Pourquoi partir en effet ?

Alors là... La question mérite d'être posée. Pourquoi larguer les amarres, alors qu'on peut se coller devant la télé, recevoir par satellite des images du monde entier, et voyager dans son fauteuil? Pourquoi, au vingt et unième siècle, partir à bord d’un moyen aussi archaïque que ceux utilisés par Joshua Slocum, Moitessier, ou Gerbault, pour aller voir le monde?
Bonne question.
Avez-vous déjà ressenti ça : vous regardez une photo, et une seule chose occupe votre esprit "s'y plonger à corps perdu"?
Chaque fois que nous croisons l'image d'un bateau toutes voiles dehors longeant une barrière de corail nos sens s'arrachent de la réalité. Tout à coup, l'air se charge de chaleur; sur nos joues l'alizé; dans nos cheveux le soleil; sur notre peau des cristaux de sel. Le sol a disparu, nos corps vidés de leur intégrité se fondent dans le roulis des allures portantes. Le bateau glisse, la vie roule au fil de l'eau et de ses humeurs. Le vent devient notre seul impératif. L'autarcie est notre seul guide. Finie la suprématie du tout-venant à portée de main ! Aboli le confort qui apparaît par simple clic ! Même le temps s’égraine différemment. L'heure n'existe plus que pour régler des quarts enrobés par trois cent soixante degrés d'horizon. Nous nous sommes évadés de l’autocratie du métro-boulot-dodo. Ici, au milieu de l’eau les contingences administratives ne nous atteignent pas. Elles nous rattraperont lors de notre prochain passage à terre. Mais en attendant, les jours s'écoulent comme un fleuve qui n'a rien de tranquille car la météo se charge d'y apporter le remous qui chassent toute monotonie. Pendant des jours, des semaines, le seul but de l'entreprise est d'aller voir là-bas au bout de l'horizon si la mer est aussi belle qu'ici. Sur les cartes marines, une route, "NOTRE route" se dessine et nous rapproche d'un autre continent, d'une île à découvrir. Les milles s'allongent dans le sillage et la terre approche petit à petit. Les sensations deviennent plus douces, nous jetons l'ancre. Le bateau prend ses quartiers sur une eau translucide. Il accorde ses formes en parfaite harmonie avec les tons émeraudes du lagon. Les voiles se rangent, les écoutent se lovent, le bateau s’installe. Les bruits se sont tus... ou presque. La vie se calme, s'arrête et la liberté est là chaque matin au réveil. Voilà l'effet que produit sur nous une simple carte postale envoyée par une copine qui revient de Tahiti. Voilà pourquoi, nous troquons la vie occidentale bien rangée de cadre dynamique, aux responsabilités toujours plus envahissantes dans une vie accomplie. Voilà pourquoi, nous traversons des océans, à vivre si proches des éléments que nos vies mêmes en dépendent. Voilà pourquoi, nous larguons les amarres à bord du moyen de transport le plus lent et le plus inconfortable mais, à la fois, le plus merveilleux et le plus endurant qui soit.

En conclusion de cette page, la Pitaine laisse la parole à son prof. de philo préféré :
« Des remords, peut-être…mais, surtout, aucun regret ! »


Fermez la fenêtre