«Quiconque
aspire au calme aurait bien fait de ne pas naître au
20ième siècle» Léon TROTSKI
Le titre du mail 40 avait été
lancé comme une boutade : « pirates ou cyclones
? » Nous étions loin d’imaginer que nous
allions croiser les deux en moins de trois mois !!! Tout a
bien commencé pourtant, car nous avons passé
deux mois et demi à sillonner les côtes du continent
sud-américain sans encombre. Nous avons découvert
un pays fantastique. Alors que nous nous apprêtions
à découvrir la Blanquilla, île tranquille
posée au large du Venezuela, nous sommes surpris, en
pleine nuit, par des « visiteurs » armés
de machettes.
Bonjour à tous,
Les motivations d’un tel voyage
sont diverses. Nous sommes partis avec l’envie de découvrir
les merveilles de ce monde, et de nous ouvrir au caléidoscope
des cultures, qui, par leurs différences, représentent
les richesses de ce monde. Une telle idée est-elle
utopiste au 21ième siècle ? Avant de partir
sur les mers, nous avons lu, comme tous nos copains marins,
les récits de nos prédécesseurs. Il est
certain qu’en cinquante ans, le monde a évolué.
La technologie tentaculaire s’éparpille dans
les contrées les plus reculées. Est-elle la
cause d’un changement de pratiques? Les équipages
qui sont passés avant nous, nous décrivaient
le Venezuela comme un paradis. Ils gardent en eux le souvenir
d’une population affable, gentille comme il en existe
peu dans le reste du monde. Nous avons cherché à
voir ce Venezuela, là.
Nous faisions escale en fin de mois
à Robledal (ouest Margarita). Nous ne projetions pas
de rester dans ce village de pêcheurs à la réputation
tranquille. Dès le lendemain, nous envisagions de pointer
notre étrave vers le Nord pour découvrir la
Blanquilla. C’est un petit îlot désert
dont tout le monde nous a vanté les eaux cristallines,
et le paysage digne d’une carte postale. Cette nuit
là, un événement allait changer le cours
de notre navigation.
Dans la nuit du 23 au 24 septembre
2005, à 2H36, nous avons entendu un bruit suspect.
Nous avons cru que c'était la dérive qui frottait
car nous étions limite en fond... Parce qu’il
faisait trop chaud dans le bateau, Dom dormait dehors, dans
le cockpit. Moi en bas dans la cabine avant. Je me suis levée
j’ai allumé la lumière et la centrale
de navigation, afin de voir où nous en étions
par rapport au fond, en même temps je tendais machinalement
une manivelle de winch à Dom pour qu’il relève
la dérive. Mais, j’ai vu Dom se dresser d’un
bon et je l’ai entendu crié : « Descends
!» Il répétait tant et plus cette injonction
en me criant de tout allumer. En fait, deux gars avaient pénétré
dans le cockpit. Ils étaient armés de machettes
et de couteaux. Ils menaçaient Dom en demandant «
money ; money ». Dom était à main nue
face aux armes. Ils étaient en tout, quatre hommes
et sont montés par l'avant. Restée en bas, j’ai
saisi la lampe spot et le pistolet lance fusée, j’ai
allumé les lumières, et brandis la cloche tout
en criant beaucoup afin de faire le plus de bruits possibles.
Dom a saisi le pistolet et l’a retourné contre
ses agresseurs tout en continuant à crier « descends
! ». L’un d’eux a directement sauté
à l’eau, les autres aveuglés par le spot
sont repartis par l’avant. Nous les poursuivions tout
en continuant à crier le plus fort possible. Dans la
confusion, j’avais mal armé le pistolet lance
fusée. Dom tentait de tirer en l’air sans succès.
Je continuais à les éclairer par le spot violent,
afin de les identifier et qu’ils se sentent poursuivis.
Finalement dom a pu lancer une fusée à l'horizontal,
juste au-dessus de leur tête. Ils ont fui dans leur
barque vers le village.
Décodage après coup :
Les anciens nous avaient assurés qu’au Venezuela
pour avoir des problèmes il fallait les chercher, d’une
manière ou d’une autre (commerces illicites,
drogue, signes d’ostentation, provocations quelconques,
imprudences) Ne correspondant pas du tout à ces canevas,
nous nous sentions plus ou moins à l’abri de
réelles agressions, et prenions nos dispositions pour
éviter les vols d’annexes et rapines sur le pont.
Nous ne sommes pas insouciants. Nous avons toujours évité
les lieux réputés à risque : Coché,
Cubagua, Araya, Laguna Chica, la Péninsule de Paria,
Carupano, les mouillages devant Cumana, Puerto la Cruz, les
îles Caracas, Chimana Grande… Nous avions pris
des renseignements avant de nous rendre à Robledal.
Nous pensions qu’une employée du consulat donnait
des renseignements fiables. Nous avions également un
« cruising guide » récent à bord.
Il décrivait Robledal comme un endroit sécurisé.
Nous avions néanmoins pris la précaution de
mouiller l’ancre loin de la plage. Radio ponton a tendance
à dire que les problèmes arrivent soit dans
les mouillages surpeuplés comme Porlamar (il est vrai
que les vols y sont légions) soit dans les mouillages
solitaires. Nous étions trois bateaux à proximité
les uns des autres. Radio ponton dit également qu’il
ne faut pas rester plusieurs nuits dans le même mouillage,
l’agression ne se passerait pas dès la première
nuit. Or nous venions d’arriver. Nous n'avons montré
aucun signe d'ostentation ( nous ne portons et ne possédons
pas de bijoux en or, nous ne portons pas même nos alliances,
ni caméra, ni appareil photos). Rien dans notre comportement
ne pouvait mener à un cas d'agression et rien n'a empêché
cela ! Le coup était imparable.
