Aujourd'hui, 11 octobre 2005 - Mail 41
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Zone de navigation : Venezuela

Freinés dans notre élan !

«Quiconque aspire au calme aurait bien fait de ne pas naître au 20ième siècle» Léon TROTSKI

Le titre du mail 40 avait été lancé comme une boutade : « pirates ou cyclones ? » Nous étions loin d’imaginer que nous allions croiser les deux en moins de trois mois !!! Tout a bien commencé pourtant, car nous avons passé deux mois et demi à sillonner les côtes du continent sud-américain sans encombre. Nous avons découvert un pays fantastique. Alors que nous nous apprêtions à découvrir la Blanquilla, île tranquille posée au large du Venezuela, nous sommes surpris, en pleine nuit, par des « visiteurs » armés de machettes.


Bonjour à tous,

Les motivations d’un tel voyage sont diverses. Nous sommes partis avec l’envie de découvrir les merveilles de ce monde, et de nous ouvrir au caléidoscope des cultures, qui, par leurs différences, représentent les richesses de ce monde. Une telle idée est-elle utopiste au 21ième siècle ? Avant de partir sur les mers, nous avons lu, comme tous nos copains marins, les récits de nos prédécesseurs. Il est certain qu’en cinquante ans, le monde a évolué. La technologie tentaculaire s’éparpille dans les contrées les plus reculées. Est-elle la cause d’un changement de pratiques? Les équipages qui sont passés avant nous, nous décrivaient le Venezuela comme un paradis. Ils gardent en eux le souvenir d’une population affable, gentille comme il en existe peu dans le reste du monde. Nous avons cherché à voir ce Venezuela, là.

Nous faisions escale en fin de mois à Robledal (ouest Margarita). Nous ne projetions pas de rester dans ce village de pêcheurs à la réputation tranquille. Dès le lendemain, nous envisagions de pointer notre étrave vers le Nord pour découvrir la Blanquilla. C’est un petit îlot désert dont tout le monde nous a vanté les eaux cristallines, et le paysage digne d’une carte postale. Cette nuit là, un événement allait changer le cours de notre navigation.

Dans la nuit du 23 au 24 septembre 2005, à 2H36, nous avons entendu un bruit suspect. Nous avons cru que c'était la dérive qui frottait car nous étions limite en fond... Parce qu’il faisait trop chaud dans le bateau, Dom dormait dehors, dans le cockpit. Moi en bas dans la cabine avant. Je me suis levée j’ai allumé la lumière et la centrale de navigation, afin de voir où nous en étions par rapport au fond, en même temps je tendais machinalement une manivelle de winch à Dom pour qu’il relève la dérive. Mais, j’ai vu Dom se dresser d’un bon et je l’ai entendu crié : « Descends !» Il répétait tant et plus cette injonction en me criant de tout allumer. En fait, deux gars avaient pénétré dans le cockpit. Ils étaient armés de machettes et de couteaux. Ils menaçaient Dom en demandant « money ; money ». Dom était à main nue face aux armes. Ils étaient en tout, quatre hommes et sont montés par l'avant. Restée en bas, j’ai saisi la lampe spot et le pistolet lance fusée, j’ai allumé les lumières, et brandis la cloche tout en criant beaucoup afin de faire le plus de bruits possibles. Dom a saisi le pistolet et l’a retourné contre ses agresseurs tout en continuant à crier « descends ! ». L’un d’eux a directement sauté à l’eau, les autres aveuglés par le spot sont repartis par l’avant. Nous les poursuivions tout en continuant à crier le plus fort possible. Dans la confusion, j’avais mal armé le pistolet lance fusée. Dom tentait de tirer en l’air sans succès. Je continuais à les éclairer par le spot violent, afin de les identifier et qu’ils se sentent poursuivis. Finalement dom a pu lancer une fusée à l'horizontal, juste au-dessus de leur tête. Ils ont fui dans leur barque vers le village.

Décodage après coup :
Les anciens nous avaient assurés qu’au Venezuela pour avoir des problèmes il fallait les chercher, d’une manière ou d’une autre (commerces illicites, drogue, signes d’ostentation, provocations quelconques, imprudences) Ne correspondant pas du tout à ces canevas, nous nous sentions plus ou moins à l’abri de réelles agressions, et prenions nos dispositions pour éviter les vols d’annexes et rapines sur le pont. Nous ne sommes pas insouciants. Nous avons toujours évité les lieux réputés à risque : Coché, Cubagua, Araya, Laguna Chica, la Péninsule de Paria, Carupano, les mouillages devant Cumana, Puerto la Cruz, les îles Caracas, Chimana Grande… Nous avions pris des renseignements avant de nous rendre à Robledal. Nous pensions qu’une employée du consulat donnait des renseignements fiables. Nous avions également un « cruising guide » récent à bord. Il décrivait Robledal comme un endroit sécurisé. Nous avions néanmoins pris la précaution de mouiller l’ancre loin de la plage. Radio ponton a tendance à dire que les problèmes arrivent soit dans les mouillages surpeuplés comme Porlamar (il est vrai que les vols y sont légions) soit dans les mouillages solitaires. Nous étions trois bateaux à proximité les uns des autres. Radio ponton dit également qu’il ne faut pas rester plusieurs nuits dans le même mouillage, l’agression ne se passerait pas dès la première nuit. Or nous venions d’arriver. Nous n'avons montré aucun signe d'ostentation ( nous ne portons et ne possédons pas de bijoux en or, nous ne portons pas même nos alliances, ni caméra, ni appareil photos). Rien dans notre comportement ne pouvait mener à un cas d'agression et rien n'a empêché cela ! Le coup était imparable.

