équipage germano-norvégien fait du kite dans le nord du lagon. Une auberge accueillerait sur l'île quelques touristes par an. Assurément des « excentriques » vus que le seul moyen d'arriver ici est l'avion depuis Nouméa dont le billet coûte (au meilleur tarif!) pour 3h30 de vol la modique somme de 1000 euros. Autant dire que le tourisme n'est pas la manne qui fait vivre Wallis.
Retour au calme dans le lagon |
Une dizaine de dauphins accompagnent notre étrave vers la passe. J'adore les voir, et plus encore après une longue navigation désertique. Pendant treize jours nous n'avons rien vu, quelques oiseaux pélagiques, mais pas un dauphin, pas un poisson, pas même un bateau. Les dauphins marsouinent à l'étrave, j'entends leur souffle puissant. C'est signe de chance, signe de bienvenue, un signe de la vie qui nous dit :
« vas-y tu es sur le bon chemin ! »
L'océan, dans sa sombre livrée de mauvaise humeur chronique reste dehors.
Dès le franchissement de la passe, nous avons un sentiment de familiarité. Dom et moi, ensemble, nous disons : « ça me fait penser aux Perlas ». Oui, il y a la même ambiance. La sensation que l'homme y est discret. Uvea n'offre pas de relief auquel accrocher notre regard. Mais, par une extrême délicatesse des contours, elle repose nos corps passablement chahutés par l'océan.
Au mouillage sous le vent de l'île |
Depuis les hauteurs d'un îlot |
Avec la générosité qui le caractérise, il me confie les photos qu'il a faites en survolant Wallis, il est indéniable que les teintes du lagon sont exceptionnelles et qu'elles n'appartiennent qu'à lui.
Au cours de notre séjour et à la faveur d'accalmies climatiques, Michel, nous balade dans l'île et nous mène à toutes les curiosités qu'elle recèle. Le premier objet d'étonnement se fixe sur les nombreuses chapelles, églises et cathédrale qui égrainent les 3 communes de l'île.
L'un des nombreux édifices religieux |
Quelques pionniers échappèrent aux cannibales, et remplirent avec ferveur leur mission de convertir les « bons sauvages » en « fidèles catholiques ». Mais, tous succombèrent à la voracité des moustiques inoculant l'éléphantiasis.
Chapelle Ste xx |
Pourtant, si vous interrogez les Wallisiens d'aujourd'hui, personne ne vous parlera en ces termes de la religion catholique. Soyons sincères, et la moindre des choses est de transmettre leur sentiment. S'ils sont moins pratiquants aujourd'hui qu'autrefois, ils respectent « comme parole d'évangile » tous les exigences des prêtes. Pour preuve : la campagne wallisienne est un réservoir inépuisable de croix, de calvaires, d'oratoires et de chapelles. Chaque édifice est fleuri quotidiennement et orné de « manu » (paréo) coloré. Les chapelles sont toutes dédiées aux Saints Martyrs du Pacifique ou d'ailleurs. Car aux côtés de Saint Pierre de Chanel, nous trouvons Jeanne d'Arc (!)
Chapelle Ste Jeanne d'Arc |
Le plus stupéfiant de cette histoire est que chacun des 19 villages de l'île a bâti dans les mêmes conditions les églises et chapelles qui égrainent la campagne wallisienne. Et qu'elles n'ont été, en général, édifiées que pour un seul office par an.
Les nombreuses offrandes |
Pendant que les chants, très mélodieux s'échappent de la nef, les mouches jouent leur concert autour de la viande qui lentement se faisande au soleil. Après la messe, les chefs de villages se réunissent, assis sur des nattes en plein soleil, et têtes découvertes, autour de la cérémonie du kava.
Billets offerts aux danseuses |
Enfants en tenues de cérémonie |
Les Wallisiens s'offrent également des « siapo ». Ce sont également des nattes, celles-ci peuvent mesurer plus de 30 mètres de long. Le siapo n'est pas polychrome, mais teinté de couleurs de la terre et de dessins géométriques, il sert de linceul. Tout bon Wallisien garde précieusement chez lui, son siapo. Les rites de l'enterrement sont scrupuleusement respectés et organisés par les chefs de village. Sans leur accord la personne défunte ne sera pas enterrée. Pour avoir droit à une sépulture sur la terre wallisienne, il faut être Wallisien ou marié à un autochtone, sans quoi le corps est expédié vers sa terre d'origine. Le rapport à la terre, au foncier est ancré dans les mœurs. Toute personne étrangère ne pourra jamais posséder le moindre bout de terrain wallisien.