Nous avons eu de la chance ! Les gars
montés par l’avant auraient pu se glisser par
les panneaux avant, et tombés directement à
l’intérieur dans la cabine avant. Le bruit de
leur barque sur la chaîne m’a éveillé,
le fait d’allumer les lumières les a, sans doute,
ralentis. Dom aurait pu se retrouver au réveil avec
le couteau sous la gorge. Plus aucune riposte aurait été
possible. Le grand taud était installé, ce qui
entravait beaucoup le pont, la vélocité de nos
agresseurs en a été troublée. Notre rapidité
d’action, a permis de retourner l’offensive contre
les intrus. Nous les avons surpris ! Bien qu’on puisse
imaginer que quatre gars armés de machettes se hissant
sur un bateau ne prévoient pas de prodiguer que des
gentillesses, ils étaient sans doute malhabiles(?)
Dans des cas similaires, certains plaisanciers ont eu beaucoup
plus de mal que de peurs… Certains ont été
tiré comme des lapins… Et puis…petit clin
d’œil, Dom, tout nu dans le cockpit les a sans
doute effrayés…. Hum, hum, hum !!!
Nous n’avons pas l’intention
en vous relatant ceci, d’affoler les candidats au départ.
Ce type de voyage reste une belle expérience. Simplement,
il faut savoir que ce genre de choses existe, et les cas d'agressions
de plaisanciers au Venezuela sont en sensible augmentation.
Au cours de la semaine, où nous avons vécu cette
expérience, 5 cas identiques ont été
recensés sur la seule île de Margarita. Les pêcheurs
eux-mêmes se font voler leur moteur hors-bord ! Et c’est
leur outil de travail ! Durant notre croisière au Venezuela,
nous ne comptons plus les annexes volées, les agressions
dans la rue ou celles de plaisanciers. Mais nous trouvons
que le vol simple est quand même plus facile à
vivre qu’une réelle agression en pleine nuit
sur son propre bateau… Il devient très difficile
de dresser la liste des mouillages totalement sécurisés
au Venezuela. Ceux qui aujourd’hui le sont encore peuvent
changer demain. A l’inverse, certains mouillages à
problèmes sont devenus plus sûrs !
Nous n’avons pas voulu propager
une panique entre les plaisanciers. Mais dès le lendemain,
de l’agression, nous avons fait passer le message, par
mail, aux bateaux qui étaient dans les parages. Ceci,
afin qu’ils restent vigilants et qu’ils évitent
Robledal. Nous avons également envoyé des mails
à nos amis vénézuéliens afin qu’ils
relayent l’information aux autorités. Certains
collègues marins pensent s’associer pour établir
une pétition relatant toutes les agressions de la saison
et la présenter aux ambassades afin de sensibiliser
les autorités. Les marins sont excédés
d’être pris pour cible permanente et d’être
considérés comme des tirelires flottantes !
En outre, ces cas d’agressions sont dommageables pour
le reste de la population. Le Venezuela est un pays merveilleux.
Les paysages sont superbes et le climat y est idyllique. Les
plaisanciers qui viennent s’abriter des cyclones dans
ces eaux calmes représentent une réelle manne
pour le pays. De nombreux pêcheurs pourraient vivre
du commerce avec les bateaux. D’autres métiers
liés au tourisme nautique pourraient se développer.
Mais il faudrait que les locaux mettent de l'ordre, eux-mêmes,
dans leur pays. Tous les Vénézuéliens
ne sont pas des sauvages, il y a plus de gens bien que le
contraire ! Mais 99% de la population pâtira de ce pour
cent d’irresponsables !
Nous ne savons quelle est la meilleure
méthode pour éviter que cela arrive. Impossible
d’affirmer que la situation va continuer son funeste
cortège vers la violence ? La machine infernale va-telle
inverser le mouvement ? Nous ne voulons pas faire des amalgames.
Nous n’aimons pas prétendre que le monde a changé
et qu’il se pourrit. Nous voulons simplement prévenir
qu’au Venezuela, il faut changer ses habitudes nautiques.
Nombreux équipages vivent le Venezuela sans encombre.
Ceux-ci se cantonnent aux archipels sécurisés
: Tortuga, Roques, Aves… Certains endroits restent agréables.
Mais je ne m’engage à rien. Il faut adopter un
comportement adapté à la situation et arrêter
de se bercer de douces illusions ou au contraire ne pas verser
dans une panique démesurée. Il faut décourager
les équipages de se rendre dans les mouillages peu
sûrs du Venezuela. Il faut naviguer et mouiller là
où des postes de gardes-côtes sont installés.
Et essayer de ne jamais naviguer tout seul…
Notre moyen de lutte est d’informer
en direct, afin que l’événement ne soit
pas déformé. Notre but n'est pas d'ajouter un
cran à l’appréhension ambiante, mais de
renseigner sans état d'âme, ni catastrophisme.
Amitiés marines
L’Etoile de Lune
PS : Vous aurez tous compris que Lune
nous a quittée. Si elle avait encore été
avec nous, elle aurait rempli son rôle de gardienne
sans défaillance. Elle nous manquera toujours…