Nous avons eu de la chance ! Les gars montés par l’avant auraient pu se glisser par les panneaux avant, et tombés directement à l’intérieur dans la cabine avant. Le bruit de leur barque sur la chaîne m’a éveillé, le fait d’allumer les lumières les a, sans doute, ralentis. Dom aurait pu se retrouver au réveil avec le couteau sous la gorge. Plus aucune riposte aurait été possible. Le grand taud était installé, ce qui entravait beaucoup le pont, la vélocité de nos agresseurs en a été troublée. Notre rapidité d’action, a permis de retourner l’offensive contre les intrus. Nous les avons surpris ! Bien qu’on puisse imaginer que quatre gars armés de machettes se hissant sur un bateau ne prévoient pas de prodiguer que des gentillesses, ils étaient sans doute malhabiles(?) Dans des cas similaires, certains plaisanciers ont eu beaucoup plus de mal que de peurs… Certains ont été tiré comme des lapins… Et puis…petit clin d’œil, Dom, tout nu dans le cockpit les a sans doute effrayés…. Hum, hum, hum !!!

Nous n’avons pas l’intention en vous relatant ceci, d’affoler les candidats au départ. Ce type de voyage reste une belle expérience. Simplement, il faut savoir que ce genre de choses existe, et les cas d'agressions de plaisanciers au Venezuela sont en sensible augmentation. Au cours de la semaine, où nous avons vécu cette expérience, 5 cas identiques ont été recensés sur la seule île de Margarita. Les pêcheurs eux-mêmes se font voler leur moteur hors-bord ! Et c’est leur outil de travail ! Durant notre croisière au Venezuela, nous ne comptons plus les annexes volées, les agressions dans la rue ou celles de plaisanciers. Mais nous trouvons que le vol simple est quand même plus facile à vivre qu’une réelle agression en pleine nuit sur son propre bateau… Il devient très difficile de dresser la liste des mouillages totalement sécurisés au Venezuela. Ceux qui aujourd’hui le sont encore peuvent changer demain. A l’inverse, certains mouillages à problèmes sont devenus plus sûrs !

Nous n’avons pas voulu propager une panique entre les plaisanciers. Mais dès le lendemain, de l’agression, nous avons fait passer le message, par mail, aux bateaux qui étaient dans les parages. Ceci, afin qu’ils restent vigilants et qu’ils évitent Robledal. Nous avons également envoyé des mails à nos amis vénézuéliens afin qu’ils relayent l’information aux autorités. Certains collègues marins pensent s’associer pour établir une pétition relatant toutes les agressions de la saison et la présenter aux ambassades afin de sensibiliser les autorités. Les marins sont excédés d’être pris pour cible permanente et d’être considérés comme des tirelires flottantes ! En outre, ces cas d’agressions sont dommageables pour le reste de la population. Le Venezuela est un pays merveilleux. Les paysages sont superbes et le climat y est idyllique. Les plaisanciers qui viennent s’abriter des cyclones dans ces eaux calmes représentent une réelle manne pour le pays. De nombreux pêcheurs pourraient vivre du commerce avec les bateaux. D’autres métiers liés au tourisme nautique pourraient se développer. Mais il faudrait que les locaux mettent de l'ordre, eux-mêmes, dans leur pays. Tous les Vénézuéliens ne sont pas des sauvages, il y a plus de gens bien que le contraire ! Mais 99% de la population pâtira de ce pour cent d’irresponsables !

Nous ne savons quelle est la meilleure méthode pour éviter que cela arrive. Impossible d’affirmer que la situation va continuer son funeste cortège vers la violence ? La machine infernale va-telle inverser le mouvement ? Nous ne voulons pas faire des amalgames. Nous n’aimons pas prétendre que le monde a changé et qu’il se pourrit. Nous voulons simplement prévenir qu’au Venezuela, il faut changer ses habitudes nautiques. Nombreux équipages vivent le Venezuela sans encombre. Ceux-ci se cantonnent aux archipels sécurisés : Tortuga, Roques, Aves… Certains endroits restent agréables. Mais je ne m’engage à rien. Il faut adopter un comportement adapté à la situation et arrêter de se bercer de douces illusions ou au contraire ne pas verser dans une panique démesurée. Il faut décourager les équipages de se rendre dans les mouillages peu sûrs du Venezuela. Il faut naviguer et mouiller là où des postes de gardes-côtes sont installés. Et essayer de ne jamais naviguer tout seul…

Notre moyen de lutte est d’informer en direct, afin que l’événement ne soit pas déformé. Notre but n'est pas d'ajouter un cran à l’appréhension ambiante, mais de renseigner sans état d'âme, ni catastrophisme.

Amitiés marines
L’Etoile de Lune

PS : Vous aurez tous compris que Lune nous a quittée. Si elle avait encore été avec nous, elle aurait rempli son rôle de gardienne sans défaillance. Elle nous manquera toujours…

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