Offrandes d'une fête traditionnelle |
Après les funérailles de la jeune fille, les deux familles se sont réunies pendant plus d'une semaine. A l'issue de cérémonies de kava, et d'interminables palabres, la famille de la jeune fille a retiré sa plainte devant la justice, pour transformer la requête en homicide involontaire. La famille du jeune homme en dédommagement ou fakalelei a offert 95 cochons. L'affaire est close. La justice française ne suivra pas son cours.
Je vous laisse à votre stupéfaction, car ici, nous sommes bien loin de nos racines occidentales.
Le palais royal |
Préparation du Kava |
La société wallisienne reste très « machiste », puisque les femmes ne participent pas aux cérémonies principales. Lors des grands repas, elles ne viennent à table qu'après que les hommes ne soient rassasiés et ne la quittent. Ce sont des pratiques encore régulières au 21e siècle ! Elles remontent, ainsi que l'organisation politique et sociale de la société wallisienne, aux temps où des navigateurs hors pair affrontèrent l'océan à rebrousse-poil.
Wallis est un royaume en miniature vieux de 3000 ans.
Pirogue traditionnelle |
Les premières populations gardèrent un contact étroit avec leurs familles restées sur Tonga, Samoa, Fidji. Puis les rapports s'espacèrent, la population s'étoffa, et se divisa en plusieurs ensembles politiques autonomes régis par des chefferies. Apparurent, alors, des rivalités de territoire, des guerres intestines. Uvea évolua en vase clos pendant près de 2000 ans.
Autour de l'an mille apr. J.-C., les Tongiens exercèrent une politique expansionniste dans la région. Les Tu'i Tonga (roi tongien) se montrèrent de véritables Napoléons de l'Océanie, organisant des expéditions maritimes belliqueuses sur leurs voisins. Wallis succomba vers 1400 au régime des Tu'i Tonga. Ceux-ci construisirent des forts dignes de Vauban, dont l'exemple le plus représentatif est le Talie Tumu situé dans le sud de l'île. Aux dires des archéologues, ce fort est l'une des plus belles réalisations de la région des bâtisseurs tongiens
Paulaho 37ième Tu'i Tonga |
Le Talie Tumu fut édifié en 1450 par le 23e Tu'i Tonga du nom de Takalaua. Ce qui me fascine le plus dans l'Histoire tongienne associée à celle de Wallis, c'est la pérennisation de l'Histoire des dynasties. Aucune des nations d'Océanie ne possédait l'écriture avant que l'Européen ne vienne y mettre son grain de sel. Les scientifiques d'aujourd'hui ont pu établir une généalogie complète des rois des Tonga et de Wallis grâce à la tradition orale encore vivace aujourd'hui.
Des hauts faits de guerre, des pratiques sanglantes et cannibales, la naissance des chefs, leur mort, tout est consigné dans la mémoire des anciens, qui pour la plupart ne parlent encore que le wallisien. Cette fidélité se marie sans l'ombre d'une notion d'incongruité aux pratiques catholiques venues se greffer sur un fonctionnement hiérarchique bien établi. Pour que la « sauce » prenne, il a fallu bien évidemment convertir Lavelua (le roi de Wallis). Celui-ci officie dans son palais lilliputien jouxtant la monumentale cathédrale de Mata 'Utu.
Messe de la Sainte Jeanne d'Arc |
Lavelua est le gardien d'un ordre politique aristocratique très élaboré. Celui-ci est entièrement basé sur un système de chefferies institutionnalisées par la cérémonie du kava. Cette mixture, imbuvable pour le commun des Occidentaux est donc le lien inaltérable entre les chefs. Avec les palabres qui accompagnent la cérémonie, le kava est le ciment d'une tradition qui n'est pas prête de céder sa place au modernisme.
A plus, pour découvrir d'autres horizons
Nat et Dom
L'origine du kava et la mise en place de sa cérémonie par Lo'au est rapportée dans un mythe. Cette légende est représentative des us, coutumes et mœurs des îles Océanie avant l'arrivée des Missionnaires protestants et des prêtres catholiques qui ont bouleversé leur « art de vivre ».
Cérémonie du Kava |
En apprenant la nouvelle, Momi eut pitié du couple et ordonna de ne pas ouvrir le four, le transformant ainsi en sépulture. Le temps passa et deux plantes, l'une à la tête et l'autre aux pieds de la fille, sortirent de la terre du four. Un jour, les gens virent une souris grignoter la première plante, tituber, puis aller se nourrir de la deuxième plante et reprendre son équilibre. La première plante était le « kava » (Piper methysticum) et la seconde le « to » (canne à sucre : saccharum officinarum). Au même moment, Lo'au arriva sur l'île et apprenant la nouvelle, il conseilla de prendre ces plantes et de les offrir au Tu'i Tonga. Depuis ce jour, le kava devint une boisson cérémonielle et la canne à sucre fut mangée en même temps que le kava.
Traditions populaires |
Le Kava, plante arbustive
Le Kava fait partie de la famille des poivriers. Elle comporte de nombreuses racines utilisées dans la préparation du breuvage servant dans les cérémonies. La plante a été domestiquée en Malaisie et dans le nord des Vanuatu il y a près de 3000 ans. Elle s'est dispersée dans tout le Pacifique de la Micronésie, à Hawaï et au départ de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Selon les régions, les racines de kava sont écrasées, râpées ou mâchées puis malaxées à de l'eau avant d'être pressées pour en extraire un liquide de couleur terre à l'arôme poivré et anisé. Vingt minutes après l'ingestion du kava, celui-ci produit un « bien-être » physique et moral. Le nom latin transcrit ses propriétés : Pier Methysticum signifie poivre enivrant. Pourtant ses racines ne contiennent pas d'alcaloïde, et ne fermentent pas. La molécule responsable des effets de « bien-être » est la lactone.
bonjour (le matin) | malo te mauli | la vasque du kava | tano'a |
bonjour (l'après-midi) | malo te kataki | l'oratoire | fale fono |
au revoir (salut) | tata | l'assemblée | fono |
au revoir à la personne qui reste chez elle | nolofa | Sir (pour s'adresser au roi de Wallis) | Lavelua |
(s'ils sont plusieurs) | nonolofa | le roi | Hau |
au revoir à la personne qui s'en va | alula | premier ministre | kivalu |
(s'ils sont plusieurs) | olola | offrande | katoaga |
à demain | felave' ia pogi pogi | auge en pierre | kumete |
merci beaucoup | malo te ofa | ||
S'il te plaît | fakalelei si'ouloto | île, îlot | nuku |
océan | moana | ||
la terre | fenua | mer | tai |
la nouvelle terre | fenua fo'ou | l'homme de la mer | tamatai |
la mère | fa'e | dauphins | tutu'u |
le père | tamai | baleine | tu'a puli (le dos qui crache) |
l'étranger blanc | papalani | le tonnerre | mana |
France | Falani | ||
arbre à pain | mei | ||
maison | fale | banane (fruit) | siaina |
zone d'habitation | Pae Pae | banane fruit (petite acidulée) | sotuma |
paréo | manu | banane légume (gros) | hopa |
pirogue | vaka | banane légume (moyen) | pukaka |
homme | tagata | Papaye | leosi |
femme | fafine | carambole | vinica |
noble | eiki | ||
roturier | tu'a |
Pour comprendre 101 mots Le Pacifique aux éditions île de Lumière
Wallis et Futuna Philippe Godard
Uvea Christophe Sand
« la préhistoire de Wallis, île de Polynésie occidentale »
Des archéologues des conquérants et des forts »
Talietumu, résidence tongienne d'Uva
Daniel Frinigacci et Maurice Hardy
Nos Saint-Bernards de Wallis...
Un énorme merci à Michel, Emilien et Anaïs pour leur accueil. Leur gentillesse a teinté notre escale à Wallis d'une note inoubliable.